L es journées de tous les dangers » se succèdent en Egypte, sans se ressembler. Vendredi devait être celle du départ » (de Hosni Moubarak). Il nen a rien été, mais les opposants tiennent toujours tête au régime, après avoir pansé leurs blessures : ils ont réuni des foules imposantes et nont toujours pas évacué la place Tahrir, au Caire. Larmée – cette institution encensée de tous côtés et tant redoutée – nest pas en mesure dimposer le cessez-le-feu.
LEgypte est méconnaissable. On assiste à des choses que nul naurait imaginées il y a encore quinze jours. Jamais, depuis la révolution de 1952, des citoyens navaient osé insulter en public un président de la République en exercice et exiger son départ. Ce crime de lèse-majesté a certainement choqué nombre de citoyens ordinaires, habitués au culte de la personnalité. Ils nen croient ni leurs yeux ni leurs oreilles.
La manière dont sont traités les étrangers, notamment les journalistes, est une autre surprise. Certes, les Egyptiens détestent que leur pays soit critiqué de lextérieur, mais ils nont rien de xénophobes. Toute une partie de leur économie est tournée vers laccueil dun nombre croissant de touristes, qui étaient 15 millions lan dernier. Il faudra du temps pour faire oublier des scènes détestables qui risquent de coûter très cher à léconomie nationale.
Du côté des opposants, deux choses sont frappantes. Dabord, leur diversité. Ensuite, leur discipline, malgré labsence de leadership. On se demande comment ces foules hétéroclites, où se côtoient des jeunes ivres de liberté et des islamistes désireux dappliquer la charia, réussissent à sentendre. Le pouvoir fait tout ce quil peut pour les diviser, sans y parvenir jusquà présent. Les Etats-Unis, comme lUnion européenne, réclament une transition rapide, immédiate.
En réalité, malgré les apparences, cette transition a commencé. Le vice-président, Omar Souleiman, a pris les commandes. Il ne sagit plus que de trouver à Hosni Moubarak une sortie à peu près honorable. LEgypte na pas lhabitude de renvoyer ses présidents. Nasser était mort dépuisement en 1970 après dix-huit ans de règne, et Sadate avait été assassiné onze ans plus tard. Moubarak, lui, a pris racine après un record de trois décennies. La rapidité avec laquelle le pays sest embrasé illustre laccélération du temps, à lère dInternet.
En 1952, six mois avaient séparé lincendie du Caire par des éléments incontrôlés et le renversement de la monarchie par des officiers. Cette fois, on a eu limpression que tout allait se jouer en quelques jours. Mais un régime aussi solidement implanté ne se défait pas si vite. Et une démocratie ne sinvente pas du jour au lendemain. Tout en réclamant des élections, lopposition non islamiste sait quelle a besoin de quelques mois pour sy préparer.