PÊCHE
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Langue Français
Poids de l'ouvrage 9 Mo

Extrait

La Maison du péché
Marcelle Tinayre
1902
À mon Amie Marceline Hennequin
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
XI
XII
XIII
XIV
XV
XVI
XVII
XVIII
XIX
XX
XXI
XXII
XXIII
XXIV
XXV
XXVI
XXVII
XXVIII
XXIX
XXX
XXXI
XXXII
XXXIII
La Maison du péché : I
« Qu’en tout temps tes vêtements soient blancs et que l’huile parfumée coule sur ta tête. Jouis de la vie avec la femme que tu aimes, durant les jours rapides
que Dieu t’a donnés sous le soleil, – car il n’y a ni œuvre, ni pensée, ni science, ni sagesse dans le séjour des morts où tu vas en hâte… »
(ECCLÉSIASTE, IX.)Des rideaux blancs, suspendus sur la profonde embrasure de la fenêtre, tamisaient un jour laiteux, déjà pâlissant. Ils enfermaient,
comme dans une claire chapelle, l’enfant qui lisait et rêvait.
Le salon provincial, orné de boiseries et de solives, meublé d’acajou ancien, plus vaste et plus froid, à cette heure crépusculaire. Les
cadres symétriques des portraits, accrochant un reflet de jour, montraient çà et là le profil d’un rinceau brillant et la nervure d’une
acanthe. Mais l’ombre, déjà épaisse aux angles des murs, gagnait insensiblement. La lumière défaillante reculait, reculait encore, et
retenue par les mousselines de la fenêtre, languissait un instant dans leur trame avant de s’évanouir.
De l’enfant penché vers son livre, on ne distinguait que le vêtement noir, éclairé par la ligne pâle du col, et, sur les cheveux d’un blond
de cendre, un peu d’or frissonnant qui s’éteignait.
Près de la cheminée, une forme de femme assise remua confusément, dans les demi-ténèbres. Une voix murmura :
« J’entends la trompe du courrier. L’omnibus traverse la place. Écoutez, Augustin… »
Une vibration sourde, venue de loin, mourait contre les vitres.
« Oui, dit l’enfant, M. Forgerus arrive à Hautfort.
– Je regrette qu’il n’ait pu venir, ce matin, à la messe de première communion, mais il était fatigué par ce grand voyage. C’est un
homme de faible santé. »
Augustin ne répondit pas. Il feuilletait le vieux volume in-quarto, lourd à ses mains frêles. C’était un M a r t y r o l o g e de 1638, illustré de
gravures au burin. On y voyait des brasiers flambants, des colonnades, des proconsuls à casque et à cuirasse, des martyrs
boursouflés, des lions à perruque et de grands anges porteurs de palmes, projetés la tête en bas, dans leurs draperies volantes.
« Fermez votre livre. La nuit vient. Jacquine apportera la lampe tout à l’heure, reprit la voix. Vous pouvez rejoindre monsieur et
mademoiselle Courdimanche sur la terrasse, si cela vous fait plaisir.
– Non, maman. Je suis très bien ici, avec vous.
– Soit ! Un jour de première communion, il faut éviter même les plaisirs innocents. Reposez-vous en pensant à Dieu, mon fils.
– Oh ! cette fois, j’entends la voiture ! » s’écria Augustin.
Le front appuyé aux vitres fraîches, il guettait l’apparition du nouvel hôte dans le chemin roide qui grimpait entre deux haies, vers la
maison. Ce logis patrimonial des Chanteprie, bâti sur l’extrême bord d’un plateau, domine la pente rapide où s’étage Hautfort-le-
Vieux. À droite, le donjon couronne de ses tours ruinées la masse verdoyante du jardin municipal. La porte Bordier, autre fragment de
la forteresse, enjambe la rue qui descend à pic vers la place de l’Église et l’hôpital du comte Godefroy. Ce cintre de pierre moussue
découpe un morceau de paysage – toits enchevêtrés, pavés disjoints, fonds bleuâtres, – précis comme un dessin d’Albert Durer. À
mi-côte, Saint-Jean-de-Hautfort élève un portail Renaissance, un vaisseau soutenu par des arcs-boutants gothiques, un clocher
restauré au XVIIe siècle. Entre les arcades de brique d’un petit cloître, les chapelles et les cyprès du cimetière apparaissent à vol
d’oiseau. Çà et là, parmi les groupes de maisons, on devine les coudes, les lacets des rues, les petites places plantées de tilleuls en
charmilles. La cendre du soir éteint dans une harmonie grise le sombre violet des ardoises, le vermillon des tuiles neuves, le brun
rougeâtre des vieux toits. Des fumées montent. Sous la pâleur irisée du vaste ciel, à droite et à gauche, des ondulations boisées
s’allongent, en demi-cercle, et, vers le Nord, s’échancrent largement pour découvrir un horizon de plaine, infini et bleuissant comme la
mer.
Pas un bruit, pas un roulement de chariot, pas un sifflement de machine : le silence des villes mortes où la vie semble figée dans
l’attente et le souvenir.
Augustin de Chanteprie aimait la petite cité féodale sans industrie, sans commerce, et, toute proche de Paris, tombée à la torpeur de
la province, mais qui retenait dans ses ruines l’âme héroïque et pieuse du passé. Ce paysage aux molles vallées, aux plaines
nuancées d’azur, aux bois de châtaigniers et de chênes, c’était bien la « douce France » des trouvères. Et la maison même, sauvée
des embellissements ridicules et des sacrilèges restaurations, n’avait point changé depuis 1636, – depuis que Jean de Chanteprie,
maître des requêtes, était venu s’y établir.
Les noms et les visages des MM. de Chanteprie étaient familiers à l’enfant, conservés dans sa mémoire comme dans un musée.
C’étaient Jean de Chanteprie, le grand ancêtre, le premier ami de Port-Royal, le magistrat qui, pendant la Fronde, avait conduit, en
robe de palais, avec MM. de Tillemont et de Bernières, la procession des religieuses jansénistes jusqu’à Saint-André-des-Arcs.
C’étaient ses trois fils et ses trois filles, ses neveux, ses descendants : Thérèse-Angélique, morte religieuse, à Port-Royal ; Gaston,
réfugié en Hollande près d’Antoine Arnauld et du Père Quesnel ; Agnès, la convulsionnaire, guérie d’une paralysie des jambes sur le
tombeau du diacre Pâris, – et tant d’autres : Adhémar, le « renégat », l’ami des encyclopédistes ; Jacques, député à la Constituante,
et ces Chanteprie de Hollande réunis à la branche française par le mariage de deux cousins, Jean et Thérèse-Angélique, dont
Augustin était l’unique enfant.
Seul, maintenant, avec sa mère, il représentait cette race des Chanteprie, race obstinée et violente qui s’enferma dans sa foi comme
dans une prison, et, raide d’orgueil sous le cilice, sut disputer, combattre et souffrir.
Et lui, que serait-il, que ferait-il ? La France se passionnait-elle encore pour des controverses théologiques ? Pouvait-on défendre la
foi par l’épée, comme Simon de Hautfort, ou par la plume et la parole, comme Gaston de Chanteprie ?… Écraser l’hérésie, gagner
des âmes, connaître Dieu et le faire connaître, l’aimer et le faire aimer, c’était l’ambition naïve, le grand rêve qu’Augustin de
Chanteprie avait avoué à son confesseur…Une étoile brillait. Des vitres s’illuminèrent. Par le chemin qui contourne l’escarpement du donjon, un homme s’avançait. Il longea le
mur de la terrasse et s’arrêta devant la porte charretière. Le heurtoir de bronze retentit.
« Maman, dit Augustin un peu troublé, c’est M. Forgerus. »
La Maison du péché : II
Une servante, âgée, très haute, très maigre, coiffée d’un bonnet noir, entra dans le salon. Elle déposa sur la cheminée une lampe de
porcelaine commune dont la lueur fit bleuir les fenêtres. M. Forgerus restait immobile, un peu gêné, son chapeau à la main.
C’était un homme de cinquante ans, chauve, à barbe grise, le nez aquilin, les sourcils gros, le regard ferme et circonspect. Il tenait de
l’universitaire et de l’ecclésiastique. Sa redingote était fort démodée, et le cordon de son binocle cassé et renoué en plusieurs
endroits.
« Soyez le bienvenu, monsieur, dit Mme de Chanteprie. Vous n’êtes pas trop fatigué de ce long voyage ?… M. de Grandville se porte
bien ?… Il ne songe pas à revenir en France ?
– L’abbé de Grandville est en parfaite santé, malgré son grand âge, répondit M. Forgerus. Il appartient, corps et âme, à son cher
collège de Beyrouth. Certes, si j’avais mieux

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