ISAAC VOSSIUS, GOTTFRIED HERMANN ET L ICTUS VOCAL
17 pages
Français

ISAAC VOSSIUS, GOTTFRIED HERMANN ET L'ICTUS VOCAL

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
17 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

  • cours - matière potentielle : la période de renouveau des études
ISAAC VOSSIUS, GOTTFRIED HERMANN ET L'ICTUS VOCAL 1. Introduction Pour qui s'intéresse à la poésie antique, et spécifiquement aux manifestations orales de celle-ci, la querelle de l'ictus vocal, tou- jours renaissante, depuis le débat qui a opposé Friedrich Nietzsche à son maître Friedrich Ritschl1, constitue une étape inévitable dans la réflexion. Cependant, je pense que le temps du bilan est venu, d'abord parce que la nécessité d'un rapport oral à la poésie devient moins évidente, ensuite parce que, comme l'a écrit Lucio Ceccarel- li, dans un état de la question juste et mesuré, les partisans de l'
  • auteur antique
  • conception quantitativiste de la prononciation du poème
  • zusammensetzung von
  • der rythmus
  • leonhardt und
  • und allein die
  • einrichtung der
  • rhythmus ist die
  • rythmes
  • rythme
  • poésie
  • poésies

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 46
Langue Français

Extrait

ISAAC VOSSIUS, GOTTFRIED HERMANN
ET L’ICTUS VOCAL
1. Introduction
Pour qui s’intéresse à la poésie antique, et spécifiquement aux
manifestations orales de celle-ci, la querelle de l’ictus vocal, tou-
jours renaissante, depuis le débat qui a opposé Friedrich Nietzsche
1à son maître Friedrich Ritschl , constitue une étape inévitable dans
la réflexion. Cependant, je pense que le temps du bilan est venu,
d’abord parce que la nécessité d’un rapport oral à la poésie devient
moins évidente, ensuite parce que, comme l’a écrit Lucio Ceccarel-
li, dans un état de la question juste et mesuré, les partisans de l’exis-
tence de l’ictus vocal n’ont pas réussi à convaincre du bien-fondé
2de leurs thèses . Par delà la simple polémique, certains auteurs,
comme Ernst Kapp ou Dag Norberg, ont apporté au débat des élé-
ments historiques qui doivent désormais servir de fondement à une
exploration de la genèse de cette hypothèse philologique. L’apport
des travaux de Dag Norberg a été de montrer que la lecture mé-
diévale ne connaît pas la doctrine de l’ictus vocal, et se fonde sur-
3tout sur la prononciation des accents de mot . Il convient donc de
rechercher la naissance de cette doctrine au cours de la période de
renouveau des études ouverte par l’Humanisme. L’apport d’Ernst
Kapp a consisté à attribuer la paternité de l’ictus vocal au seul Gott-
fried Hermann (1772–1848), et, conséquemment, à en décharger
Richard Bentley (1662–1742), dont le philologue de Leipzig se ré-
4clame pourtant en des termes explicites . Dans le présent travail, je
1) W.Stroh, Arsis und Thesis oder: Wie hat man lateinische Verse gespro-
chen?, in: J. Leonhardt und G. Ott (Hrsg.), Apocrypha. Entlegene Schriften, Stutt-
gart 2000, 194.
2) L.Ceccarelli, Prosodia e metrica arcaica 1956–1990, Lustrum 33, 1991,
257–8.
3) D.Norberg, La récitation du vers latin, Neuphilologische Mitteilungen
66, 1965, 505.
4) E. Kapp, Bentley’s Schediasma De metris Terentianis and the modern doc-
trine of ictus in classical verse, Mnemosyne 9, 1941, 187–94.408 Emmanuel Plantade
tente d’éclairer un peu plus la généalogie de l’ictus vocal, en com-
parant la pensée de G. Hermann avec celle d’un auteur de la fin du
XVII° siècle qu’on évoque peu, Isaac Vossius (1618–1689), sans
doute parce qu’il est le cinquième fils d’un humaniste illustre, Ger-
hard Vossius (1577–1649), dont l’héritage est quelque peu écra-
5sant . Je vais donc esquisser une série de parallèles thématiques
entre le De poematum cantu et viribus rythmi, un traité latin paru
à Oxford en 1673 (publié en allemand en 1759), et différents écrits
de G. Hermann, afin de mettre au jour aussi bien la dette de celui-
ci à l’égard de son devancier que son originalité irréductible.
2. Qu’est-ce que la poésie?
Pour mieux comprendre l’invention de l’ictus vocal, il s’agit
de prendre en considération la conception générale de la poésie
qu’a formulée G.Hermann tout autant que son appréhension des
faits antiques.
Dès 1799, le philologue de Leipzig distingue la poésie (Dich-
tung) du simple parler (Redekunst) et de l’éloquence ornée (Be-
6redsamkeit) . Distinction en apparence banale, puisqu’elle fait écho
à la tripartition défendue par Cicéron dans ses traités de rhéto-
7rique . Toutefois, l’insertion de cette tripartition dans un traité de
métrique renverse, selon moi, radicalement son sens. En effet, la
tripartition cicéronienne reposait sur une volonté de dépassement
du parler (oratio soluta) et de la poésie (oratio uincta), grâce à la
promotion d’un troisième terme (oratio numerosa) qui ne devait
retenir que les aspects positifs des deux autres. Ainsi, même si Her-
mann utilise une terminologie cicéronienne, sa pensée tend vers un
horizon bien différent.
Le but qu’il poursuit est bien indiqué dans une conférence
postérieure, datée de 1803: constituer la poésie en idéal de la paro-
5) G. Hermann avait effectivement lu Isaac Vossius; cf. G.C. Lepscky, Il pro-
blema de l’accento latino. Rassegna critica di studi sull’accento latino, ASNP 31,
1962, 210 n. 30.
6) G. Hermann, Handbuch der Metrik, Leipzig 1799, XXIX.
7) Cf., par exemple, Cic. Or.183–5; De orat.3,171–7. Pour moi, il s’agit
d’une réflexion à visée éthique, non pas d’une description de l’articulation du dis-
cours; contra J.Dangel, Imitation créatrice et style chez les Latins, in: G.Molinié,
P. Cahné (éd.), Qu’est-ce que le style?, Paris 1994, 99–100.Isaac Vossius, Gottfried Hermann et l’ictus vocal 409
le, dans une dynamique de recréation de la paideia hellénique. Pour
ce faire, il s’attache à montrer que la poésie (poesis) est d’une es-
sence différente de celle de la prose (prosa oratio), parce qu’elle est
par nécessité liée au chant, et que, pour cette raison, elle vise la
8beauté (pulcritudo) et la gratuité (lusus) . Une nouvelle fois, on
pourrait ici se demander si Hermann ne reprend pas simplement la
doctrine d’un auteur antique, en l’occurrence Quintilien, qui in-
9dique que la poésie est chant et que les poètes affirment chanter .
Cependant, malgré cette consonance obvie, je crois plutôt que le
philologue de Leipzig est influencé par un interprète moderne du
professeur de rhétorique, qui n’est autre qu’Isaac Vossius.
À mon sens, trois arguments l’accréditent. D’abord, le traité
de Vossius a bénéficié d’une traduction dans le seul champ germa-
10 11nophone . Ensuite, Hermann connaissait I.Vossius . Enfin, le
traité de Vossius est tout entier fondé sur la définition de la poésie
12comme chant potentiel, posée dès les premières pages : «C’est
pourquoi, si nous prenions la peine d’observer l’acception premiè-
re du mot, nous verrions que la poésie, ou bien le poème, ne fut rien
d’autre qu’une composition d’une certaine sorte, susceptible d’être
chantée. Il suit de là que ce qui n’est pas chanté, ou ne pourrait
l’être, n’est pas un poème . . .». Alors que l’auteur utilise les termes
grecs de po¤hsiw et po¤hma, il est clair qu’il se réfère au lien séman-
tique qui unit les termes carmen et canere en faisant implicitement
appel à la caution de Quintilien.
8) G. Hermann, De differentia prosae et poeticae orationis disputatio, pars
II, Lipsiae 1803, 4.
9) Quint. Inst.Or.1,8,2.: Sit autem in primis lectio uirilis et cum suauitate
quadam grauis, et non quidem prosae similis, quia et carmen est et se poetae canere
testantur . . .
10) Vom Singen der Gedichte und von der Kraft des Rythmus, aus dem
Lateinischen übersetzt, in: Sammlung vermischter Schriften zur Beförderung der
schönen Wissenschaften und der freyen Künste, Berlin 1759, 1–59; 215–314.
11) Cf. n. 5.
12) I.Vossius, De poematum cantu et viribus rythmi, Oxonii 1673, 1–2: «Si
itaque primitivam vocabuli acceptionem spectemus, poësis vel poëma nihil aliud
fuerit, quam qualiscunque compositio cantui apta. Unde sequitur, quicquid non ca-
nitur aut cantari nequeat, non esse poëma . . .» Sammlung (cf. n. 10) 11: «Sehen wir
also auf den ursprünglichen Gebrauch der Benennung, so kann die Poesie und ein
Gedicht nichts anders gewesen seyn, als eine Zusammensetzung von Worten, die
sich absingen lassen. Woraus folget, daß, was nicht gesungen wird oder gesungen
werden kann, auch keine Poesie seyn.»410 Emmanuel Plantade
Vossius et Hermann partagent donc la même conception de la
poésie comme langage musical, séparé du langage commun, c’est-
à-dire prosaïque, et il est très probable que le philologue de Leip-
zig s’appuie sur le postulat formulé par son devancier. Mais sur
quoi fondent-ils tous deux cette foi?
3. De la mesure avant toute chose
Si, pour les deux auteurs, la poésie est le domaine dans lequel
le langage commun se trouve transfiguré en chant, c’est parce
qu’elle fait intervenir le rythme. Hermann s’attache à définir très
clairement ce dernier: «Le concept de rythme que nous transmet
l’expérience est celui-ci: le rythme est la succession normée de
13cellules temporelles» . Quelques lignes après cette définition ini-
tiale, il la complète en ajoutant que les cellules doivent être iden-
14tiques . En termes modernes, on pourrait donc dire que son
rythme implique une succession normée de cellules isochrones.
Cette conception s’écarte de celle que propose Cicéron dans un
passage célèbre du De oratore, où l’Arpinate explique que «c’est la
démarcation et le marquage d’intervalles égaux, ou même souvent
15inégaux, qui crée le rythme» . En effet, la reprise n’est qu

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents