Juin 2010 PROJET DE RECHERCHE Evolution des performances des élèves de 15 ans, stratification sociale et organisation du système éducatif Une comparaison de la France avec quatre nations européennes à partir des enquêtes du PISA Noémie Le Donné Directeur de Recherches : Louis‐André Vallet Projet de recherche Les comparaisons internationales des performances scolaires des élèves ont essentiellement privilégié des réflexions en termes de performances nationales moyennes, dont la manifestation la plus symptomatique réside dans l’établissement d’un classement des pays suivant leur plus ou moins grande efficacité en matière d’enseignement. Ce classement international est une des utilisations les plus popularisées des enquêtes du PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), pilotées par l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques). La plupart des recherches françaises passées ont porté sur les données du PISA agrégées au niveau national et adopté une approche macrosociologique pour la confrontation des performances des pays (entre autres : Mons, 2007 ; Duru‐Bellat, Mons, Suchaut, 2004 ; Meuret et Morlaix, 2006 ; Baudelot et Establet, 2009, etc.). Or, la seule prise en compte des tendances centrales et des indicateurs synthétiques de performances au niveau national ne permet pas de décrire ...
Les comparaisons internationales des performances scolaires des élèves ont essentiellement privilégié des réflexions en termes de performances nationales moyennes , dont la manifestation la plus symptomatique réside dans létablissement dun classement des pays suivant leur plus ou moins grande efficacité en matière denseignement. Ce classement international est une des utilisations les plus popularisées des enquêtes du PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), pilotées par lOCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques). La plupart des recherches françaises passées ont porté sur les données du PISA agrégées au niveau national et adopté une approche macrosociologique pour la confrontation des performances des pays (entre autres : Mons, 2007 ; Duru ‐ Bellat, Mons, Suchaut, 2004 ; Meuret et Morlaix, 2006 ; Baudelot et Establet, 2009, etc.). Or, la seule prise en compte des tendances centrales et des indicateurs synthétiques de performances au niveau national ne permet pas de décrire, de façon satisfaisante, la réalité scolaire dun pays. De plus, les analyses passées ont abouti à des résultats en statique, puisquelles ont porté sur des données en coupe instantanée. Par conséquent, elles nont pas pu étudier lévolution temporelle des écarts de performances entre les élèves au sein des pays et entre les pays. Ainsi, mon projet de recherche vise à analyser, à un niveau plus fin, les performances des élèves de 15 ans et leur évolution au cours de la dernière décennie, dans cinq nations européennes : en France, en Allemagne, en Espagne, en Finlande et au Royaume ‐ Uni . En sappuyant sur la richesse des données du PISA, mon projet cherche à expliciter la diversité des profils scolaires des élèves en fin de scolarité obligatoire, et à positionner linstitution française à laune de quatre systèmes éducatifs étrangers. Il vise en particulier à établir les liens entre la distribution des performances et, dune part la stratification sociale et la répartition des capitaux socioéconomiques dans la population, dautre part la structure du système éducatif. Prenant acte de lélan réformateur qui concerne les systèmes éducatifs des pays développés, il sattachera à évaluer les effets de ce tournant sur le niveau et la dispersion des performances des élèves.
Mes recherches reposent sur lexploitation denquêtes de grande qualité : les enquêtes du Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves (PISA) . Ce programme a pour vocation de déterminer dans quelle mesure les élèves ont acquis, au terme de la scolarité obligatoire, les savoirs et savoir -faire nécessaires à leur pleine participation à la société de la connaissance. Jusquà ce jour, quatre enquêtes PISA ont eu lieu selon les principes suivants. Les enquêtes sont réalisées tous les trois ans auprès délèves de 15 ans. Trois disciplines ont été évaluées tour à tour : en 2000, la compréhension de lécrit était à lhonneur, en 2003 la culture mathématique et en 2006 la culture scientifique. Le PISA suit des cycles périodiques de neuf ans , composés de trois enquêtes. En 2009, le PISA entame son second cycle en testant de nouveau les compétences des élèves en compréhension de lécrit. La couverture géographique du PISA est très large puisque plus de soixante pays participent au programme (dont les trente pays de lOCDE). Pour lanalyse des résultats, l a base de données du PISA offre un éventail dinformations sans précédent. Trois séries de facteurs sont pris en considération. Les premiers sont spécifiques aux élèves : leur milieu socio ‐ économique, leur statut dautochtone ou dallochtone ou encore leur patrimoine culturel familial. Les deuxièmes relèvent des établissements : leur secteur, le mode de recrutement de leurs élèves, leurs ressources et leurs
2
équipements. Enfin, les derniers facteurs sont en rapport avec le système déducation : le degré dautonomie et les ressources dont jouissent les établissements ainsi que lorganisation institutionnelle de lenseignement secondaire. Par conséquent, l e riche système dinformations du PISA est adapté pour étudier les facteurs qui influent sur la réussite des élèves et comparer dans le temps les résultats français aux performances dautres pays. Mes recherches sintéresseront essentiellement à leffet de lorigine sociale sur la performance de lélève, plus généralement aux liens entre la configuration des statuts socioéconomiques dans la population délèves et tous les aspects de la distribution de leurs performances, en tenant bien compte des singularités institutionnelles et des pratiques éducatives du pays. La présente note expose mon projet de recherche et sorganise en quatre étapes. Elle présente, en premier lieu, les apports et les limites des analyses françaises actuelles du PISA. Ensuite, elle étaye la façon dont ce projet sinscrit dans la continuité de mes travaux de recherche passés. Puis, elle définit les concepts fondamentaux du PISA afin dinstruire, dans une dernière partie, les objectifs de cette comparaison des performances des élèves. Les analyses françaises des enquêtes du PISA Les questions de recherche qui motivent mon projet se nourrissent des études sociologiques actuelles réalisées sur les données du PISA. La courte revue de littérature que jai conduite poursuit deux objectifs : dune part identifier les résultats acquis pour y appuyer mon travail futur ; dautre part, repérer les lacunes des recherches passées pour proposer de les dépasser à laide dune approche originale. Les principales recherches conduites sur le PISA ont le mérite de souligner la grande qualité des données du PISA, de promouvoir lexploitation des enquêtes et de rendre public le débat sur les résultats français aux épreuves. Cette publicité du PISA est dautant plus remarquable que lon a longtemps fait le procès des évaluations internationales, notamment celles de lIALS (International Adult Literacy Survey) conduites en 1994. Les travaux français effectués sur le PISA valorisent à juste titre son dispositif denquêtes. Les études ont en commun leur démarche : elles consistent toutes en des comparaisons internationales et insistent sur les vertus heuristiques des analyses comparées . Elles ont établi un ensemble de résultats généraux qui forment le terreau fécond des analyses futures. Elles ont relevé des associations statistiques entre, dune part les paramètres structurels et les politiques éducatives, et dautre part le degré defficacité et déquité des systèmes. A ce titre, les travaux de Duru ‐ Bellat, Mons et Suchaut (2004a et 2004b), consacrés aux exploitations de la première enquête du PISA, i.e. le PISA 2000, brossent un portrait relativement complet des « lois supranationales » régissant les liens entre la structure des écoles nationales, le niveau scolaire moyen et les inégalités de performance des élèves. Sagissant de la relation entre la stratification sociale et la distribution des performances, leurs analyses montrent que les pays les plus inégalitaires socialement sont aussi un 3
peu plus fréquemment les pays où les élèves sont les moins performants et où les écarts de réussite entre les élèves sont les plus importants (et inversement). Concernant les aspects institutionnels de lécole, ils confirment quune sélection précoce des élèves saccompagne souvent dune moindre réussite des élèves et dune faible proportion dexcellents élèves. Lexistence de filières, la brièveté du tronc commun et la ségrégation entre les établissements seraient associées à de fortes inégalités sociales de performance. Parmi les ouvrages délivrant des résultats dordre général à partir des données du PISA, Lélitisme républicain (2009) de Baudelot et Establet se distingue par son ton assez militant. Les auteurs cherchent à évaluer les systèmes scolaires et à positionner lécole française à laune de deux valeurs : lefficacité et la justice sociale. Baudelot et Establet partent du constat, quen termes de réussite aux épreuves du PISA, la France fait figure de mauvaise élève parmi les pays riches et développés. A ce titre, ils dénoncent la part très élevée de jeunes en échec scolaire et le faible taux dexcellents élèves. Daprès eux, le système éducatif à la française nest ni juste, ni efficace, car avant tout élitiste. Dans leur livre, ils défendent lidée que les performances de lélite scolaire et de la masse sont étroitement liées. Le combat de léchec scolaire saccompagnerait systématiquement dun grossissement de lélite. Toutefois, ils concluent abusivement que les systèmes scolaires les moins inégalitaires socialement sont également les plus efficaces et tendent à interpréter les corrélations observées comme des causalités. Enfin et surtout, ils formulent quelques critiques au système éducatif français en se référant aux résultats établis à partir des enquêtes du PISA. Ils dénigrent, par exemple, la pratique du redoublement, quasi exclusivité française, affirmant quelle est contre ‐ productive, et prônent au contraire le maintien du tronc commun indifférencié.
Les exploitations françaises du PISA ont également mis au jour des typologies des écoles : elles ont inscrit la France dans des familles de pays et repéré lécole française dans le paysage international. On peut citer la pertinente « typologie de lécole obligatoire » construite par Mons (2007). La sociologue distingue quatre modèles. Le modèle de « séparation », typique des pays germaniques et en particulier de lAllemagne, se caractérise par une sélection précoce, un tronc commun court (qui sachève avec lenseignement primaire), des écoles de niveau, des classes de niveau au primaire, un taux de redoublement élevé, un enseignement spécialisé pour les élèves les plus avancés et des taux de sortie du système sans qualification faibles. Elle distingue ensuite trois modèles dintégration marqués par un tronc commun unifié long mais qui adoptent des solutions différentes pour gérer lhétérogénéité des élèves. Le modèle « dintégration individualisée », caractéristique des pays scandinaves, fonctionne suivant un système de promotion automatique dans les niveaux scolaires supérieurs, des classes de niveau quasi inexistantes, un enseignement individualisé généralisé et un taux dabandon faible. Le modèle « dintégration à la carte », qui organise spécifiquement ses classes pour les matières fondamentales et constitue ainsi des classes de niveau, correspond aux systèmes anglo ‐ saxons. Enfin, le modèle « dintégration uniformisée » concerne les pays latins (France, Espagne, Portugal, Argentine, Chili). Dans ces systèmes scolaires, on trouve de manière dominante un enseignement de tronc commun. Le redoublement apparaît comme le paramètre dajustement qui permet de réguler le flux délèves et de séparer ceux dentre eux qui ne parviendraient pas à suivre le niveau imposé.