68
pages
Français
Documents
2011
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement
Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement
68
pages
Français
Ebook
2011
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
IEP Paris – Les sujets corrigés de Laurence Hansen-Løve
Laurence Hansen-Løve
Prépa Sciences Po (IEP Paris)
10 sujets corrigés
Sommaire
L’histoire n’est-elle qu’une suite d’événements ? .........................................................2
En quoi consiste ma dignité ? .....................................................8
Qu’est-ce qu’un esprit juste ?................................14
Une majorité exprime-t-elle une force ou un droit ?..................21
"La peur n’est pas une vision du monde" » Kurt von Hammerstein............................ 26
Qui est autorisé à me dire « tu dois » ?...................................................................... 34
L’homme démocratique peut-il se passer de dieux ?................. 38
Prendre la parole, est-ce prendre le pouvoir ? .......................................................... 48
Gouverner c’est prévoir ........................................................... 57
En quoi consiste ma dignité ?................................................... 62
1 IEP Paris – Les sujets corrigés de Laurence Hansen-Løve
L’histoire n’est-elle qu’une suite d’événements ?
Introduction
L’histoire de l’humanité n’est pas une collection de faits. Ni les faits quelconques ni les faits
dits « historiques » ne sont donnés dans une expérience brute qui constituerait la matrice d’une
histoire objective et significative. Seuls sont retenus les faits qui « font événement », c’est-à-dire
ceux qui ont une importance certaine pour la communauté en raison de leur caractère
significatif, exceptionnel, ou jugé tel. Aussi les livres d’histoire tendent-ils à nous présenter le
récit de notre passé comme une suite d’événements, c’est-à-dire une série de faits ayant eu un
retentissement indéniable.
Cependant la détermination de ce qui constitue un événement revient-il à ceux qui en
furent les témoins ou les acteurs, ou bien la capacité d’identification rétrospective de ce qui
« fit événement » appartient-elle aux historiens, seuls en mesure de les considérer avec le recul
indispensable ? En d’autres termes, comment apprécier l’impact d’un événement sans le
contextualiser, c’est-à-dire sans le situer dans une époque et une structure définies après coup,
telle que « l’entre deux guerres » par exemple ? Car si l’issue d’une bataille annonce la chute
d’un empire - autre exemple - ceux qui y assistent ne peuvent pas anticiper ce qui viendra
ensuite ! En d’autres termes, comment ceux qui vivent l’histoire au présent pourraient-ils
articuler correctement les événements les uns aux autres, et suivant quel fil
conducteur peuvent-ils le faire ? Doit-on, plus fondamentalement, présupposer que l’histoire
comporte une trame intelligible, ou doit-on se contenter de regarder défiler des faits et les
événements en s’abstenant de les juger et de les hiérarchiser, comme on regarderait passer un
train ou bien tomber la pluie ?
I. L’histoire semble n’être constituée que d’une suite
d’événements
Nous parlons ici de l’histoire en tant que récit, c’est-à-dire de l’histoire qui figure dans les
livres d’histoire.
1. La représentation de l’histoire dans les livres d’histoire met en relief une série
d’« événements ».
Événement : du latin evenire, ce qui arrive et a quelque importance pour l’homme, fait
notable. Dans l’histoire traditionnelle, ce sont les débuts et les fins de règnes, les batailles
gagnées et perdues, les déclarations de guerres et les traités, les conquêtes et les catastrophes
naturelles etc.
Exemples d’événements majeurs : la découverte de l’Amérique (1492) par C. Colomb,
l’avènement d’Hugues Capet (987), la publication des Révolutions des orbites célestes de
2 IEP Paris – Les sujets corrigés de Laurence Hansen-Løve
Copernic en 1543, sa condamnation en 1516, le procès de Galilée (1633), le désastre de
Lisbonne (1755). Dans l’époque moderne : l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand
d’Autriche le 28 juin 1914 à Sarajevo, l’annexion des sudètes par Hitler en septembre 1938, les
accords de Munich de septembre 1938, le bombardement de Guernica le 27 avril 1937.
Dans tous les cas cités, le fait est reconnu comme événement ayant eu une portée
universelle. Mais chaque jour se produisent des événements qui sont jugés tels par ceux qui les
vivent (naissance, mariage etc..) sans avoir la moindre portée objective réelle. Entre les deux il
y a tous les événements qui ont une portée restreinte (l’assassinat du préfet Erignac ou la mise
en examen de Julien Dray, par exemple).
2. Tout ce qui ne fait pas événement sera oublié, mis de côté, refoulé
Hegel dit que ce qui n’est pas « historique » (c’est-à-dire ce qui est dénué de toute portée
universelle) est destiné à tomber dans les poubelles de l’histoire. C’est le cas de tout ce qui se
produit et que l’on peut classer dans de multiples catégories. Il y a les faits insignifiants (la
mort du petit chat, sauf que la mort d’un chat en Allemagne peut tout d’un coup faire
événement car il est porteur du virus H5N1) mais aussi les phénomènes diffus et plus ou moins
permanents (comme les crises prolongées), les évolutions lentes (démographie, économie,
mœurs), les phénomènes cycliques (saisons, rentrée scolaire) ou répétitifs (élections, grèves,
agitation sociale…), les progrès moraux et intellectuels (mouvement des Lumières).
Quant à tous ces faits qui ont « fait événement », dans quelle mesure s’agglomèrent-ils pour
constituer une procession linéaire ? « Suite » signifie tantôt « éléments qui se suivent dans le
temps », tantôt « ensemble de termes qui se suivent dans un ordre rationnel, tels que les
nombres ». Donc les événements qui se succèdent constituent-ils une « suite » ? Oui, peut-être,
au sens de série, d’enchaînement chronologique, mais pas au sens de « suite logique ». De plus,
il existe de nombreuses séries parallèles ou indépendantes et non une seule suite englobant
tous les événements suivant une trame unilatérale.
3. La notion d’« événement » pose elle-même problème !
Aujourd’hui on observe qu’un cas de grippe H1N1 découvert en Europe fait événement. Le
premier cas de grippe espagnole dans les années 20 n’a pas fait événement ! Le meurtre de
Ilan Halimi fait événement, mais cela tient à l’importance que nous lui accordons du fait de sa
connotation antisémite, de la publicité donnée à cet assassinat, publicité orchestrée par les
médias dans un contexte donné etc. Un fait comparable aurait pu passer relativement
inaperçu à une autre époque sans TV etc.. Idem pour les fameuses caricatures de Mahomet
(janvier 2005).
Au Moyen Âge, qu’est-ce qui faisait événement, en dehors des naissances et des mariages
princiers, des départs et retours de croisades ? En Europe ? Sur d’autres continents ?
La publication du livre de Copernic a-t-il fait événement ? Un premier cas de choléra est-il
un événement ?
3 IEP Paris – Les sujets corrigés de Laurence Hansen-Løve
Conclusion
L’événement doit être identifié, reconnu. Les événements ne se manifestent pas d’eux-
mêmes. Ils ne portent pas sur leur front leur statut d’événement.
L’identification des événements historiques est le fait de l’Histoire, et donc des historiens.
La conception de l’histoire-suite-d’événements est superficielle et illusoire (illusion :
prendre une apparence pour la réalité)
II. L’histoire n’est pas seulement une suite d’événements
Laissons l’histoire des historiens (ou des journalistes). Parlons tout d’abord de l’histoire en
tant que réalité.
1. Le présent
Avant d’être le passé, étudié par les savants, par les historiens, ce qui deviendra l’histoire
est notre vécu quotidien. De quoi est-elle constituée ? De ce qui importe aux yeux de ceux qui
la vivent. Il s’agit d’un magma de faits ou d’événements évidemment sans grand rapport avec
ce que les historiens retiendront.
De quoi est-elle faite ? D’un enchevêtrement de faits minuscules qui s’inscrivent dans une
toile par ailleurs commune à tous les membres d’une même communauté. Les mêmes faits (ou
événements) n’ont pas du tout le même sens ou la même portée suivant les individus ou les
communaut