Construction de la nation et pluralisme suisses: idéologie et ...
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© (1997) Swiss Political Science Review 3(4): 1-58  
Construction de la nation et pluralisme suisses: idéologie et pratiques  
Didier FROIDEVAUX
    Résumé  Par l'exemple de la construction nationale suisse, l'objectif est de montrer comment les nations modernes oscillent entre les pôles ethnique et civi-que, ou, pour reprendre Tönnies, entre "communauté et société". La Suisse, en raison de nombreuses forces centrifuges (diversité confession-nelle, linguistique, sociale, etc.), n'échappe pas à un processus de "natio-nalisation" ou de "communalisation" au sens wébérien. L'invention de mythes nationaux renvoie à une construction de type ethnique, concréti-sée par l'idée d'exceptionnalité ou d'insularité. L'analyse politologique selon le modèle consociatif  dont les limites sont relevées  s'inscrit dans une même perspective. L'examen du droit de la nationalité conforte à son tour le constat de la prédominance de la conception ethnique, da-vantage que civique, de la nation suisse. En conclusion, les difficultés actuelles face à l'ouverture à l'extérieur et particulièrement à l'Union eu-ropéenne, sont interprétées comme une accentuation de la dimension communautaire de la nation suisse et un retrait de la dimension civique.
 
 
Introduction1 La Suisse est souvent présentée comme un modèle de pluralisme, articulé au-tour de la diversité linguistique et confessionnelle, à quoi sajoutent les di-mensions sociales et politiques, ainsi que lopposition "urbain  rural" ou "ré-gion de plaine  région de montagne". Le fait que la Suisse soit restée à lécart des grandes crises internationales et nait guère connu de crises inté-rieures, renforce lidée, tant en Suisse quà létranger, dune construction uni-
                                                          1Cet article est une version révisée dune communication présentée au colloque Etat, nation, multieth-nicité et droits à la citoyenneté, organisé par Danielle Juteau et la Chaire en relations ethniques de lUniversité de Montréal en mai 1996. Je remercie François Grin, Franz Schultheis, Uli Windisch ainsi que les lecteurs de la RSSP, qui par leurs critiques et suggestions mont amené à préciser ma pensée.
2 DIDIER FROIDEVAUX    que dans son succès, voire même dans sa destinée. Cest ce quexprime le populaire Yen a point comme nous !, ou encore le discours politique:  la démocratie helvétique repose sur le fédéralisme, système politique qui affirme le respect de lindividualité des Etats dans lunion confédé-rale. Il apparaît la solutionoptimalede nos problèmes qui reflètent la di-versité des populations, des langues et des confessions (Furglerin Nou-velle Société Helvétique: 1978: 13). Lobjectif ici est de questionner à la fois la réalité du fédéralisme suisse et sa représentation mythique. Pour ce faire, dans un premier temps, nous re-tracerons brièvement la construction de la Suisse moderne de 1848 et nous examinerons ensuite comment la nation suisse sest inventée, sestimaginée (Anderson 1991) une origine et une fondation en 1291 et comment lidéologie pluraliste sest surajoutée à une construction nationale par agrégation politi-que dentités "cantonales".2ce point de vue, la construction territoriale De suisse est originale par rapport à celle des pays voisins. La Confédération est née, en effet, dune agrégation de corps souverains, de villes, de pays sujets dun ou plusieurs cantons qui aboutira à lintégration en 1848 par linstauration dun Etat fédéral (Raffestin 1990a: 24)  Kreis (1991: 101) parle quant à lui dune "genèse progressive dun système dalliances" .  Dans une deuxième étape, notre attention portera sur les analyses et les interprétations qui ont été faites de la situation suisse. Sur le plan de lanalyse politologique, deux théories principales seront exposées, soit celle duconso-ciationnalismeet celle desclivages entrecroisés("cross-cutting cleavages"). A ce stade se pose également la question de lexistence dune identité natio-nale, que lon présente généralement comme étant articulée tant autour des institutions politiques communes quautour de lidée abstraite (pour ne pas répéter mythique) dune nation suisse plurielle ou pluriculturelle.  Cette dernière question conduit à sinterroger sur la signification de lEtat-nation suisse sur la base de lopposition entrenation civiqueetnation ethni-que. Nous essayerons de démontrer, dans une troisième partie, que la Suisse illustre parfaitement la combinaison de ces deux pôles que le discours scienti-fique a tendance à radicaliser, voire même à "stéréotypiser". Lexamen du droit et de lacquisition de la nationalité suisse alimentera la discussion.  En conclusion, le "modèle suisse" apparaîtra comme une difficile syn-thèse, toujours à renouveler, des pôles culturel et civique de la nation, à lexemple des obstacles que rencontre tout projet politique axé sur louverture à lextériorité et à laltérité.
                                                          2anachronique. La réalité cantonale dalors ne correspond pasLe terme cantonal est un raccourci à celle daujourdhui. Cf. Raffestin (1990a: 24).
 CONSTRUCTION DE LA NATION ET PLURALISME SUISSES 3    Construction nationale, mythe et réalité Jusquau début du 19e, la Suisse est un pays fondamentalement germano-phone. Mis à part Fribourg, bilingue, les cantons sont exclusivement ger-manophones. Ce qui allait devenir les cantons romands (francophones) et le Tessin (italophone) sont alors ou des alliés ou des baillages confédérés, ter-ritoires sujets. Sil y a bien hétérogénéité linguistique, seuls des cantons germanophones font partie de la Diète, le gouvernement. Dans les relations avec les pays sujets, la langue ne pose pas de problèmes particuliers, no-tamment du fait que le souverain sadresse à ses sujets dans leur langue (Knüsel 1994: 201). Les cantons nont dailleurs jamais tenté de modifier les pratiques linguistiques de leurs sujets (Raffestin 1990b: 537). Ce dernier fait explique en partie la permanence des frontières des langues en Suisse, particulièrement entre lallemand et le français, et la relative stabilité de la répartition linguistique de la population de nationalité suisse (Camartin 1985: 258; Knüsel 1994: 256). Par ailleurs, labsence de question linguisti-que dans lancienne Confédération sexplique certes par labsence de mo-tifs de conflits, cest-à-dire de communication entre gens de langues diffé-rentes (Haas 1985: 60), mais sans doute davantage par le peu de pertinence de ce critère didentification (voir aussi Altermatt 1996: 142).  Cest avec léphémère République helvétique (1798-1803) que la Suisse devient véritablement un Etat au sens moderne. Avec la rédaction des textes législatifs en français, en allemand et en italien, considérés comme langues de rang égal (Message 1991: 5), apparaît ce que lon pourrait considérer comme la première politique des langues de la Suisse plurilingue. Légalitarisme apporté par la République helvétique se traduit donc par la consécration des trois langues principales comme langues officielles (Knüsel 1994: 204s.), ainsi que par un statut identique pour lensemble des cantons.  1848 marque la naissance effective de la Suisse moderne et démocrati-que. Le fait quun article posant légalité des langues allemande, française et italienne soit introduit dans la Constitution de 1848,3 dans celle de puis 1874, ne saurait être ramené uniquement à la volonté des Suisses ou de ses élites de construire un Etat multilingue.  En effet, la Constitution fédérale de 1848 remplace lancienne Constitu-tion confédérale suite à la guerre civile duSonderbund. Cette courte guerre oppose les cantons catholiques conservateurs aux cantons protestants favo-rables à une stricte séparation de lEglise et de lEtat. La nouvelle constitu-tion qui met fin à la Confédération dEtats souverains au profit dun Etat
                                                          3 Cest en 1938 que le romanche acquiert le statut de langue nationale, mais non de langue offi-cielle. Depuis le 10 mars 1996, le romanche est langue officielle pour les rapports que la Confédéra-tion entretient avec les citoyens romanches (article 116 de la Constitution fédérale).
 
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