Lectures analytiques Samuel Beckett
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Lectures analytiques : Samuel Beckett,En Attendant GodotExtrait 1 :Acte I, scène d'exposition (p 9 à 12)

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Langue Français

Extrait

Lectures analytiques : Samuel Beckett,
En Attendant Godot
Extrait 1 :
Acte I, scène d'exposition (p 9 à 12)
Route à la campagne, avec arbre. Soir.
Estragon, assis sur une pierre, essaie d'enlever sa chaussure. Il s'y acharne des deux mains, en ahanant. Il
s'arrête, à bout de forces, se repose en haletant, recommence. Même jeu.
Entre Vladimir.
ESTRAGON. –
(renonçant à nouveau
) Rien à faire.
VLADIMIR. –
(s'approchant à petits pas raides, les jambes écartées)
Je commence à le croire.
(Il
s'immobilise.)
J'ai longtemps résisté à cette pensée, en me disant, Vladimir, sois raisonnable. Tu n'as pas
encore tout essayé. Et je reprenais le combat.
(Il se recueille, songeant au combat. A Estragon.)
Alors ? te
revoilà, toi.
ESTRAGON. – Tu crois ?
VLADIMIR. – Je suis content de te revoir. Je te croyais parti pour toujours.
ESTRAGON. – Moi aussi.
VLADIMIR. – Que faire pour fêter cette réunion ?
(Il réfléchit)
Lève-toi que je t'embrasse.
(Il tend la main à
Estragon.)
ESTRAGON. –
(avec irritation)
Tout à l'heure, tout à l'heure.
Silence.
VLADIMIR. –
(froissé, froidement)
Peut-on savoir où monsieur a passé la nuit ?
ESTRAGON. – Dans un fossé.
VLADIMIR. –
(épaté)
Un fossé ! où ça ?
ESTRAGON. –
(sans geste)
Par là.
VLADIMIR. – Et on ne t'a pas battu ?
ESTRAGON. – Si... Pas trop.
VLADIMIR. – Toujours les mêmes ?
ESTRAGON. – Les mêmes ? Je ne sais pas.
Silence.
VLADIMIR. – Quand j'y pense... depuis le temps... je me demande... ce que tu serais devenu... sans moi...
(Avec décision)
Tu ne serais plus qu'un petit tas d'ossements à l'heure qu'il est, pas d'erreur.
ESTRAGON.
– (piqué au vif)
Et après ?
VLADIMIR. –
(accablé)
C'est trop pour un seul homme.
(Un temps. Avec vivacité.)
D'un autre côté, à quoi
bon se décourager à présent, voilà ce que je me dis. Il fallait y penser il y a une éternité, vers 1900.
ESTRAGON. – Assez. Aide-moi à enlever cette saloperie.
VLADIMIR. – La main dans la main on se serait jeté en bas de la tour Eiffel, parmi les premiers. On portait
beau alors. Maintenant il est trop tard. On ne nous laisserait même pas monter. (
Estragon s'acharne sur sa
chaussure.)
Qu'est-ce que tu fais ?
ESTRAGON. – Je me déchausse. Ça ne t'est jamais arrivé, à toi ?
VLADIMIR. – Depuis le temps que je te dis qu'il faut les enlever tous les jours. Tu ferais mieux de
m'écouter.
ESTRAGON. – (
faiblement
) Aide-moi !
VLADIMIR. – Tu as mal ?
ESTRAGON. – Mal ! Il me demande si j'ai mal !
VLADIMIR. –
(avec emportement)
Il n'y a jamais que toi qui souffres ! Moi je ne compte pas. Je voudrais
pourtant te voir à ma place. Tu m'en dirais des nouvelles.
ESTRAGON. – Tu as eu mal ?
VLADIMIR. – Mal ! Il me demande si j'ai eu mal !
ESTRAGON. –
(pointant l'index)
Ce n'est pas une raison pour ne pas te boutonner.
VLADIMIR. –
(se penchant)
C'est vrai.
(Il se boutonne.)
Pas de laisser-aller dans les petites choses.
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Lectures analytiques : Samuel Beckett,
En Attendant Godot
Extrait 2 :
Acte I (p 47 – 49)
ESTRAGON. – - Il voit tout en noir aujourd'hui.
POZZO - Sauf le firmament.
(Il rit, content de ce bon mot)
Patience, ça va venir. Mais je vois ce que c'est,
vous n'êtes pas d'ici, vous ne savez pas encore ce que c'est que le crépuscule chez nous. Voulez-vous que je
vous le dise ? (
Silence. Estragon et Vladimir se sont remis à examiner, celui-là sa chaussure, celui-ci son
chapeau. Le chapeau de Lucky tombe, sans qu'il s'en aperçoive.)
Je veux bien vous satisfaire. (
Jeu du
vaporisateur).
Un peu d'attention, s'il vous plaît. (
Estragon et Vladimir continuent leur manège. Lucky dort
à moitié. Pozzo fait claquer son fouet, qui ne rend qu'un bruit très faible.)
Qu'est-ce qu'il a ce fouet ? (
Il se
lève et le fait claquer plus vigoureusement, finalement avec succès. Lucky sursaute. La chaussure
d'Estragon, le chapeau de Vladimir leur tombent des mains. Pozzo jette le fouet)
. Il ne vaut plus rien ce
fouet. (
Il regarde son auditoire)
Qu'est-ce que je disais ?
VLADIMIR. – Partons
ESTRAGON. – Mais ne restez pas debout comme ça, vous allez attraper la crève.
POZZO - C'est vrai.
(Il se rassied. A Estragon)
Comment vous appelez-vous?
ESTRAGON. –
(Du tic au tac
) - Catulle.
POZZO (
qui n'a pas écouté)
- Ah oui, la nuit (
Lève la tête.)
Mais soyez donc un peu plus attentifs, sinon
nous n'arriverons jamais à rien. (
Regarde le ciel.)
Regardez. (
Tous regardent le ciel, sauf Lucky qui s'est
remis à somnoler. Pozzo s'en apercevant, tire sur la corde.)
Veux-tu regarder le ciel, porc ! (
Lucky renverse
la tête.)
Bon ça suffit. (
Ils baissent la tête.)
Qu'est-ce qu'il a de si extraordinaire ? En tant que ciel ? Il est
pâle et lumineux, comme n'importe quel ciel à cette heure de la journée. (
Un temps.)
Dans ces latitudes. (
Un
temps.)
Quand il fait beau. (
Sa voix se fait chantante.)
Il y a une heure environ (
Il regarde sa montre, ton
prosaïque)
après nous avoir versé depuis
(Il hésite, le ton baisse)
mettons dix heures du matin (
le ton s'élève)
sans faiblir des torrents de lumière rouge et blanche, il s'est mis à perdre de son éclat, à pâlir (
geste des deux
mains qui descendent par paliers),
à pâlir,
toujours un peu plus, un peu plus, jusqu'à ce que
(pause
dramatique, large geste horizontal des deux mains qui s'écartent)
... vlan ! fini ! il ne bouge plus ! (
Silence.)
Mais
(Il lève une main admonitrice) -
mais, derrière ce voile de douceur et de calme (
il lèvre les yeux au ciel,
les autres l'imitent sauf Lucky)
la nuit galope (
la voix se fait plus vibrante)
et viendra se jeter sur nous
(il fait
claquer ses doigts)
pfft ! comme ça – (l'inspiration
le quitte)
au moment où nous nous y attendrons le moins.
(Silence. Voix morne).
C'est comme ça que ça se passe sur cette putain de terre.
Long silence.
ESTRAGON. – Du moment qu'on est prévenus.
VLADIMIR. – On peut patienter.
ESTRAGON. – On sait à quoi s'en tenir.
VLADIMIR. – Plus d'inquiétude à avoir.
ESTRAGON. – Il n'y a qu'à attendre.
VLADIMIR. – Nous en avons l'habitude. (
Il ramasse son chapeau, regarde dedans, le secoue, le remet).
POZZO - Comment m'avez-vous trouvé ? (
ESTRAGON. – et VLADIMIR. – le regardent sans comprendre.)
Bon ? Moyen ? Passable ? Quelconque ? Franchement mauvais ?
VLADIMIR. – (c
omprenant le premier)
Oh, très bien, tout à fait bien.
POZZO - Et vous,monsieur ?
ESTRAGON. – (
accent anglais)
Oh très bon, très très très bon.
POZZO (
avec élan)
- Merci, messieurs !
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Lectures analytiques : Samuel Beckett,
En Attendant Godot
Extrait 3 : Fin de l'Acte I
La lumière se met brusquement à baisser. En un instant il fait nuit. La lune se lève, au fond, monte dans le ciel,
s’immobilise, baignant la scène d’une clarté argentée.
VLADIMIR. – Enfin !
(ESTRAGON. – se lève et va vers Vladimir, ses deux chaussures à la main. Il les dépose près de
la rampe, se redresse et regarde la lune.)
Qu’est-ce que tu fais ?
ESTRAGON. – Je fais comme toi, je regarde la blafarde.
VLADIMIR. – Je veux dire avec tes chaussures.
ESTRAGON. – Je les laisse là.
(Un temps)
Un autre viendra, aussi… aussi… que moi, mais chaussant moins grand, et
elles feront son bonheur.
VLADIMIR. – Mais tu ne peux pas aller pieds nus.
ESTRAGON. – Jésus l’a fait.
VLADIMIR. – Jésus ! Qu’est ce que tu vas chercher là ! Tu ne vas tout de même pas te comparer à lui ?
ESTRAGON. – Toute ma vie je me suis comparé à lui.
VLADIMIR. – Mais là-bas il faisait chaud ! Il faisait bon !
ESTRAGON. – Oui. Et on crucifiait vite.
Silence.
VLADIMIR. – Nous n’avons plus rien à faire ici.
ESTRAGON. – Ni ailleurs.
VLADIMIR. – Voyons, Gogo, ne sois pas comme ça. Demain tout ira mieux.
ESTRAGON. – Comment ça ?
VLADIMIR. – Tu n’as pas entendu ce que le gosse a dit ?
ESTRAGON. – Non.
VLADIMIR. – Il a dit que Godot viendra sûrement demain.
(Un temps)
Ça ne te dit rien ?
ESTRAGON. – Alors il n’y a qu’à attendre ici.
VLADIMIR. – Tu es fou ! Il faut s’abriter.
(Il prend Estragon par le bras.)
Viens.
(Il le tire. Estragon cède d’abord,
puis résiste. Ils s’arrêtent.)
ESTRAGON. –
(regardant l’arbre)
. – Dommage qu’on n’est pas un bout de corde.
VLADIMIR. – Viens. Il commence à faire froid.
(Il le tire. Même jeu.)
ESTRAGON. – Fais-moi penser d’apporter une corde demain.
VLADIMIR. – Oui. Viens.
(Il le tire. Même jeu.)
ESTRAGON. – Ça fait combien de temps que nous sommes tout le temps ensemble ?
VLADIMIR. – Je ne sais pas. Cinquante ans peut-être.
ESTRAGON. –Tu te rappelles le jour où je me suis jeté dans la Durance ?
VLADIMIR. – On faisait les vendanges.
ESTRAGON. – Tu m’as repêché.
VLADIMIR. – Tout ça est mort et enterré.
ESTRAGON. – Mes vêtements ont séchés au soleil.
VLADIMIR. – N’y pense plus, va. Viens.
(Même jeu.)
ESTRAGON. – Attends.
VLADIMIR. – J’ai froid.
ESTRAGON. – Je me demande si on n’aurait pas mieux fait de rester seuls, chacun de son côté.
(Un temps)
. On
n’était pas fait pour le même chemin.
VLADIMIR. –
(sans se fâcher).
– ce n’est pas sûr.
ESTRAGON. – Non, rien n’est sûr.
VLADIMIR. – On peut toujours se quitter, si tu crois que ça vaut mieux.
ESTRAGON. – Maintenant ce n’est plus la peine.
Silence.
VLADIMIR. – C’est vrai, maintenant ce n’est plus la peine.
Silence.
ESTRAGON. – Alors, on y va ?
VLADIMIR. – Allons-y.
Ils ne bougent pas.
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Lectures analytiques : Samuel Beckett,
En Attendant Godot
Extrait 4 : Acte II (p 116-119)
VLADIMIR. – Comme vous avez changé ! (
Lucky, chargé des bagages, vient se placer devant Pozzo.)
POZZO. – Fouet ! (
Lucky dépose les bagages, cherche le fouet, le trouve, le donne à Pozzo, reprend les bagages.)
Corde ! (
Lucky dépose les bagages, met le bout de la corde dans la main de Pozzo, reprend les bagages.)
VLADIMIR. – Qu’est ce qu’il y a dans la valise ?
POZZO. – Du sable.
(Il tire sur la corde.)
En avant ! (
Lucky s’ébranle, Pozzo le suit.)
VLADIMIR. – Ne partez pas encore.
POZZO
(s’arrêtant)
. – Je pars.
VLADIMIR. – Que faites-vous quand vous tombez loin de tout secours ?
POZZO. – Nous attendons de pouvoir nous relever. Puis nous repartons.
VLADIMIR. – Avant de partir, dites-lui de chanter.
POZZO. – A qui ?
VLADIMIR. – A Lucky.
POZZO. – De chanter ?
VLADIMIR. – Oui. Ou de penser. Ou de réciter.
POZZO. – Mais il est muet.
VLADIMIR. – Muet !
POZZO. – Parfaitement. Il ne peut même pas gémir.
VLADIMIR. – Muet ! Depuis quand ?
POZZO
(soudain furieux)
. – Vous n’avez pas fini de m’empoisonner avec vos histoires de temps ? C’est insensé !
Quand ! Quand ! Un jour, ça ne vous suffit pas, un jour pareil aux autres il est devenu muet, un jour je suis devenu
aveugle, un jour nous deviendrons sourds, un jour nous sommes nés, un jour nous mourrons, le même jour, le même
instant, ça ne vous suffit pas ?
(Plus posément.)
Elles accouchent à cheval sur une tombe, le jour brille un instant, puis
c’est la nuit à nouveau.
(Il tire la corde.)
En avant !
Ils sortent. Vladimir les suit jusqu’à la limite de la scène, les
regarde s’éloigner. Un bruit de chute, appuyé par la mimique de Vladimir, annonce qu’ils sont tombés à nouveau.
Silence. Vladimir va vers Estragon qui dort, le contemple un moment, puis le réveille.
ESTRAGON. –
(gestes affolés, paroles incohérentes. Finalement)
. – Pourquoi tu ne me laisses jamais dormir ?
VLADIMIR. – Je me sentais seul.
ESTRAGON. – Je rêvais que j’étais heureux.
VLADIMIR. – Ça a fait passer le temps.
ESTRAGON. – Je rêvais que...
VLADIMIR. –Tais-toi !
(Silence.)
Je me demande s'il est vraiment aveugle.
ESTRAGON. – Qui ?
VLADIMIR. – Un vrai aveugle dirait-il qu'il n'a pas la notion du temps ?
ESTRAGON. – Qui ?
VLADIMIR. – Pozzo.
ESTRAGON. – Il est aveugle ?
VLADIMIR. – Il nous l'a dit.
ESTRAGON. – Et alors ?
VLADIMIR. – Il m'a semblé qu'il nous voyait.
ESTRAGON. – Tu l'as rêvé. (
Un temps.)
Allons-nous en. On ne peut pas. C'est vrai. (
Un temps.)
Tu es sûr que ce
n'était pas lui ?
VLADIMIR. – Qui ?
ESTRAGON. – Godot ?
VLADIMIR. – Mais qui ?
ESTRAGON. – Pozzo.
VLADIMIR. – Mais non! Mais non ! (
Un temps.)
Mais non.
ESTRAGON. – Je vais quand même me lever. (
Se lève péniblement)
Aïe !
VLADIMIR. – Je ne sais plus quoi penser.
ESTRAGON. – Mes pieds ! (
Il se rassied, essaie de se déchausser)
Aide-moi !
VLADIMIR. – Est-ce que j'ai dormi pendant que les autres souffraient ? Est-ce que je dors en ce moment ? Demain,
quand je croirais me réveiller, que dirai-je de cette journée ? Qu'avec Estragon mon ami, à cet endroit, jusqu'à la
tombée de la nuit, j'ai attendu Godot ? Que Pozzo est passé et qu'il nous a parlé ? Sans doute. Mais dans tout cela qu'y
aura-t-il de vrai ?
(Estragon, s'étant acharné en vain sur ses chaussures, s'est assoupi à nouveau. Vladimir le regarde.)
Lui ne saura rien. Il parlera des coups qu'il a reçus et je lui donnerai une carotte. (
Un temps.)
A cheval sur une tombe et
une naissance difficile. Du fond du trou, rêveusement, le fossoyeur applique ses fers. On a le temps de vieillir. L'air est
plein de nos cris.
(Il écoute)
Mais l'habitude est grande sourdine.
(Il regarde Estragon.)
Moi aussi, un autre me
regarde, en se disant, il dort, il ne sait pas qu'il dorme. (
Un temps.)
Je ne peux pas continuer. (
Un temps.)
Qu'est-ce que
j'ai dit ?
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