Jacques MABY Professeur de géographie
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1 Gouvernance et territoire Jacques MABY Professeur de géographie Université d'Avignon Dans l'intitulé Gouvernance et territoire que me proposent les organisateurs du séminaire, ce que je retiens surtout, en bon adepte de la systémie, c'est le ET, c'est-à-dire, le rapport qui pourrait exister entre la gouvernance et le territoire. Bien sûr il faut tout d'abord se mettre d'accord sur les termes, celui de territoire parait bien établi et la présence parmi nous de Guy Di Méo aura sans doute un effet rassembleur autour du concept d'espace socialisé. C'est bien plutôt le mot de gouvernance qui mérite débat, à la fois néologisme et archéologisme, ouverture à la démocratie de terrain et poncif politiquement correct... Il faut donc peser, et éventuellement valider, le contenu novateur et vertueux du concept, ce qui permet aussi de faire la part de la redondance et du flou qui l'entourent. L'expression gouvernance territoriale est sans doute un incontournable du jargon de la pensée unique : tout le monde est pour, même si personne ne sait exactement ce que cela recouvre ! Cependant ce qui importe au géographe ce n'est pas l'usage qui est fait du concept, mais le sens qu'il pourrait prendre et surtout la légitimité ou du moins l'intérêt scientifique (et non pas rhétorique) que l'on trouve au rapprochement de ces deux termes : gouvernance et territoire.

  • gouvernance territoriale

  • fourniture des services publics

  • institutions politiques

  • responsabilité de la gestion des affaires

  • production de cartes dessinant des périmètres d'action

  • modèles représentationnels du territoire

  • gouvernance

  • changement effectif des pratiques décisionnelles


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Langue Français

Extrait

Gouvernance et territoire

Jacques MABY
Professeur de géographie
Université d'Avignon



Dans l'intitulé "Gouvernance et territoire" que me proposent les organisateurs du séminaire, ce
que je retiens surtout, en bon adepte de la systémie, c'est le "ET", c'est-à-dire, le rapport qui pourrait
exister entre la gouvernance et le territoire. Bien sûr il faut tout d'abord se mettre d'accord sur les
termes, celui de territoire parait bien établi et la présence parmi nous de Guy Di Méo aura sans
doute un effet rassembleur autour du concept d'espace socialisé. C'est bien plutôt le mot de
gouvernance qui mérite débat, à la fois néologisme et archéologisme, ouverture à la démocratie de
terrain et poncif politiquement correct... Il faut donc peser, et éventuellement valider, le contenu
novateur et vertueux du concept, ce qui permet aussi de faire la part de la redondance et du flou qui
l'entourent. L'expression "gouvernance territoriale" est sans doute un incontournable du jargon de la
pensée unique : tout le monde est pour, même si personne ne sait exactement ce que cela recouvre !
Cependant ce qui importe au géographe ce n'est pas l'usage qui est fait du concept, mais le sens qu'il
pourrait prendre et surtout la légitimité ou du moins l'intérêt scientifique (et non pas rhétorique) que
l'on trouve au rapprochement de ces deux termes : gouvernance et territoire. La question qui se pose
donc est de savoir si la gouvernance est un mode politique intrinsèquement "territorial". On verra
donc que la territorialité suppose une gouvernance soucieuse de bien public, d'autonomie, de
subsidiarité... tandis que la gouvernance en appelle à une territorialité fondée sur la durabilité des
systèmes de mise en valeur, l'équilibre entre forces actorielles, la transcalarité des projets
d'aménagement...

Bien sûr les espaces du vin sont fortement impliqués dans toutes ces logiques de décision,
d'intégration, d'exploitation puisqu'ils produisent eux-mêmes de la gouvernance mais aussi de la
territorialité ! On pourra ainsi resituer les stratégies de gouvernance propres aux terroirs du vin dans
l'ensemble des stratégies territoriales et préciser leur nature et leur évolution générale. On peut en
effet, en prenant l'exemple des AOC/AOP, considérer que la nuance entre contrôle et protection
implique des modes de gouvernance différents et que peut-être ni l'un ni l'autre ne répondent
complètement aux attentes territoriales.

1
I. La gouvernance territoriale, concept novateur et vertueux ou rhétorique invocatoire ?

1. Petite histoire de la gouvernance locale

Le mot gouvernance est hérité de la racine grecque « kubernan » qui signifie gouverner au
sens propre, c'est-à-dire : tenir le gouvernail, piloter le navire en maîtrisant la trajectoire. De cette
même racine procède d'ailleurs le terme « cybernétique » et son objet qui est la régulation des
trajectoires. Cependant, la gouvernance n'est pas le « gouvernement » et à dire vrai le terme a du
mal à émerger au delà d'une utilisation médiévale à caractère institutionnel où il caractérise un
mode de gestion municipal, avec déjà, on le notera, une notion de subsidiarité féodale qui anticipe
ce que deviendra, bien plus tard, le concept. En effet ce n'est qu'au XXème siècle que le mot
« governance » est utilisé par l'auteur anglais R. COASE (1937) pour désigner un mode de
fonctionnement des entreprises. Il s'agit alors d'un concept économique qui propose de réduire le
coût des transactions par un pilotage moins bureaucratique et mieux coordonné. En 1970, O.
WILLIAMSON renforce le concept qui reste attaché aux modes de gestions du secteur productif et
à la recherche d'efficacité dans les transactions internes et externes des firmes.

Il faut attendre les années 1980 pour que le concept glisse du champ économique vers le
champ politique, à l'échelle internationale d'abord, avec l'émergence du modèle de « bonne
gouvernance mondiale » instauré par les institutions internationales elles-mêmes, à leur propre
usage semble-t-il, mais surtout à l'usage de leurs membres les moins dociles. Faute de
gouvernement mondial, on annonce sa gouvernance. Sans doute cette « bonne gouvernance »
s'appuie-t-elle sur les référents quasi-transcendants que sont les droits de l'homme, la démocratie ou
la liberté d'entreprendre. Mais il est non moins vrai que ce concept sert surtout de pilier au modèle
de pensée unique qui se met en place pour accompagner la mondialisation libérale. La bonne
gouvernance justifie ainsi l'application des « ajustements structurels » qui sont imposés aux pays en
voie de développement.

Un peu égaré à cette échelle trop vaste pour lui, le concept reprend de la vigueur en
s'appliquant ensuite au local. Dans les années 1990, de « mondiale », la gouvernance devient
essentiellement « locale » et y gagne certainement en crédibilité, car c'est sans doute à cette échelle
que ce concept trouve les applications les plus riches. Il s'agit alors de réguler le territoire par la
maximisation du principe de subsidiarité, sur lequel nous reviendrons bien sûr. La gouvernance
2 devient un système d'action politique qui s'invente en même temps que s'opère un retour au
territoire dans les pays développés. En effet, à l'échelle de la ville, du pays ou de la région, émergent
de nouveaux paliers de l'action publique, pour lesquels s'inventent de nouveaux modes décisionnels,
intégrant de nouveaux acteurs et reconnaissant de nouvelles légitimités. La « gouvernance locale »
est ainsi convoquée pour réintroduire de la « politique » dans une vie publique où elle est de plus en
plus disqualifiée. La « participation » propose une alternative à la « représentation » usée souvent
par le carriérisme politique ou par des querelles idéologiques à fort relent de naphtaline.

Sans doute y a-t-il quelque vertu à relégitimer ainsi l'action publique et à susciter le débat, tout
comme il faut se féliciter des opportunités et des marges de manœuvre libérées par ce nouveau
fonctionnement para-institutionnel. En revanche, il ne faut pas être dupe du caractère ostentatoire de
ces procédures et de la valeur invocatoire du concept émergent de gouvernance locale. En effet, si le
changement effectif des pratiques décisionnelles reste à prouver, le changement de champ lexical
quant à lui est remarquablement audible ! C'est tout un nouveau récit de la vie publique qui est
produit dans une profusion du verbe innovant : partenariat, participation, débat public, société
civile, mixité... Il n'est donc pas certain que la nouvelle gouvernance territoriale ait dépassé le seul
stade du discours performatif, ce qui est peut-être un premier pas nécessaire!

D'autre part force est de constater que ces nouveaux processus sont essentiellement mis au
point et le plus souvent pris en charge par des professionnels de la gouvernance, actorielle si
possible, qui occupent ainsi le marché, juteux au possible, de l'expertise et de la « labellisation
gouvernantielle ». L'élu, qui a rarement pour objectif de renoncer à ses prérogatives décisionnelles,
ne renonce donc qu'à un type de discours et de positionnement inappropriés et adopte ceux de la
gouvernance. Ainsi conseillé, il se présente essentiellement comme un « animateur de la vie
publique », et moins comme le « titulaire d'un mandat public », se repositionnant ainsi positivement
sur le terrain électoral qui reste évidemment sous-jacent. Sa mission première, du moins celle qui
doit être affichée, consiste à faire émerger le consensus, ses outils essentiels relevant de la
rhétorique de la déconflictualisation et de la mise en scène de la convergence d'opinion.

Il est donc permis d'hésiter entre une vision positive de la gouvernance locale en tant que
mode de gestion territorial tout à fait adapté au contexte socioéconomique postmoderne, et vision
critique qui n'y voit qu'une méthodologie de ré-enchantement du politique, développée par des
professionnels de la communication territoriale, parmi lesquels les

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