Alice dans les villes
Alice in den städten F de Wim Wenders
FICHE FILM
fiche technique
R.F.A. 1973-74 1h50
Réalisateur :
Wim Wenders
Musique :
Can
(groupe pop allemand )
Interprètes : Alice dans les villes
Rüdiger Vogler Résumé
Yella Rottländer
Chargé d’écrire un texte sur les U.S.A., blement, confie Alice à la police ; mais
elle s’en échappe, rejoint son nou-un journaliste Allemand ne trouve,
veau père d’adoption, et tous deuxface à la constante agression norma-
partent sur une nouvelle piste. De sa
lisante et individualisante des publici-
maison, enfin retrouvée, Ia
tés et de la TV, qu’à répondre grand-mère a déménagé, depuis deux
lui-même par des images : il photogra- ans, sans laisser d’adresse. C’est alors
que la police, sur leurs traces depuisphie. Son approche est refusée par le
Wuppertal, rejoint l’homme et la fillet-magazine, il décide de retourner en
te et leur apprend que la grand-mère
Allemagne. A I' aréoport, bloquées par
vit a Munich. Ia mère d’Alice les y
une grève, il rencontre une jeune attendant.
femme et sa fillette : Alice (9 ans) qu’il La Saison Cinématographique 1977
aide à trouver un arrangement. Le len-
demain sur la demande de la jeune
femme, il s’embarque seul avec Alice,
la mère devant les rejoindre à
Amsterdam. Mais au rendez-vous il n’y
a personne. Après une attente de plu-
sieurs jours, et se fiant aux vagues
souvenirs d’Alice, ils partent à la
recherche de la maison de la
grand-mère. A Wuppertal, Ia ville dont
le nom rappelle quelque chose à la
fillette, ils ne trouvent rien. Le journa-
liste, dont les finances baissent sensi-
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tion en signes. Est révélé comme de vie” (maisons ouvrières,Critique
par un bain photographique ce qui quelques individus, un bistro, une
git de grave, de capital dans le plus rue isolée, une forêt où l’on fait duDécouvert en France avec son
banal des halls de gare, le plus com- sport), signes d’une vie obscure,remarquable Au fil du temps, W.
mun des hôtels, le plus ordinaire mais individualisée - Loin des repor-Wenders défriche ici les thèmes
des snack-bars, où un garçonnet tages habituels sur les paysagesmajeurs de cet autre film que la dis-
fredonne, appuyé au juke-box: " On surindustrialisés du monde moder-tribution nous vaut de voir en ordre
the road again ". Donner à lire la ne, signes filmés avec une maîtriseinversé. L’errance et la solitude aliè-
signification de l' " insignifiant " est tranquille qui n’exclut ni le mouve-nantes, qu’inflige une civilisation de
la qualité de ce cinéma auquel on ment ni la beauté. Cet oeil du pho-l’image, conçue comme superficiali-
pardonne volontiers les longueurs tographe, qui voit peut-être plus queté est décrite dans la partie améri-
qu’il comporte tout de même un peu l’oeil nu. Wenders, le cinéaste decaine, avec le schématisme d’une
aussi. “l’esprit des lieux”.ébauche qui n’emporte pas complè-
La Saison Cinématographique 1977tement l’adhésion. Les moyens rudi-
Tout le film repose sur ce lien subtil,mentaires (renverser un poste de
sur la rencontrede ces deux sensi-TV) employés pour la dénoncer sont
bilités : l’amitié est la meilleure armeTous les films de Wenders sont lacaractéristiques d’une expression
contre la solitude. L’enfant et l’adul-chronique d’un voyage ou d’uneencore bavarde et juvénile. Bien
te partent ensemble à la rechercheerrance : dans Faux mouvementsmieux maitrisée est toute la partie
d’une identité ; par l’arpentage des(tourné en 1975, après Alice),allemande du film; c’est-à-dire
lieux et le repérage des "traces deWilhelm part à la recherche de sal’essentiel du scénario: cette quête
vie”, ils découvrent qu’au fond ilspropre définition au sein d’unedes racines perdues, des origines -
poursuivent un même but. Cette ami-société difficile ; dans L'ami améri-traduire: de l’identité. L’un, désem-
tié n’est pas immédiate : au début,cain (Der Amerikanische freund),paré, solitaire ; I’autre, abandonnée
dans une chambre d’hôtel près detoutes les actions importantes sede sa mère s’inventent, qui une fille,
l’aéroport d’Amsterdam (ce premiernouent au cours d’un voyagequi un papa, selon des relations
contact avec l’Europe est encore(l’avion de Paris, le meurtre-poursui-d’une rare subtilité auxquelles n’est
marqué par la présence américaine :te dans le métro, le T.E.E. en routepas étrangère l’étonnante justesse
il n’y qu’une infime différence entrepour Munich, et le port dede ton de Y. Rottlander (Alice). Cette
New York et l’aéroportHambourg).recherche insensée (tout ce dont se
d’Amsterdam, entre la chambresouvient la fillette est que la maison
d’hôtel new-yorkaise et celle-ci),Dans Alice, la caméra se fait auto-de sa grand- mère est environnée
Félix semble se demander ce qu’il vamobile, train, métro (celui de Newd’arbres et qu’il y fait sombre dans
bien pouvoir faire avec cette enfantYork et de Wuppertal, cette étrangela cage de l’escalier) prend alors le
sur les bras. Mais peu à peu une“Schwebebahn”). Le cinéma, c’esttour d’une parabole sur ce manque
connivence s’établit, une complicitéplus que jamais le travelling, lesentimental d’essence profonde
faite de mille petits détails, non sansvoyage, le rail invisible qui tente dedéraciné par la civilisation moderne.
gaité, non sans malice : Alice estrelier un point à un autre. PourEt elle satisfait bien davantage que
une enfant délurée, elle se plait dansWenders, le cinéma est commeles théories d’introduction car elle
ces voyages toujours renouvelés,l’appareil polaroid de son personna-est assumée par le visuel. Dédale
elle fait durer le plaisir ; et Félixge : un outil d’exploration, avecde rues, de voies ferrées, réseau de
accepte son jeu, au fond il n’est pascette fascination pour l’objet/objectifcartes, d’annuaires, de répertoires
tellement dupe : il sait bien que laet l’optique, pour la technique pho-alphabétlques qui brouillent les
fillette l’entraîne parfois dans destographique, qu’on va retrouverpistes, isolent au lieu de rapprocher.
villes où sa grand-mère a peu dedans L'ami américainCe leit-motivDès lors, le choix de la mise en
chances d’avoir habité. Ce quides moyens de locomotion (dansscène se situe au niveau d’une quo-
compte, ce n’est pas la déambula-Alice, ils sont presque tous utilisés :tidienneté toute faite de temps
tion elle-même - qui nous fait traver-voiture, train, métro, métro aérien,morts, de situations présumées
ser de multiples villes et arpenteravion, bus, bac, péniche) permet àsecondaires auxquelles le soubas-
leurs rues -, c’est le parcours (auWenders de nous faire traverser lasement fourni par la ligne générale
propre comme au figuré) qui faitRuhr, dont il nous montre les "signesdu scénario apporte une organisa-
L E F R A N C E
SALLE D'ART ET D'ESSAI
CLASSÉE RECHERCHE
8, RUE DE LA VALSE
42100 SAINT-ETIENNE
RÉPONDEUR : 77.32.71.71
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naître et se développer l’amitié. HighsmitL, vaut surtout pour une Filmographie
fort belle photo et une pléiade
A la fin, un policier mieux informé d’acteursmetteurs en scène (Dems Summer in the City
que l’ex-journaliste nous apprendra Hopper, Blain, Eustache, Ray, Fuller) (L’été dans la ville, 1971)
que la mère d’Alice est enfin reve- qui finissaient par créer une atmo-
nue. Il invitera Félix (qui joue ici le sphère envoûtante. Nouvel et ultime Die Angst des Tormanns beim Elfmeter
rôle d’un père) à la ramener à bon hommage à Nicholas Ray : Nick's (L'angoisse du gardien de but au
port. Dernier voyage après beau- Movie, qui filme la mort du grand moment du penalty ,1971)
coup d’autres, mais que nous ne metteur en scène rongé par un can-
suivrons pas, ou plutôt que nous sui- cer. Une œuvre qui laisse, à dire Der Scharlachrote Buchstabe
vrons de loin : un plan magnifique vrai, un sentiment de malaise. (La lettre écarlate, 1972)
en hélicoptère nous montre l’homme Autre hommage: Hammett. épisode
et l’enfant à la fenêtre d’un train qui imaginaire de la vie de l’auteur du Alice in den Stadten
roule dans la campagne ; la caméra Faucon maltais. On découvre ainsi (Alice dans les villes, 1973)
s’élève en plein ciel, jusqu’à ce que un Wenders curieusement américa-
le train se perde dans l’immensité de nise. Point culminant de cette amé- Falsche Bewegung
la plaine rhénane. La boucle est ricanisation Paris Texas, couronné (Faux mouvement, 1974)
bouclée : au début du film, ]es pre- au festival de Cannes. Sur fond de
miers plans montrent un avion dans paysages américains (déserts ou Im Lauf der Zeit
le ciel, une route bordée d’une bar- décors urbains) Wenders reprend le (Au fil du temps, 1975)
rière au long d’une plage ; à la fin du problème de la communication entre
film, l’hélicoptère prend de l’altitude les êtres. Une version verticale de Der amerikanische Freund
jusqu’a inscrire le train tracant son Berlin à travers le regard des anges (L’ami américain 1977)
chemin à travers un paysage. c’est ce que nous offrent Les ailes Lightening over Water
du désir, Ie film qui a fait connaître (Nick’s Movie, 1980)
Wenders au grand public.
J.-P. Devillers Hammett
"Win Wenders": Hammett 1982)
Berlin, L A. Berlin, EST (1985).
Le réalisateur Der Stand der Dinge
(L’état des choses, 1982)
Il a fait des études de médecine et
Paris, Texas
de philosophie puis a échoué a
(Paris Texas 1984)
l'IDHEC. Sa formation, il I’a surtout
acquise à la cinémathèque de Paris.
Tokyo-Ga (1985)
Sa premiere œuvre (I’expulsion du
terrain par l’arbitre d’un gardien de
Der Himmel über Berlin
but conduit ce dernier à étrangler
(Les ailes du désir 1987)
sans explication une jeune femme)
est particulièrement déroutante:
Bis aus Ende der Welt
dialogues non en situation, syn-
(Jusqu au bout du monde, 1991)
copes et ellipses brisant la narra-
tion, absence d’explications. Ces
ruptures, ce refus du principe nar-
ratif se retrouvent dans Alice, Faux
mouvement (d’apres Goethe) ou Au
fil du temps. Film policier curieux
puisque toutes les ombres subsis-
tent à