Utopie versus Eutopie : essai psychanalytique entre Savoir, Symptômes et Jouissance.
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Description

Au décours d'une séance du séminaire de 1968-69 intitulé D'un Autre à l'autre, Lacan interroge les apories de la réponse. Prolongeons cette réflexion entre Savoir, Symptômes et Jouissance.

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Publié le 26 février 2013
Nombre de lectures 284
Langue Français

Extrait

Utopie versus Eutopie , ou les apories de la réponse …
Commentaire autour de la séance XXI (p. 327 à 337) du séminaire XVI (1968-69)
de J. Lacan : « D'un Autre à l'autre »
L'Utopia, néologisme grec, fut forgé par Thomas More en 1516, pour désigner la société
idéale qu'il décrivit dans son œuvre éponyme. Ce terme est composé d'une préposition
négative u et de topos, le lieu. Le sens de l'utopie serait donc une sorte de « sans lieu », un
lieu qui ne se trouverait « nulle part ».
Laissons de côté la bifurcation qui, à une lettre près, mène à la médecine. Celle-ci parle
d'atopie, pour qualifier un domaine imprécis et que l'on ne sait pas où classer. Un domaine,
pour ainsi dire atypique comme celui du terrain prédisposant aux allergies par exemple.

Thomas More, dans l'en-tête de l'édition de 1518 de son Utopia, utilisa le terme d'Eutopia
pour désigner, cette fois, le lieu imaginaire de sa société idéale. Ce second néologisme ne
repose plus sur la négation u mais sur le préfixe eu qui signifie bon et que l'on retrouve dans
l’euphorie par exemple, avec eu-pherein signifiant ''bon transport'', c'est-à-dire ''grande
joie''.
L'Eutopie évoque, par conséquent, le bon lieu et noue d'étroits et de curieux rapports avec le
lieu d'absence de l'utopie... de là à penser le bon lieu comme l'absence même, et
inversement… il y a un pas, à propos duquel, je vous propose de réfléchir ensemble.

De ce préambule il ressort un premier paradoxe, puisqu'il est question d'un rendez-vous en
un lieu, dont aucune coordonnée ne permet la localisation.
A cet instant du texte, permettez-moi de vous parler de mes vacances. Cet été près d'une
piscine de la péninsule ibérique, j'observais la personne chargée de son entretien, passer le
balai aspirant pour en nettoyer le fond. Mon fils, avec la fraîcheur propre à l'enfance, me fit
remarquer ce dont la photo ci-dessous témoigne. Elle montre, en effet, la variation
d'incidence de la tige du balai plongée dans l'eau. Nos yeux perçoivent bien le balai au fond
de l'eau, mais pourtant ce n'est pas à l'endroit où notre regard le capte, qu'il se situe en
réalité. Au lieu du rendez-vous visuel, pas la moindre brosse ne s'y trouve...
Autrement dit, là où nous le voyons, il n'est pas, et là où il se trouve, nous n'y voyons que du
feu, ou plutôt que de l'eau …
1Le « bon » balai-aspirant se trouve en un lieu vide, autrement dit, la brosse eutopique est
utopique. Et ce lieu vide, nous ne pourrons, dès lors, l'approcher que par soustraction. Il sera
un point apophatique situé exactement là, où l'ensemble de tous les autres points ayant une
coordonnée ne sont pas.
C'est un lieu qui n'a pas lieu d’être mais qui, comme le mécanisme d'aspiration de notre
balai aquatique, est un lieu de fantasme. Celui qu'une utopie, ne le soit plus, c'est-à-dire,
qu'une illusion se réalise ; et plus loin, une aspiration au désir, que cette utopie persiste (car
le désir s’oppose fondamentalement à son aboutissement).
« Le névrosé met en question ce qu'il en est de la vérité du savoir, nous dit Lacan. Il le fait
1en ceci que le savoir apprend à la jouissance » …
2En quoi cette jouissance que je qualifierai étymologiquement d'idiote est-elle utopique au
sens de More, et comment du savoir pourrait-il ainsi s'approcher d’un non-lieu ?
Ce qui permet l'émergence d'un bout de savoir au travers de la cure, c'est le symbolique,
autrement dit, le fait de parler. Pour entendre cet effet d'éclairage, il faut accepter d'ouvrir
son bec, de laisser couler la jactance mais aussi de ne pas rester bouche bée, par l'effet
sidérant d'une compréhension définitive. «Si vous croyez avoir compris, vous avez sûrement
3tort » lance Lacan à lacan...tonade.
Mais voilà qu'un nouveau paradoxe apparaît : ce symbolique, passerelle de lumière vers les
ténèbres de l'inconscient, est aussi le pont-levis qui exclura l'accès à la jouissance...
Alors, avant d'examiner plus précisément l'articulation entre savoir et jouissance, faisons
une excursion historique, puisque Lacan nous y invite, et partons à la rencontre d'un homme
d'église, nommément l’évêque Wilkins.
L'évêque Wilkins, langage et nullibieté :
John Wilkins (1614-1672) rédigea un livre intitulé, Natural Magick, pendant une période de
l’histoire ou beaucoup de faits considérés jusqu'alors comme « magiques » étaient de plus
en plus souvent expliqués de façon mécanique ou scientifique.
Il s'employa, dans cet ordre d'idées, à réaliser un mouvement perpétuel, par la mise au point
d'un dispositif mécanique schématisé ci-après. Celui-ci se composait de deux rampes
inclinées, d'une bille de fer et d'un aimant fixé au sommet d'une colonne. L’aimant (A)
attirait la bille (E) en haut de la rampe droite. Cette bille, en passant par un trou (B) ménagé
dans le haut de la rampe, tombait sur la rampe placée juste en dessous, puis, devait rouler
vers le bas, jusqu'au trou (F). Elle était alors à nouveau attirée par l’aimant, entamant un
nouveau trajet ascensionnel.
1 Lacan J., (1968-69), D'un Autre à l'autre, Le Séminaire, Livre XVI, Seuil Paris, 2006, p. 334
2 Du latin idiotès, ignorante. (Dic. étymologique de la langue française, Bloch O., Von Wartburg W., PUF 2002, P. 329)
3 Lacan J., (1953-54), Les écrits techniques de Freud, Le Séminaire, Livre I , Seuil, 1998, p. 181
2Malgré ses espoirs, Wilkins dû constater que la bille ne tombait jamais dans le trou (B),
mais remontait directement se coller à l’aimant, en passant par-dessus l'orifice. Un aimant
moins puissant n'aurait pas suffisamment attiré la bille, alors qu'un trop puissant ne la
laissait plus s'éloigner de lui.
De nos jours encore, de nombreux inventeurs et scientifiques nourrissent l’espoir que les
progrès technologiques puissent permettre de réaliser un tel mouvement, sans contrevenir
aux lois de la thermodynamique ; réaliser un mouvement perpétuel, qui d'une certaine façon
se ''contiendrait'' lui-même, sans intervention tierce ni effet de perte..., et on entend résonner
là, un écho lacanien : « Un discours qui aspire à pouvoir entièrement se recouvrir soi-même
4rencontre des limites ».
L'impossibilité, pour la bille, d’échapper à l'attraction de l'aimant et plus généralement
l’sibilité du mouvement perpétuel à produire sa propre énergie, ne constituent-ils pas
une métaphore respectivement de la pulsion et du réel selon Lacan ? Ne peut-on entrevoir,
dans ce montage, une préfiguration du ruban de Möbius (décrit deux siècles plus tard) avec
sa surface unilatère ? Face unique, ne laissant d'accès vers une deuxième face, que par effet
de coupure ; tout comme l'est le difficile accès à l'autre versant du discours – discours
inconscient – du fait du procès analytique.
*
Mais laissons cet aspect-là des recherches techniques de l’évêque et arrivons-en à ce
pourquoi Wilkins s'est fait connaître en matière de langage.
La tour de Babel dont parle l'ancien testament, évoque le désordre mis intentionnellement
dans le langage des humains. Ceux-ci, ne se comprenant plus, ne purent continuer de
construire une tour dont le sommet menaçait de tutoyer le ciel. Depuis cette époque, dit la
bible, les humains ne parlent plus la même langue et n'ont pas encore réussi à se mettre
d'accord sur l'usage d'une langue commune.
Wilkins imagina un système d’écriture basé, non sur un alphabet, mais sur un système
idéographique compréhensible internationalement. Il travailla six ans à ce projet qu’il
présenta en 1668, sous le titre, An essay towards a real character and a philosophical
language. Sa première tentative fut une sorte de langue véhiculaire (ou pivot), dans laquelle
pouvaient être traduites toutes les langues vernaculaires. Très vite, il eut le projet de
4 Lacan J., (1968-69), D'un Autre à l'autre, Le Séminaire, Livre XVI, 2006, p. 330.
3dépasser cette langue utilitaire, pour créer une langue véritablement « philosophique » selon
sa dénomination.
Il entendait créer une langue qui serait le miroir parfait du monde qui nous entoure. Non pas
une langue faite de mots tels que nous les connaissons, mais de "caractères" qui n’auraient
pas l’ambiguïté du langage. Ainsi son "real character" serait si pr

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