Le scandale comme épreuve
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992068 politix_p009p038_AL Page 9 Mardi, 13. septembre 2005 3:14 15 _
Le scandale comme épreuve Éléments de sociologie pragmatique DamienDEBLICet Cyril LEMIEUX
Résumé -Parmi les travaux publiés depuis une vingtaine d’années au sujet des scandales, aussi bien en sociologie, en anthropologie et en histoire qu’en science politique, une voie se dégage, qui considère le scandale comme uneépreuveà travers laquelle est réévalué collectivement l’attachement à des normes. Le présent article souligne en quoi envisager de cette façon les scandales conduit à être particulièrement attentif à leur force instituante ainsi qu’au fait que leur signification et leur portée « réelles », dépendant de la réaction collective qu’ils suscitent, ne sont jamais données à l’avance, ni entièrement prévisibles. Prenant au sérieux les raisons de s’indigner des acteurs, ce type d’approche a des implications impor-tantes, que l’on détaille ici, sur la conception que le chercheur peut se faire du rôle joué dans les scan-dales par les calculs stratégiques, l’euphémisation de la violence, la séparation entre sphères d’activité ou encore, les médias de masse. On précise en outre pourquoi cette approche oblige le chercheur à une réflexivité de degré supérieur dans son rapport à l’objet.
Volume 18 - n° 71/2005, p. 9-38
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10 DamienDEBLICet Cyril LEMIEUX Lbjoetitraetcacadémiq«néantetnuoereu»qiusaudrecomrer,éplousdneociatltéemiuihrdouanscuarétnisjuaessebltplemendechercheurqui1xuaartG.ecâra-sonnneaelriaeptuyligeel,snaezniuqaavxu publiés aussi bien en science politique qu’en sociologie, en anthropologie et en histoire, à l’étranger et en France, nous disposons désormais d’une précieuse palette de réflexions théoriques et d’une collection d’études de cas qui offrent une base solide à toute recherche sur cette matière. Le but de cet article est d’approfondir et de discuter certaines des voies à nos yeux les plus fructueuses et les plus novatrices qu’ont ouvertes ces travaux. Pour qui entend sortir d’une vision étriquée de la science politique et tient à sauver l’idée que les sciences sociales forment un projet d’ensemble, les travaux d’anthropologie consacrés au scandale sont une lecture stimulante. C’est d’eux dont nous partirons ici. Adopter une perspective anthropologique large a cependant deux implications importantes, dont il convient de prévenir le lec-teur. La première est de nous mener à faire le pari, maussien si l’on veut, qu’à l’instar du don et du contre-don ou de la prière, le scandale est un phénomène connu de toutes les sociétés humaines. Pari qu’on pourra dire provocateur, tant les sciences sociales semblent aujourd’hui dominées par le credo du relativisme historique. Pari qu’on maintiendra cependant ici, ne serait-ce qu’en raison de ses vertus heuristiques2 roche anthropo-. La seconde implication est ’ qu une app logique large nous oblige à sortir d’une conception spontanément pathologique du scandale. Une fois, en effet, que nous lui reconnaissons une forme d’univer-salité, il devient impossible d’envisager le phénomène scandaleux comme « anormal » au sens proprement sociologique. De la même façon que le crime ou le suicide selon Durkheim, le scandale est à concevoir comme un moment certes peu banal et particulièrement violent de la vie sociale mais néanmoins « normal ». C’est la reconnaissance de cette normalité qui incita les anthropolo-gues fonctionnalistes à tenter de lui attribuer une fonction (de contrôle social, de hiérarchisation, de régénération du groupe). C’est elle qui doit nous inviter à sai-sir positivement les logiques de la dénonciation et de la provocation publiques, plutôt que d’envisager ce type d’actes comme s’il s’agissait d’anomalies comportementales ou de manifestations collectives d’irrationalité. Il s’agit par
1. Selon l’expression utilisée par A. Markovits et M. Silverstein dans l’introduction à leur ouvrageThe Poli-tics of Scandal. Power and Process in Liberal Democracies, New York, Holmes and Meier, 1988, p. 1. 2. Le risque d’une approche universaliste est évidemment d’englober sous le terme générique de « scandale », originellement lié au judéo-christianisme, ce qui n’est ni éprouvé, ni descriptible comme tel par les membres d’autres sociétés que les nôtres. C’est une chose, cependant, que de contester qu’une catégorie du langage soit d’un emploi universel. C’en est une autre de reconnaître que, jusqu’à preuve du contraire, nulle société humaine n’ignore la prat ique consistant à dénoncer publiquement des transgres-sions à la norme. C’est à vrai dire l’universalité de ce fait-là qui nous autorise à rapprocher ce qu’« ils » font de ce que « nous » avons pris pour habitude dans nos sociétés d’appeler des scandales. La même remarque vaut bien sûr concernant le rapprochement entre ce que nos prédécesseurs appe laient il y a un siècle un « scandale » et ce que nous appelons ainsi.
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là même d’adopter sur le scandale ce point de vue que Michel Dobry a qua-lifié de « continuiste3» et qui consiste, en l’occurrence, à penser ensemble les moments où les acteurs ne dénoncent pas publiquement les transgres-sions normatives dont ils ont connaissance, et ceux où ils entreprennent de le faire. La force instituante du scandale Nombre de chercheurs qui se sont intéressés aux scandales ont semblé les considérer moins comme des objets d’étude à part entière que comme des modes privilégiés pour accéder à la réalité socio-historique qu’à travers eux, ils comptaient atteindre. Dans cette perspective, le scandale a souvent été utilisé comme unrévélateur, au sens quasi photographique du terme, des rapports de force, des structures, des espaces positionnels ou des normes qui lui préexis-taient4. Il lui fut ainsi reconnu la capacité de rendre spectaculairement mani-festes à l’observateur les lignes de clivage et les rapports de domination qui traversent de façon ordinairement plus opaque une société, ou certaines frac-tions de ses élites. Abordé de cette façon, le scandale pourra nous inciter à focaliser notre attention sur les trajectoires des acteurs qu’il implique, en vue de rendre explicables les attitudes que ces derniers adoptent et les ressources qu’ils tentent de mobiliser. Ce type de démarche nous conduira en somme à déporter le regard du scandale, conçu alors comme une sorte d’épiphéno-mène, vers les structures sociales et mentales « profondes » qu’il sera réputé nous avoir révélées. Démarche loin d’être illégitime mais face à laquelle on peut aussi suggérer une autre façon pour les sciences sociales de traiter du scandale, à savoir : en le regardant comme un objet d’étudeà part entière. Ce qui revient à le reconnaître pour ce qu’il est : un moment de transformation sociale. Cette perspective, que défend tout particulièrement la sociologie dite « pragmatique », est celle que nous privilégierons ici. Elle repose sur le constat que le scandale, malgré d’hâti-ves conclusions, ne laisse jamais les choses en l’état. En tant que « cérémonie de dégradation statutaire5il conduit à des repositionnements, à une redistribu-», tion des cartes institutionnelles, voire à des remises en cause brutales des
3. Cf. dynamiquesDobry (M.), « Mobilisations multisectorielles et des crises politiques : un point de vue heuristique »,Revue française de sociologie, XXIV, 1983. 4. C’est dans cette optique, par exemple, que H. Walser Smith se sert d un scandale survenu dans une bour-gade prussienne au tout début duXXe ismesiècle pour mettre à jour l’antisémit qui participe selon lui au « fonds culturel » de la société allemande rurale d’alors. Cf.La rumeur de Konitz. Une affaire d’antisémitisme dans l’Allemagne 1900Paris, Phébus, 2003. Démarche qui peut être rapprochée de celle de J. Verdès-Leroux, dansScandale financier et antisémitisme catholique. Le krach de l’Union générale, Paris, Le Centurion, 1969. 5. Selon l’expression de L. Sherman reprise de Garfinkel (« The Mobilization of Scandal »,inHeidenheimer (A.), Johnston (M.), LeVine (V.), eds,Political Corruption, New Brunswick, Library of Congress, 1990, p. 890). 71
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