Réflexion

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• Publié par: isujohyp
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• Langue: Français
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Le Soir Réflexion 6 d’Algérie Mercredi 23 mars 2011 - PAGE «La liber L té ne d e escend pa r s vers é un peup v le, eil tant a C’étai t ent d’ t ailleurs e les mêm n es : «Ech d aâb your u id…» un peuple doit s’élever jusqu’à la liberté.»Les manifestants n’ont pas concentré leurs Gandhidemandes sur les choses (emploi, augmentation des salaires ou programme de développement Par Nour-Eddine Boukrouh sans précédent) comme crurent bon de le leur pro- poser à la dernière minute Ben Ali, Moubarak et Le réveil dont il est question ici s’applique moins Kadhafi, mais sur la fin du système qui les gouver- à l’extraordinaire vague de révoltes qui est en train ne. Autrement dit, elles portaient sur des idées. Ni de nettoyer les écuries d’Augias du monde arabe, une «démocratie spécifique», ni une «démocratie qu’à un phénomène encore plus extraordinaire : le responsable», mais le système démocratique uni- fait que cette vague semble aller dans le sens de versel dont la description peut tenir en un para- l’Histoire. Je dis «semble» car un Algérien échaudé graphe : une constitution consacrant la séparation craint les douches froides : croyant aller en 1988 des pouvoirs, l'indépendance de la justice, l'égalité vers le meilleur, nous nous sommes vite retrouvés de tous devant la loi, la liberté de conscience et face au pire. Mais d’abord que sont ces révoltes ? d'expression, des élections libres, des mécanismes Un complot de l’étranger ou de la nébuleuse d’Al- de contrôle efficaces pour dissuader et punir la cor- Qaïda comme l’ont affirmé Ben Ali, Moubarak, ruption… Kadhafi et Ali Saleh ? Une brusque volonté de Une révolution de l’esprit ! Voilà ce qui ne nous a déstabiliser leurs pays de la part de peuples répu- pas été donné de voir en terre arabo-musulmane tés pour leur tempérament pacifique ? Il s’est écou- depuis la révélation du Coran, et qui fonde à pen- lé assez de temps pour pouvoir af firmer que ces ser que les peuples arabes ont enfin accédé à l’âge soulèvements qui évoquent des phénomènes tellu- politique, à l’âge des idées. A ce stade, il faut peut- riques ne peuvent pas avoir été orchestrés, et être faire une précision : les peuples qui mènent qu’une pulsion suicidaire ne peut pas se propager groupe d’intellectuels qui a déclenché la tempête, actuellement des révolutions dans leurs pays ne d’un peuple à un autre. Cette contagion est celle mais le geste d’une policière giflant un marchand sont pas tout à fait ceux d’hier. La dénomination est d’un ras-le-bol général devant les excès du despo - ambulant que n’habitait aucune intention politique. la même mais le contenu physique et surtout intel - tisme, et la propagation à une même aire culturelle Comme dans la fameuse théorie de «l'effet lectuel a changé dans de fortes proportions. de la volonté des peuples de se réapproprier leur papillon» en vertu de laquelle le battement d'aile L’avant-garde qui a mis le feu aux poudres est souveraineté. L’éruption à laquelle on assiste d'un papillon à un bout du monde peut provoquer constituée de générations écloses au sein de ces marque le réveil tardif des Arabes dans un monde un ouragan à l’autre bout, le geste de Mohammed mêmes peuples, mais avec des représentations qui a beaucoup changé au cours des dernières Bouazizi a enflammé l’aire arabe et brûlé plusieurs mentales nouvelles dont la formation a été favori- décennies. La géopolitique, l’économie, la techno- despotes. Et la liste n’est pas close. Dans une sée par les technologies de l’information et les logie, le climat, les médias, les idées, ont connu de récente lecture, je suis tombé sur une citation du chaînes satellitaires. Tout le monde convient du profonds remaniements sans perturber leur quiétu - président Bourguiba où il disait : «J'ai fait d'une rôle joué dans la mobilisation par les réseaux de séculaire. Dans les années qui ont suivi la chute poussière d'individus un peuple de citoyens.» Le sociaux. Internet a of fert à ces générations des du mur de Berlin, la plupart peuple arabe le plus moderni- modes d’échange et d’information qui leur ont per- des nations qui vivaient sous Quevontrapporterlesrévolutions sé, grâce au système éducatif mis de préparer le terrain à une action concertée, le joug de pouvoirs totali- mis en place par Bourguiba transformant du même coup une poussière d’indi- auxpeuplesquilesontréalisées? taires ont réalisé l'une après justement, a réussi la première vidus interconnectés en société, la rue en opinion Ceuxquin’avaientpasdepétrolene l'autre leur transition démo - révolution démocratique dans publique, et les habitants en peuple. vontpaslevoirjaillirdeleursous-sol; cratique. Depuis, elles vivent le monde arabe, entraînant Toynbee écrivait il y a un demi-siècle : «Une en paix et poursuivent leur lespauvresneserontcertainement dans son sillage plusieurs société est le produit des relations entre individus. mise à niveau économique, d’entre eux. Celles-ci proviennent de la coïncidence de leurs pasbeaucoupplusrichesqu’avant; sociale et culturelle pour se En trois semaines le problè- champs d’action individuels. Cette coïncidence per- leschômeursnevontpastrouverde mettre au diapason des me était réglé. Il y a eu certes met la jonction de tous ces champs particuliers en travaildujouraulendemain;tousles nations développées. Dans des pillages et de la casse, un terrain commun que nous appelons "société". La manifestantsnevontpasaccéderau les pays arabes où les habi- phénomènes inévitables lors société est le réseau complet des relations entre tants ont souffert autant, de mouvements de foules en les êtres humains. pouvoir…Maisd’oresetdéjà,ilsse sinon plus, du despotisme, colère, mais les émeutes ont Les composantes de la société ne sont pas, par sententplusdignes,plusprochesles de l'injustice et de la pauvre - vite pris les contours d'une conséquent, les êtres humains, mais les relations té, ceux-ci ne semblaient fré- unsdesautres,plusfiersdeleurpays qui existent entre eux.» En quelques semaines, les authentique révolution poli- e mir qu'à l'idée d'une transi- tique. On n'a bientôt plus parlé Tunisiens et les Égyptiens ont basculé dans le XXI etdeleurEtat,plusrespectésdansle tion vers un Etat islamique de pain et de cherté de la vie, siècle, rejoignant la conception universelle des monde. mythique, donnant l'impres - mais de dignité, de liberté, de droits de l’homme et ef façant le souvenir de leur sion de chercher à tout prix à démocratie et de comptes à ancien statut de moutons de Panurge qui ne s'éloigner des valeurs universelles et à prendre à rendre par le dictateur. La carte intellectuelle du s’ébrouaient que pour acclamer un «zaïm», fêter contresens le chemin de l’Histoire. Ils étaient globa- monde arabo-musulman se caractérisait jusque-là des victoires de football, ou réagir à des «atteintes lement méprisés pour leur asservissement consen- par des îlots de conscience à l’islam» par un écrivain en Desmégalomanesdefaibleniveau ti et leur maintien loin des standards internationaux, moderne et des océans de mal de publicité ou un caricatu- jusqu'à ce que le peuple tunisien pulvérise ce cliché conscience archaïque. Un intellectuelengénéral,desmalades lariste «anar». C’est vraiment honteux. Les voilà désormais frémissant du Golfe à intellectuel libanais, fin d'une ère, d'une mentalité, mentauxpourcertainsetdesvoleurs l’Atlantique à l’idée d’une transition vers la démo- Ghassan Tuéni, voulant ana- d'un modèle sociologique. danspresquetouslescas,ontrégné cratie. lyser l'échec de la «renais - L’idée que la souveraineté selonleurbonvouloir,infantilisantà L'exemple tunisien a stimulé le peuple égyptien ; sance arabe» dans tous les appartient au peuple a mis desseinleurspeuplespourmieuxles à son tour, l'exemple égyptien a donné du courage domaines depuis la fin du quatorze siècles à germer e à d'autres peuples en Afrique du Nord et au Moyen- XIX siècle, a choisi de don- dans le monde arabo-musul- mainteniràl’âgedeschoses,tandis Orient. Ce que l’Histoire ne nous a pas donné à voir ner pour titre à l’ouvrage man, et nous sommes les heu- qu'ilsfaisaientcroireàl'Occidentqu’ils en des siècles, pour ne pas dire jamais, elle nous qu’il a consacré à la ques- reux contemporains de cette l’a servi à profusion en l’espace de quelques tion «Un siècle pour rien». étaientenpersonnelesgarantsdela germination. Hormis le cas semaines, nous gavant d’images et de spectacles C’était tout dire. unique d’Omar Ibn Abdelaziz, paixauProche-Orient,lesremparts qu’on n’espérait pas voir de notre vivant. Incrédules Mais ce constat rend ce calife omeyade qui voulût contrel'islamisme,oulesgardes-fron- d’abord, les masses arabes ont suivi cette réaction encore plus surprenants les restituer un pouvoir dynastique tièrescontrelamenacemigratoire. en chaîne à travers la couverture permanente des évènements que nous qu’il jugeait illégitime, aucun chaînes satellitaires qu’on peut créditer d’un hono - vivons depuis deux mois. dirigeant arabo-musulman ne rable pourcentage dans le succès de ces révolu - Comment les expliquer ? Comment comprendre s'est jamais remis en cause, ne quittant le pouvoir tions, et découvert que le changement était pos- que des peuples longtemps résignés et soumis que mort ou chassé par un autre candidat au des- sible pour ceux qui le voulaient. aient subitement mûri, et qui plus est les uns à la potisme. Le vent de la liberté est venu de là où personne suite des autres ? Sans préavis, les peuples arabes Le monde arabe n'a pas connu d'exemple ne l'attendait. En Tunisie même, il est parti d'un sont passés l’un à la suite de l’autre à l’âge des comme celui de Nelson Mandela, vénéré aujour- bourg de l'intérieur du pays. Et dans ce bourg lui- idées comme l’attestent les slogans et les déclara- d'hui dans le monde entier pour sa hauteur de vue même, ce n'est pas un parti, un syndicat ou un tions qu’on a entendus et lus sur les banderoles. et son désintéressement personnel.