Les Cants de mort d Ausiàs March - article ; n°1 ; vol.14, pg 91-103
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Les Cants de mort d'Ausiàs March - article ; n°1 ; vol.14, pg 91-103

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Annexes des Cahiers de linguistique hispanique médiévale - Année 2000 - Volume 14 - Numéro 1 - Pages 91-103
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 44
Langue Français

Extrait

Dominique de Courcelles
Les Cants de mort d'Ausiàs March
In: Annexes des Cahiers de linguistique hispanique médiévale, volume 14, 2000. Ausias March (1400-1459).
Premier poète en langue catalane. pp. 91-103.
Citer ce document / Cite this document :
de Courcelles Dominique. Les Cants de mort d'Ausiàs March. In: Annexes des Cahiers de linguistique hispanique médiévale,
volume 14, 2000. Ausias March (1400-1459). Premier poète en langue catalane. pp. 91-103.
doi : 10.3406/cehm.2000.2203
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cehm_0180-9997_2000_sup_14_1_2203CANTS DE MORT LES
D'AUSIÀS MARCH*
Dans l'immense œuvre poétique du chevalier Ausiàs March
(1397-1459), les six Cants de Mort occupent une place particulière,
puisqu'ils furent sans doute écrits, comme l'a bien démontré Marti
de Riquer1, après la mort de sa seconde et jeune épouse Joana
Escoma en 1454. Ausiàs lui-même devait mourir à Valence en
1459. L'obsession de la mort est un thème constant de ses poésies
amoureuses, développé avec une douloureuse insistance, où se
croisent en autant d'échos, comme l'ont bien montré les critiques,
telle ou telle pensée d' Alistóte, Sénèque et également Andreas
Capellanus, Dante ou Pétrarque, sans oublier Raymond Lulle et
peut-être aussi le grand prédicateur valencien Vincent Ferrier que,
selon Amédée Pagès^, Ausiàs aurait entendu prêcher en 1415. Père
Bohigas a souligné l'influence du thomisme sur la poésie
marchienne3. J'examinerai quelle représentation de la mort et des
fins dernières est exprimée par le poète dans ces six Cants et quels
en sont les enjeux majeurs.
Le premier chant4 (XCII, 25 strophes de dix vers : Acuelles
mans) est encadré par une adresse à la femme morte (les deux
premières strophes et une à Dieu (la dernière strophe).
*) L'article présenté ici constitue la première étape d'une recherche qui a donné lieu à la
publication en 1998 de l'ouvrage : Les chants de Mort d 'Ausiàs March, Paris, Librairie José
Corti. Dans cet ouvrage, je donne la traduction française de l'édition catalane de Père
Bohigas et un essai intitulé « L'échec de la félicité ».
1) Marti de Riquer: Historia de la literatura catalana, Barcelone, Ed. Ariel, 1980, t. 2,
pp. 471-567.
2) Amédée Pages : Au&às March et ses prédécesseurs : essai sur la poésie amoureuse et philosophique
en Catalogne aux XIV et XV siècles, Paris, 1912, «Bibliothèque de l'École des Hautes
Études », vol. 94.
3) Père Bohigas, éd. : Ausiàs March. Poesies, Barcelone, Ed. Barcino, 1952-1959, 5 vol. Sur
l'influence du thomisme, voir : vol. I, pp. 25-47.
4)Je cite l'édition de Rafael Ferreres : Ausiàs March. Obra poética completa, Madrid, Clásicos
Castalia, 1979, t 2, poèmes XCII-XCVTI, pp. 20-61. Dominique de Courcelles 92
Aquelles mans que jamés perdonaren,
han ja romput lo fil tenint la vida
de vos, qui sóu de aquest mon exida,
segons los fats en secret ordenaren.
Tot quant yo veig e sent, dolor me torna,
dant-me reçoit de vos, qui tant amava... (v. 1-6).
Si les Parques ont rompu le fil de la vie de la femme aimée, le
monde, vu et senti par celui qui demeure, ne cesse de donner son
souvenir qui est à la fois douleur et bonheur. La chair du vivant
est en effet en deuil et de son désir et de son plaisir, mais
son esprit affirme que « l'altr.amor, de amistança pura,/ après sa
mort, sa força gran li dura » (v. 29-30). Cet amour spirituel
-« amistança pura »-, qui est parfaitement vertueux, ne peut lui-
même disparaître. En l'homme vivant s'affrontent sans cesse le
charnel et le spirituel, mais le corps est si uni à l'âme que, peu à
peu, l'âme empêche le corps de pleurer en se plaçant elle-même en
état de contemplation paisible.
Y en contemplant, axi l'arma reposa,
que bé reprès, lo cors d'açô no plora (v. 97-98).
Mais le poète ajoute aussitôt :
Aquesta pau en mi no es llonga,
per que dolor mes quel délit s'allonga (v. 99-100).
Quelques vers plus loin, il revient sur la notion de contemplation
heureuse par la mémoire :
Son espirit ab lo cors yo contemple,
tan délit sent com l'hom dévot al temple (v. 109-1 10).
Puis à nouveau :
De pietat de sa mort ve que.m dolga,
e só forçat que mon mal haja plànyer (v. 111-112).
Ainsi le poète oscille entre la mémoire heureuse de sa relation
amoureuse et le désespoir de la perte irréparable de l'aimée que la
Fortune capricieuse ne saurait lui rendre, comme le temps passe de
la chaleur au froid glacial. Il ne cesse de se rappeler les douces
conversations et l'union des volontés, désormais séparées pour
toujours. Ce mélange particulier de la joie et de la douleur, que le
poète observe avec une certaine suffisance en lui et qu'il déclare
n'observer en nul autre homme qui a connu une semblable
expérience de séparation, ce qui fait que personne ne peut
véritablement le comprendre, évoque très précisément celui de
l'âme de la Vierge, si bien décrit par Raymond Lulle au XIIIe siècle
dans son Plant de nostra Dona santa Maria : Cajos de Mort d'Ausiàs March 93 Les
Vivia ab gran gauig la Verge Maria...
lo gran gauig e el plaser que per ell sentía
no es qui el pogués dir ; mas gens no sabia
Tira ni el desconhort en que esdevenia,
car Judas Escariot concebut havia
en trair Jesucrist qui morir volia...5
ou par le célèbre chanoine de Barcelone, Felip de Malla, théologien
et prédicateur de la cour des rois d'Aragon dans son Memorial del
Pecador remut, rédigé entre 1419 et 1424 et que le poète a fort bien
pu connaître :
...la mia anima no's pot ni's vol deffendre de tribulació, ans
corresponent a cascun acte segons que li es proprí, de la Passió
ha compassió et de la resurrecció aura alegría ab inextimable
consolado.6
XVe siècle7, ont pour Les goxs de la Soledat, manuscrits à la fin du
entrada : « Les tristes/ llàgrimes vostres/ mogen vos a pietat,/ Verge
de la Soledat » et pour tornada : « Feu-nos part/ dels plaes vostres/
que-us causa Resocitat,/ en nostra nesesitat ». La prière en latin,
qui fait suite au poème en langue catalane et qui est construite sur
le modèle des collectes prononcées par l'officiant après que le
peuple a prié, donne au thème une force liturgique : « Mater Dei
sanctissima, rogamus te per tristitiam quam habuisjti in pede
crucis... et per gaudium, quod habuisti de resurrectione... »®
La deuxième moitié du poème est toute emplie de désespoir
«dolor qu.en la d'infern s'acosta» (v. 129). Le poète part de la
considération selon laquelle les morts « de res dels vius no pensen »
(v. 125) et ses douleurs se perdent dans le vide ; il devient fou, ne
sait plus ce qui est vrai et faux, blanc ou noir, clair ou obscur, ne
reconnaît plus sa maison ; la Mort l'a frappé à mort, en tuant
l'autre qu'il aimait, sans le tuer lui. Son jugement est troublé, alors
que la mort est un accident banal. Il en arrive à accuser Dieu :
« Déu piados e just cruel se mostra : tant es en nos torbada
5) Ed. par Ramon d'Alos-Moner dans Poesies, Barcelone, coll. « Els Nostres Classics »,
1928, pp. 52-68.
6) Barcelone, Bibl. de Catalogne, ms 465, f. 69 r°. Édité dans « Els Nostres Classics », 1982, par Manuel Balasch.
7)Bibl. de ms 1191, fin du XVe siècle. Éd. par Dominique de
Courcclles, L'écriture dans la pensée de la mort en Catalogne, Paris-Genève, Droz, coll.
« Mémoires et documents de l'École nationale des chartes », 1992, pp. 486-488.
8) Pour plus de détails, on se reportera à mon analyse « Les goigs, la septième joie
majeure » dans : Dominique de Courcelles, L'écriture dans la pensée de la mort en Catalogne...,
p. 68 et suivantes. 94 Dominique de Courcelles
conexença ! » (v. 1 76), mais cette accusation est immédiatement
mise sur le compte de la douleur.
C'est alors qu'est introduite la réflexion suivante : si Ausiàs
peut être certain que la femme aimée jouit de la gloire de Dieu en
compagnie des saints, alors il acceptera sa mort.
L'espirit viu, donchs, ¿quina maravella
que am aquell? e res tant no.m conforta (v. 187-188).
£ si cert fos

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