LES YEUX DU TABLEAU

Robert Koch

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• Publié par: ekumodor
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Extrait

LES YEUX DU TABLEAU

Une approche des « Ménines » de Vélasquez.

Jean Michel KOCH, IA-IPR d’Arts Plastiques de l’académie de Strasbourg.

1. Eléments pour une description du tableau.

La scène représentée est située dans un espace réel : la grande pièce où prennent place les

personnages est identifiée comme une des salles du palais de l’Alcazar que Vélasquez utilisait

comme atelier, en tant que premier peintre du roi.

Le spectateur, aujourd’hui visiteur du musée du Prado à Madrid, est immédiatement saisi par la

représentation ; deux éléments y contribuent : les regards de plusieurs personnages dirigés vers

lui comme à travers la toile et l’ouverture latérale du tableau ( pour parler comme Michel

Foucault ) qui nous intègre dans la lumière du premier plan venue de la fenêtre de droite. A

l’extrême gauche de la toile : le revers d’un tableau visiblement très grand, probablement aussi

grand que la toile que le spectateur contemple. Le motif n’est pas nouveau, mais sa mise en

scène est particulièrement théâtrale et complexe. Sur les murs, des tableaux que l’on a pu

identifier : ils sont tous de la main du gendre de Vélasquez. Les deux tableaux situés au-dessus

du peintre et de la porte, au fond de la pièce, face au spectateur, représentent des scène s

mythologiques ayant pour thème la rivalité artistique entre les créatures terrestres et les dieux :

Apollon et Marsyas, la légende d’Arachné et Athéna ( au-dessus de Vélasquez). Ces tableaux

sont des copies exécutées par le gendre de Vélasquez, del Mazo, à partir de Rubens et de

Jordaens

Deux sources de lumière sont repérables : la fenêtre de droite qui semble se prolonger dans

notre espace et qui rend visible la scène du premier plan, la porte du fond qui « troue » le

tableau et l’ouvre en son fond sur un espace indéfini (un « pan de mur » jaunâtre, « un

éclatement jaune où la lumière, sans entrer, tourbillonne sur elle-même et repose », Michel

Foucault ; on notera que contrairement à ce qu’écrit Michel Foucault, la lumière de la porte

pénètre bien dans l’espace de la pièce, sous la forme d’un rai de lumière qui passe « derrière »

l’Infante et joue comme en écho avec le trait du pinceau et le trait de l’appui-main ( ?) que tient

Vélasquez ). Les autres fenêtres, situées dans une perspective très rapide qui ne laisse voir que

les tranches des tableaux accrochés sur le mur de droite, sont fermées. Au plafond : deux

crochets qui feront l’objet d’une attention toute particulière dans une des variations que Picasso

consacrera au tableau de Vélasquez en 1957 puisqu’ils seront traités comme deux yeux crevés !

Si l’on suit la description de Michel Foucault pour la présentation des personnages, on

identifie , de la gauche à la droite du tableau : le peintre lui-même, Diego Vélasquez ; il s’agit

donc d’un autoportrait, autoportrait du peintre en train de peindre ; c’est une mise en scène, à

plus d’un titre : d’abord, en ce qui concerne l’étrangeté même de la situation : Victor Stoichita,

dans son ouvrage « L’instauration du tableau », rappelle bien les origines et les avatars de

l’autoportrait, un « genre » qui se développe précisément au XVIIème siècle et qui voit les

peintres se livrer à toutes sortes de jeux de miroirs pour tenter de donner à voir, en fin de

compte (c’est la thèse de Stoichita), la peinture elle-même, le « peindre » lui-même ; mais le

peintre ne peut pas à la fois se peindre et se voir peindre : le suspens du pinceau est un geste

calculé par Vélasquez qui se montre dans cette pose ; le peintre est légèrement décalé par

rapport à la toile qu’il peint, en retrait – dans un moment, il disparaîtra totalement en se

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