Les missions locales et l'innovation

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Ce rapport a pour objet de participer à la réflexion sur l'activité des missions locales d'insertion des jeunes en difficulté et leurs pratiques innovantes. En premier lieu, ces missions proposent d'agir sur le marché de l'emploi (emploi en alternance et emploi aidé, épreuves d'orientation et de sélection des jeunes, parrainage, aide à la création d'activité). Elles souhaitent offrir de nouveaux services aux jeunes usagers, prendre en charge leur souffrance (santé, handicap), leur permettre d'accéder à l'espace public. Le rapport indique ensuite les facteurs de l'innovation (recrutement ouvert à différents profils et expériences, organisation de partenariats locaux...). En conclusion, est proposée une définition de l'innovation, notamment dans l'action sur le marché du travail et son adaptation aux besoins des jeunes. On note en annexe, le compte rendu de cinq missions locales menées en régions et à Paris.
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Publié le

01 mai 2005

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27

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Paternité, pas d'utilisation commerciale, partage des conditions initiales à l'identique

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

2 Mo

« L E D E S C A R T E S I » 2 9 , P R O M E N A D E M I C H E L S I M O N 9 3 1 6 6 N O I S Y - L E - G R A N D C E D E X TÉL. 01 45 92 68 00 FAX 01 49 31 02 44 M É L . c e e @ c e e . e n p c . f r
Les missions locales
et l’innovation
CÉCILEBARON, MARIE-CHRISTINEBUREAU, BERNARDGOMEL, COLETTELEYMARIE, PATRICKNIVOLLE, NICOLASSCHMIDT, ANDRÉWISSLER En collaboration avec ALAINGIRARD, ELIANELEDANTEC
m a i 2 0 0 5
21
RAPPORT DE RECHERCHE
Les missions locales et linnovation
CE C I L E B A R O N,MA R I E- CH R I S T I N EBU R E A U, BE R N A R DGO M E L,CO L E T T ELE Y M A R I E,PA T R I C KNI V O L L E,NI C O L A SSC H M I D T,AN D R EWI S S L E RC e n t r e d  é t u d e s d e l  e m p l o i E n c ol l a bo r a t i o n a ve c AL A I NGI R A R D,EL I A N ELEDA N T E C
U n i v e r s i t é d e P e r p i g n a n m a i 2 0 0 521
ISSN 1629-5684 ISBN 2-11-094590-7
Les missions locales et l innovation
Cécile Baron, Marie-Christine Bureau, Bernard Gomel, Colette Leymarie, Patrick Nivolle, Nicolas Schmidt, André Wissler
En collaboration avec Alain Girard et Éliane Le Dantec (Université de Perpignan)
Létude a pour objet de participer à la réflexion sur lactivité des missions locales et leurs pratiques innovantes, en liant trois niveaux danalyse : - une exploration bibliographique de travaux réalisés en sciences sociales sur la question de linnovation ; - une analyse de « fiches-action », rédigées par des missions locales et PAIO dans le but de décrire les actions qui leur paraissent les plus significatives ; - des monographies approfondies, afin de mieux comprendre les conditions démergence et de déroulement de ces actions au sein des associations. La définition de linnovation contient deux notions qui sont à la fois lidée de « nouveau » et lidée de « changement », toute la difficulté étant dévaluer à quel moment on passe de la continuité au changement et à quel titre on considère quune action est nou-velle. Linnovation est au cur de lactivité des ML, nest-elle pas définie en ce sens lorsquun des quatre principes inscrits dans la charte du 12 décembre 1990 précise que les ML et PAIO sont des « espaces dinitiatives et dinnovations » créés pour per-mettre lémergence de pratiques nouvelles, lexpérimentation, la diffusion et la valorisation des innovations.Évoluant depuis leur création dans un environnement incertain, tant du point de vue des attentes de leur public que des contraintes institutionnelles émanant des pouvoirs publics, les missions locales et PAIO constituent le
RESUME
plus souvent, non des organisa-tions solidement constituées, mais plutôt des structures fragiles, obligées de sadapter en perma-nence à un environnement mou-vant pour survivre et poursuivre leur mission. Dans ce contexte, linnovation, cest dabord ladaptation permanente. À partir de ce constat, nous avons été amenés à définir linnovation comme le processus par lequel des acteurs acquièrent, au cours de leur expérience, de nouvelles prises pour laction en réponse à des situations critiques. C'est-à-dire quils étendent lensemble des repères et des dispositifs sur lesquels ils peuvent sappuyer pour intervenir dans les situations auxquelles ils sont confrontés. Par ce processus, ils réduisent lécart entre ces repères et dispositifs dune part, et, dautre part, leur expérience sensible des situa-tions. Ainsi, linnovation prend sens - ou même ne prend sens que - en réponse à une situation critique : repérer une innovation, cest donc dabord identifier la situation critique à laquelle elle répond. Létude distingue quatre catégo-ries desituations critiques aux-quelles les équipes des missions locales et PAIO doivent faire face et analyse les réponses qui sont apportées : - le danger denfermement des jeunes dans un marché de linsertionsuscite des innovations dans lintervention sur les mar-chés locaux du travail, afin de stabiliser des parcours demploi ; - au risque de la désaffection du public jeune vis-à-vis de linstitution de nouvel- répondent
les façons daccueillir les jeunes ainsi que la conception de nou-veaux services à leur proposer ; - pour faire face aux difficultés de plus en plus fréquentes et graves au niveau de la santé, du loge -ment et de la vie familiale, les équipes doivent recourir à de nouveaux recrutements et/ou partenariats ; - le déficit dexpression dans lespace public des jeunes issus des milieux populaires appelle des efforts dinnovation dans le développement de laction ci-toyenne.Létude a permis aussi de mettre en évidence un certain nombre de conditions favorisant lémergence de linnovation en mission lo-cale : - une politique de recrutement faisant place à une diversité de profils, permettant aux salariés de mobiliser leur expérience propre ainsi que leurs relations antérieu-res au profit de lorganisation ; - une organisation interne offrant à chacun la possibilité dune spécialisation informelle ainsi quun lieu de décision collégiale afin de concrétiser des projets élaborés par les uns ou les autres ; - la mise en place dune organisa-tion des partenariats locaux pour limiter les effets de concurrence et les déperditions dénergie ; - une structure de financement qui permette déchapper, en partie, à la tyrannie de lévaluation quantitative ; - une meilleure reconnaissance de la capacité dexpertise quont les structures afin de faire remonter les besoins quelles détectent.
Ce rapport est le produit dune convention entre la Dares (ministère de lEmploi, du Travail et de la Cohésion sociale) et le CEE.
Sommaire
Introduction ........................................................................................................................7
1. La construction du cadre danalyse ..............................................................................8
2. Méthodologie générale ...............................................................................................13
Partie 1 : Agir sur le marché de l emploi........................................................................15
1. Lanalyse des fiches-action : présence des entreprises/absence des syndicats ........15
2. Des théories implicites du marché du travail ? ...........................................................18
3. Emploi en alternance, emploi aidé : un moyen pour intervenir dans la relation demploi .......................................................................................................................................193.1. Contrats aidés et parrainage : un exemple de montage astucieux pour des parcours de stabilisation dans lemploi ...........................................................................................................................................19 3.2. Un exemple de partenariat autour de lapprentissage .......................................................................21
3.3. La mise en musique des stages individualisés de formation en alternance (Sifa) ............................23
3.4. Les emplois-jeunes ...........................................................................................................................24
4. Agir sur les épreuves dorientation/sélection des jeunes ............................................24
4.1. Latelier de simulation professionnelle.............................................................................................25 4.2. Limplantation locale de la méthode IOD ........................................................................................26
5. Variations autour du parrainage .................................................................................29 5.1. Un « coup de pouce » pour des jeunes « prêts à travailler »versusun dispositif pour des jeunes en grandedifficulté.......................................................................................................................................305.2. Une action essentiellement centrée sur la personneversusune double intervention auprès des jeu-nes et des employeurs locaux...................................................................................................................30
6. Laide à la création dactivités ....................................................................................31
Partie 2 : Offrir de nouveaux services aux jeunes usagers .........................................35
1. Le jeune, sous la figure de lusager............................................................................35
2. Laccueil des jeunes ...................................................................................................36 2.1. Lorganisation de laccueil ...............................................................................................................36
2.2. La politique de proximité..................................................................................................................36
3. La diversification des services offerts.........................................................................39
3.1. Cyberespaces et nouvelles technologies ...........................................................................................40
3.2. Les ateliers-look..............................................................2.4.................................................................
3.3. Un projet de renforcement de laction dinsertion par le logement ..................................................43
4. Créer des dispositifs sur mesure pour répondre aux besoins des jeunes ..................45
Partie 3 : Innover dans la prise en charge de la souffrance.........................................47
1. Accès aux droits et partenariat externe avec des professionnels de la santé ............49
2. Recruter des professionnels au sein de la mission locale ..........................................50
3. La prise en compte du handicap ................................................................................51
Partie 4 : La citoyenneté et l accès des jeunes à l espace public ...............................53  
1. La réaffiliation des jeunes...........................................................................................53
2. Laccès aux droits.......................................................................................................54
3. Laccès à lespace public par lexpression culturelle ..................................................55
4. La démocratie participative : une réflexion autour de lhypothèse dun comité dusagers........................................................................................................................56
Partie 5 : Les facteurs de l innovation ...........................................................................59
1. Un recrutement ouvert à une pluralité de profils et dexpériences..............................59
2. Un équilibre interne entre organisation formelle et spécialisations informelles ..........60
3. Lorganisation des partenariats locaux .......................................................................61
4. Freins et limites institutionnels....................................................................................64
5. La diffusion de linnovation .........................................................................................67
Conclusion .......................................................................................................................69
1. Une définition de linnovation .....................................................................................69
2. Linnovation dans laction sur le marché du travail .....................................................69
3. Linnovation, adaptation aux attentes et aux besoins des jeunes, malgré la multiplicité des injonctions institutionnelles ......................................................................................70
4. Le caractère marginal des initiatives visant laccès des jeunes à lespace public ......70
5. Les conditions de linnovation ....................................................................................71
Annexe 1 : Méthodologie ................................................................................................73
  Annexe 2 : Questionnaire pour la constitution d un fonds commun d expériences .89
Annexe 3 : Les monographies (uniquement dans la version électronique, cf. www.cee-recherche.fr) ...............................................................................................97
INTRODUCTION
Lobjet de létudeLes missions locales et linnovationest de contribuer à la réflexion sur lactivité des missions locales et leurs pratiques innovantes, en liant trois niveaux danalyse : - une exploration bibliographique de travaux réalisés en sciences sociales sur la question de linnovation ; - une analyse de « fiches-action », rédigées par des missions locales et PAIO (permanences daccueil, dinformation et dorientation) dans le but de décrire les actions qui leur paraissent les plus significatives ; - des monographies approfondies, afin de mieux comprendre les conditions démergence et de dé-roulement de ces actions au sein des associations. Létude présente demblée plusieurs difficultés méthodologiques : 1- Comment traiter spécifiquement la question de linnovation, sachant que celle-ci est une raison dêtre des missions locales, inscrite au cur même de leur activité : la charte de 1990 ne les définit-elle pas comme « espaces dinitiative et dinnovation », créés pour permettre lémergence de prati-ques nouvelles, lexpérimentation, la diffusion et la valorisation des innovations ? Évoluant depuis leur création dans un environnement incertain, tant du point de vue des attentes de leur public que des contraintes institutionnelles émanant des pouvoirs publics, les missions locales et PAIO constituent le plus souvent, non des organisations solidement constituées, mais plutôt des structures fragiles, obligées de sadapter en permanence à un environnement mouvant pour survivre et poursuivre leur mission. Dans ce contexte, linnovation, cest dabord ladaptation permanente. Lorsquon aborde la question avec les équipes des missions locales et PAIO, celles-ci considèrent dailleurs, en général, que linnovation est diffuse dans lensemble de leur activité, et elles attachent légitimement autant dimportance à linventivité quotidienne, indispensable pour donner sens à leur pratique professionnelle, quà la mise en uvre de projets-phare. 2- Linnovation doit-elle être appréhendée de façon diachronique, comme processus de changement intervenant dans lhistoire de telle ou telle structure, ou de façon synchronique, comme projet origi-nal par rapport à lensemble de toutes les actions mises en uvre à ce jour au sein du réseau des missions locales ? La notion d« innovation » contient à la fois lidée de « nouveau » et lidée de « changement ». Or, ces deux critères ne coïncident pas nécessairement : la mise en uvre dun projet peut provoquer de grands bouleversements internes, sans que laction soit considérée comme une nouveauté par rap-port aux pratiques connues dans le réseau ;a contrario, il est possible quun projet original, expéri-menté pour la première fois en mission locale (ML), ne provoque au sein de la structure que des effets très limités. De plus, si les notions de « nouveauté » et de « changement » font sens commun, il est clair quelles laissent place à des appréciations largement divergentes : à quel moment passe-t-on de la continuité au changement ? À quel titre une action est-elle considérée comme nouvelle ? 3- Faut-il circonscrire le champ des innovations pertinentes, sachant quelles peuvent êtrea prioride natures très diverses, technique, sociale, organisationnelle, etc. : mode daccueil du public, outils techniques pour lorientation professionnelle, mode de négociation avec les employeurs locaux, nouveau service offert, partenariat avec des professionnels de la santé, place faite aux jeunes dans la vie de la structure, etc. ? Confrontés à ces difficultés méthodologiques, nous avons construit progressivement un cadre danalyse, en mobilisant plusieurs appuis théoriques. Notre démarche sinscrit dans le programme à
Rapport de recherche CEE 21
moyen terme développé au sein de notre unité de recherche autour de la question centrale : com-ment prendre en compte lexpérience des personnes dans lévaluation de laction publique ? Com-ment compléter le point de vue « extérieur » privilégié à des fins de gestion et dévaluation (statisti-que de description, comparaison, estimation) par le point de vue « intérieur » de ceux qui sont en-gagés dans laction et qui inventent « en situation » les usages des politiques ? Dans cette démarche, nous ne pouvions commencer les monographies avec une grille danalyse « clés en main ». Il nous a fallu lélaborer chemin faisant, dans le souci constant de mettre en perspective les réflexions et les préoccupations des acteurs que nous rencontrions, à la lumière dautres travaux, réflexions et débats.
Linnovation en perspective
Il est dautant plus nécessaire de mettre la notion d« innovation » en perspective quelle tend à de-venir, dans tous les domaines de la vie sociale, une injonction quasiment incantatoire. Si un large consensus en fait une condition de survie des entreprises, elle est aussi de plus en plus souvent exi-gée par les pouvoirs publics, en recherche de pratiques innovantes à soutenir et à diffuser. Véhicu-lant une idée délan, de vitalité, dimagination, elle procure à moindre frais, pour reprendre lexpression de F. Cros, un « vrailiftingsocial », même si certains la soupçonnent davoir partie liée avec une idéologie mercantile1. Pour F. Cros, jusquauXVèdailleurs toute forme de progrès, est jugéesiècle, linnovation, comme hasardeuse, potentiellement menaçante. La valorisation de linnovation va manifestement de pair avec lessor du capitalisme. Elle ne trouve que tardivement, avant la Deuxième Guerre mondiale, une formulation théorique, sous la plume de Schumpeter qui met linnovation entrepreneuriale au centre de la dynamique capitaliste. Les années 60-70 voient en revanche une turbulence dinnovations, portée par une vague critique vis-à-vis du capitalisme, et plus particulièrement vis-à-vis du capitalisme dÉtat : expériences de vie et/ou dactivité communautaire, pédagogies expérimentales, etc. Mais, de même que le patronat des années 70-80 reprend le contrôle dans les entreprises en endogénéisant les demandes dautonomie jusque-là jugées subversives (cest le moment où émerge le thème de lentreprise, lieu privilégié de linnovation sociale), les pouvoirs publics tendent à institutionnaliser linnovation, hier rebelle et désordonnée, et même à lexiger du secteur non marchand. En témoignent, par exemple, les projets détablissement dans le secteur éducatif ; ou le programme « Nouveaux services-Emplois jeunes » (NSEJ) qui conditionnait laide de lÉtat à la formulation dun « projet innovant ». Les demandes adressées aux chercheurs par les pouvoirs publics se ressemblent alors : aidez-nous à repérer et diffuser les « bonnes » pratiques !2Sans écarter cet objectif de réfléchir à la diffusion des pratiques innovantes au sein des missions locales, le cadre danalyse que nous proposons a été élaboré avec le désir de ne jamais perdre de vue lexpérience des acteurs et le jeu de contraintes dans lequel ils se trouvent enserrés.
1Cros F., 1998, « Linnovation en éducation et en formation : vers la construction dun objet de recherche »,Éducation permanente,n° 134, pp. 9-20. 2Est un exemple intéressant de réflexion collective engagée par des chercheurs en sciences de léducation face à une telle demande : « Linnovation en question »,Éducation permanente, n° 134.
8
1. LA CONSTRUCTION DU CADRE D ANALYSE
Linnovation comme processus
Rapport de recherche CEE 21
Déjà présente chez G. Tarde3, la distinction entre invention et innovation est devenue classique en sociologie : linvention constitue une nouvelle donne, la création dune nouveauté technique ou organisationnelle, alors que linnovation représente lensemble du processus social et économique amenant linvention à être finalement utilisée, ou pas. Les historiens ont dailleurs montré quil nexiste pas de relation déterminée entre une découverte et son usage (ex. du moulin à eau ou de la charrue à roues). La métaphore duscrabble, chère à B. Latour, illustre bien cette distinction : cest une chose de composer un beau mot, une autre de trouver un endroit où laccrocher !4Pour N. Alter, les décisions de changement prises par les directions des entreprises doivent ainsi êtres comprises comme des inventions et non des innovations. Pour prendre pied dans le tissu so-cial, elles doivent faire lobjet dune appropriation par les utilisateurs. Cette phase est longue, scan-dée par des découvertes intermédiaires : cest pourquoi lactivité dinnovation sintègre dans la vie ordinaire des entreprises. En revanche, une invention qui ne laisse pas de place à lappropriation demeure un « truc » dépourvu de sens, ce que lauteur appelle une invention dogmatique (ex. la reclassification des personnels des entreprises publiques dans les années 90)5. La distinction invention/innovation reste tout à fait pertinente pour notre étude : pour que lon puisse parler dinnovation dans les missions locales, il ne suffit pas dun dispositif, dune méthodo-logie ou dune réorganisation introduites par une ou plusieurs personnes, il faut nécessairement quil y ait place à lappropriation par lensemble des acteurs concernés.
De laction finalisée à linventivité du quotidien
F. Cros a tenté de construire le concept dinnovation dans le domaine de léducation. Elle note ainsi quatre attributs de linnovation : lidée de nouveau ; le phénomène du changement ; une action so-ciale finalisée ; un processus, une « mise en intrigue ». Ce qui lamène à proposer la définition sui-vante : linnovation comporte du nouveau relatif à un contexte et à celui qui lénonce (sans souci de porter un jugement sur la qualité du nouveau qui conduirait le chercheur à se positionner en juge ultime) ; elle sinscrit dans un changement volontaire sur un fond de lutte de valeurs ; elle est un processus de construction de sens dans un passé, un présent et un avenir, qui fait passer lindividu dagent à sujet de sa propre histoire6. Lexpérience des entretiens en mission locale nous amène à élargir cette définition. Trop restrictive à nos yeux, en raison du troisième attribut « changement volontaire sur fond de lutte de valeurs », cette définition ne rendrait pas justice à linvention du quotidien sur laquelle les professionnels ren-contrés insistent souvent, parce que cest précisément cette inventivité qui leur permet de donner sens à leurs pratiques. Moins quune stratégie de changement volontaire, linvention du quotidien est en effet une tactique dadaptation permanente au réel. Les travaux de M. de Certeau ont mis à jour les « mille et une manières de braconner » par lesquel-les chacun peut se soustraire aux « diktats de la Raison technicienne » et inventer ainsi le quotidien. Lauteur opère une distinction fondamentale entre stratèges et tacticiens : la stratégie postule un lieu propre, une base doù lon peut gérer les relations avec lextériorité. Au contraire, la tactique se caractérise par labsence dun lieu propre, elle doit jouer avec le terrain qui lui est imposé. Le stra-tège ne connaît son champ daction quà travers la carte détat-major, alors que le tacticien ne cesse 3Tarde G., 1993,Les lois de limitation, Éditions Kime. 4Latour, B., 1993,Petites leçons de sociologie des sciences,Paris, La Découverte (Points Sciences). 5N. Alter, 1998, « Quelques principes de lanalyse sociologique de linnovation »,Éducation permanente,n° 134, pp. 21-34. 6C s F., 1998,op. cit. ro
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