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NGALASSO Mwatha Musanji : Langage et violence dans la littérature africaine écrite en français
LANGAGE ET VIOLENCE
DANS LA LITTERATURE AFRICAINE
ECRITE EN FRANÇAIS*
NGALASSO Mwatha Musanji
Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3
La violence est un concept difficile à cerner par le discours, en raison de l'ambiguïté de
notre attitude à son égard : elle nous répugne (nous nous déclarons volontiers "contre" la violence)
autant qu'elle nous fascine (nous cachons mal notre penchant naturel "pour" le spectacle de la
violence que ce soit dans la rue, au cinéma ou dans les livres). Notre moi rationnel abhorre ce
qu'adore notre moi animal. De sorte que le discours sur la violence, généralement anti-violence,
même s'il n'est pas toujours lui-même dépourvu de violence, est souvent simple aff ichage de cette
rationalité fréquemment contrarié et contredite par l’animalité. Une animalité qui pousse les
détenteurs du pouvoir à l’usage de la force physique ou idéologique comme moyen de
gouvernement. Dans ces conditions la violence discursive ou scripturaire, qui, seule, nous
intéresse ici, apparaît comme une forme de contre-pouvoir, une arme redoutable entre les mains
des sans-pouvoir.
1 dans la littérature africaine d'expressionEtudier la relation entre la violence et le langage
française c'est s'interroger sur les usages qui sont faits de l'écriture comme moyen d'influence et
sur la manière dont la langue d'écriture, en l'occurrence le français, se trouve (mal?)traitée comme
outil de création par des écrivains dont elle n'est pas la langue native. Il ne s'agit surtout pas de
revenir sur le vieux (et bien inutile) débat concernant la relation personnelle de l'écrivain à la langue
d'écriture (la liberté de celui-ci doit être totale en la matière) ; il s'agit plutôt de tenter d'apprécier
l'efficacité d'une langue seconde apprise formellement et de comprendre son évolution dans un
environnement où elle coexiste, de façon dynamique, avec les langues maternelles acquises
naturellement.
*Une version abrégée de cet article est parue dans Notre Librairie, numéro 148 (2002)
1 Robert Gauthier (1999 : 45) note, avec justesse, que “ violence et langage ont la même origine : le désir d’exister,
de maîtriser, de se protéger, de se reproduire, de se survivre. Le désir est violence puisqu’il implique de s’intégrer
l’autre, de s’approprier l’objet convoité, de se rendre pareil à un modèle, donc de se faire violence ”.
Centre d'Etudes Linguistiques et Littéraires Francophones et Africaines
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- 1 -NGALASSO Mwatha Musanji : Langage et violence dans la littérature africaine écrite en français
La violence est omniprésente dans la littérature à travers les thèmes éternels de la vie, de
l'amour et de la mort. Les mots et les images qu’ils portent, par le biais de l'écriture, sont sa
meilleure expression. Mais l'écriture, en tant que travail sur les mots et sur la syntaxe, élaboration
et "refaçonnage" des formes du langage, n'est-elle pas aussi une forme de violence sur la langue ?
Ecritures de la violence
2Cette expression réfère, ici, non seulement à la littérature qui fait de la violence son thème
privilégié mais aussi et surtout aux formes d'écriture qui marquent, d'une manière plus ou moins
brutale, une solution de continuité avec l’état des choses précédent. Georges Ngal (1994) parle de
"rupture" comme moteur de la création littéraire. Cette notion de rupture qui, depuis quelques
3années, occupe une place de choix dans la réflexion sur les littératures africaines , renvoie
explicitement à toute (r)évolution chronologique (changement d’époques qui autorise de nouvelles
périodisations), thématique (surgissement de nouveaux thèmes), structurelle (renouvellement des
structures du récit ou de la poésie) ou stylistique (contravention aux normes linguistiques et
esthétiques établies), observable dans le mouvement de la création littéraire et sentie comme
coupure, discontinuité, modification, saut qualitatif. La violence, dans ce cas, réside dans le refus
du conformisme, l'ébranlement des habitudes acquises, le “ refus de respecter la loi du silence, en
écrivant aussi sur ce qu'il ne faut pas dire ” (Borgomano, 1995 : 74), dans la transgression des
tabous scripturaires au nom du principe que toute vérité, même celle qui n'est pas bonne à dire,
est bonne à écrire. C’est un acte de libération de l'écriture de toutes les formes d'enchaînement ou
d'enfermement, que ce soit par la tradition, par la religion ou par l'idéologie. Elle est fondée sur la
contestation et la dénonciation d'une situation initiale jugée inacceptable et sur le désir de fonder
un ordre nouveau considéré comme nécessairement meilleur.
Il s’agit donc, pour le critique, de rompre, lui aussi, avec une historiographie littéraire dont
l'ambition serait de retracer des étapes invariables d'une littérature africaine une et uniforme. La
littérature africaine est, en réalité, plurielle du fait de la pluralité des itinéraires personnels des
auteurs, de la diversité des thèmes exploités, de la variété des médiums linguistiques utilisés.
L'écrivain africain des années 2000 n'est plus le Négro-africain apatride luttant, dès les années
2 Elle fut utilisée dans le titre d’un livre récent par Ngandu (1997). Voir notre compte-rendu de cet ouvrage dans
Notre Librairie, 135 (1998) : 87.
3 Sewanou Dabla (1986) a été parmi les premiers à analyser rigoureusement le phénomène des “ nouvelles écritures
africainres ”. De son côté, s’agissant de la littérature du Maghreb, M’hamed Alaoui Abdallaoui (1989) utilise le
terme “ ruptures ” pour caractériser à la fois le mouvement d’abandon et de retour des auteurs maghrébins à la langue
arabe (ou, si l’on préfère, d’adoption puis de rejet de la langue française). Un point de vue critique sur la notion de
“ rupture ” est donné par Mateso (1990).
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- 2 -NGALASSO Mwatha Musanji : Langage et violence dans la littérature africaine écrite en français
1930, à partir de Paris, pour la reconnaissance d'une identité niée ; il n'est plus un homme
4politique déguisé en poète ni, d'ailleurs, seulement un homme (car les femmes aussi écrivent ) ni
5même un thuriféraire de la langue classique (puisqu'on écrit de plus en plus en "français local" ).
Avec la fin de l’époque coloniale la négritude a cessé d'être le thème-phare de la littérature et le
6français n'est plus (l’a-t-il jamais été ?) , l'unique langue de la création littéraire. Rupture dans la
chaîne de production et dans l’instrument de travail. Rupture aussi du côté du consommateur, du
lecteur-destinataire qui n'est plus potentiellement euroccidental ni exclusivement francophone.
Rupture enfin par l'intrusion de l'oralité dans la scripturalité. La notion de “ génération littéraire ”
elle-même bouge : les Ahmadou Kourouma, Jean-Marie Adiaffi, Henri Lopès, Sony Labou Tansi,
Aminata Sow Fall, Vumbi Yoka Mudimbe, Tierno Monenembo, considérés naguère (dans les
années 1980) comme représentant le “ nouveau courant ” sont déjà bousculés par les jeunes nés
autour des années 1960 (les Calixthe Beyala, Marie Ndiaye, Véronique Tadjo, Bolya Baenga,
Kangni Alemjrodo, Alain Mabanckou, Abdourahaman Waberi, etc.).
Pour exprimer les conflits (des traditions, des classes ou des générations), exacerber le
sentiment de crise et justifier la rupture l’écriture opère sur un mode essentiellement agonique qui
souligne les oppositions et les antagonismes plutôt que sur le mode irénique qui recherche
l'entente et le consensus. Ce contre quoi elle s'élève avec virulence ce sont toutes les violences
vécues, individuellement ou collectivement, dans l'histoire passée ou immédiate du continent
africain : l’esclavage, le racisme, le colonialisme, la dictature, le népotisme, la marginalisation.
Une étude attentive des thèmes de la littérature africaine écrite en français révèle,
7notamment à travers les titres des oeuvres romanesques, poétiques ou théâtrales , un imaginaire
particulièrement débridé : il s'agit, le plus s