Par Raymond Court www.contrepointphilosophique.ch Rubrique Esthétique 15 octobre 2006
On sait combien lœuvre cézanienne fut longue à êtreacceptée, sinon comprise. Celle-ci est assurément difficile à cernerdans la mesure où syopère larticulation entre le classicisme le plus exigeant et la modernité la plus révolutionnaire. Demanière plus fondamentale surtout, on peut se demander si la résistance certaine quoffre cette peinture, ne répond pas à la profondeur même de son exigence dune approche en acte du mystère le plus intime de lexpression esthétiqueen correspondance avec lidéal que le Maître dAix déclarait avoir poursuivi avec acharnement durant toute sa vie etquil nommait la vérité de la peinture » ? Très éclairant à cet égard estle témoignage percutant de Joachim Gasquet sur la tension inhérente àcette quête cézanienne fondamentale : la plus frémissantesensibilitéaux prises avec laraison laplus théorique, cest tout le drame, toutelhistoire, toutela vie de Paul Cézanne» (G. p. 137). On se souvient de la référence de ce dernier à cette nappe blanche comme une couche de neige fraîchement tombée et sur laquelle sélevaient symétriquement les couverts couronnés de petits pains blonds » quévoque Balzac dansLa Peau de Chagrin et delaveu du peintre qui laccompagne: Toute ma jeunesse jai voulu peindre cette nappe de neige fraîche »(G. p.367). Comment atteindre à cet actedexpression qui est le mystère même de lapparaîtreet la vérité de la peinture » ? Cézanne refuse de choisir entre la sensation etla pensée, entre les sens » et lintelligence »afin de rejoindre le monde primordial de la nature à son origine », à savoir lesensincarnédans le sensible avant toute dissociation. Aussi bien Merleau-Ponty nousparaît-il toucher très précisément au point central de lart cézannien quand il écrit: Il nesert à rien dopposer ici les distinctions de lâme et ducorps, de lapensée et de la vision, puisque Cézanne revient justement à lexpérience primordialedoù ces notions sont tirées et qui nous les donne inséparables » (Le doute de Cézanne, p. 29). On comprend ainsi comment parlà cet art va bien au-delà de limpressionnisme. Il ne sagit plus de procéder à la quête de latmosphère lumineuse par décomposition du ton local en jouant du contraste entre les couleurs complémentaires àfin dexaltation des tons. Car, note encore justement Merleau-Ponty, la peinture de latmosphère etla division des tons noyaient en même temps lobjet et en faisaientdisparaître la pesanteur propre ». Or Cézanne… se donne un autre but.Lusage des couleurs chaudes etdu noir montre que Cézanne veut représenter lobjet, le retrouver derrière latmosphère » (ibidsens dans., p.21). Dès lors la priorité de la couleur sur le dessin prend un tout autre sa peinture que chez les limpressionnistes. Lamodulationcescolorée (employée par derniers et à ne pas confondre bien sûr avec lemodeléperspectiviste) ne vise plus comme chez eux à noyer lobjet dans lalumière et ses reflets mais elle suit la forme », non par un contour réduit à un simple trait, mais par un contouren profondeur quinous