Le Télémaque, périple odysséen ou voyage initiatique ? - article ; n°1 ; vol.15, pg 59-78
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1963 - Volume 15 - Numéro 1 - Pages 59-78
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1963
Nombre de lectures 67
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Professeur Jeanne-Lydie Goré
Le "Télémaque", périple odysséen ou voyage initiatique ?
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1963, N°15. pp. 59-78.
Citer ce document / Cite this document :
Goré Jeanne-Lydie. Le "Télémaque", périple odysséen ou voyage initiatique ?. In: Cahiers de l'Association internationale des
études francaises, 1963, N°15. pp. 59-78.
doi : 10.3406/caief.1963.2243
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1963_num_15_1_2243LE TÉLÉMAQUE, PÉRIPLE ODYSSÉEN
OU VOYAGE INITIATIQUE
Communication de Mme J.-L. GORÉ
{Grenoble)
au XVIe Congrès de l'Association, le 26 juillet 1962.
Les Aventures de Télémaque s'ouvrent et s'achèvent sur
la vision d'une immortelle :
Calyso ne pouvait se consoler du départ d'Ulysse.
Dans sa douleur, elle se trouvait malheureuse d'être immortelle.
Parvenu au terme de son voyage, le fils du héros entendra
Minerve :
Je vous quitte, ô fils d'Ulysse ! mais ma sagesse ne vous quittera
point...
Qu'elle soit tourment ou paix suprême, l'immortalité
inscrit dans le Télémaque une trace inaltérable, soyeuse,
olympienne : les dieux qui apparaissent dans « cette narration
fabuleuse en forme de poème héroïque comme ceux d'Ho
mère et de Virgile », demeurent « les maîtres du champ du
ciel ».
Télémaque, fils d'Ulysse, reprendra sous leurs regards le
périple de son père. Cela seul anéantit le temps et suffit à nous
projeter dans un univers où les normes sont celles du mythe
et du sacré. Ombre d'Ulysse, mais ombre innocente autant во JEANNE-LYDIE GORÉ
qu'Ulysse l'avisé avait d'expérience, Télémaque se glisse
sans heurt dans le sillon de la nef paternelle et son vaisseau
en acquiert une fragilité fantomatique. Nous ne nous étonne
rons pas qu'il gagne un jour les sombres bords des fleuves
infernaux. Et parce que l'errance d'Ulysse était quête d'Itha
que — l'île bienheureuse — les navigations de l'éphèbe seront
également désir de survivre jusqu'à espérer de connaître
paix et bonheur entre son père et le divin Eumée.
Parce qu'il est moins « une suite du IVe livre de Y Odyssée »
qu'un recommencement de l'épopée, le Télémaque porte en
lui tout un legs de symboles, lourds de rêves ancestraux et
magiques, riches d'une poésie qui est expression d'un désir
quasi obsessionnel d'immortalité. Il est cela avant d'être ce
voyage pédagogique, ce « grand tour méditerranéen et géo
graphique » à quoi l'érudition voulut un temps ramener
Y Odyssée elle-même.
Parmi tant de voyageurs, il en est qui reviennent à leur
point de départ comme Sindbab à Bagdad avant chaque nou
velle aventure, Don Quichotte qui regagnera son
village. Ulysse lui-même revient, obscur puis triomphant.
Le périple est clos : le voyage s'achève où il a commencé.
A la limite il est un vertige qui se nourrit de lui-même.
D'autres voyageurs ne reviennent jamais. Roland parti lui
aussi sur les traces d'un héros, Charlemagne, meurt au loin,
seul, Turpin gisant à ses côtés après qu'il eut béni tous les
barons et prié le Dieu de gloire de mettre leurs âmes « au
paradis, parmi les saintes fleurs ».
Quant à la Psyché de La Fontaine, abandonnée des siens,
victime de sa curiosité, elle émerge de ses épreuves infernales,
le visage couvert d'une fumée noire, pour connaître non le
palais de Cupidon mais l'Olympe où, « affranchie de la ty
rannie du temps », « indépendante du hasard et de la malignité
des astres », elle donnera naissance à la fille de l'Amour, la
Volupté.
Ce sont là voyages mystérieux, pleins d'épreuves qui s'éva
nouissent au moment où le héros renaît à une vie authentique-
ment éternelle : non plus un bonheur clos entre les vignes et
les rochers d'Ithaque, mais le banquet des bienheureux où LE TÉLÉMAQUE, PÉRIPLE ODYSSÉEN 6l
l'on se nourrit d'ambroisie. Il ne s'agit plus de retrouver soi-
même mais de connaître ce qui dépasse l'existence.
Non plus un périple mais une initiation, non des épreuves
morales mais une expérience mystique. Entre Calypso et
Athéna, Télémaque erre des Iles de l'Egée aux rives de la
connaissance sacrée. Le temps religieux et magique dans l
equel s'inscrivent ses Aventures se trouve déchiré par la
révélation de la béatitude des Élus. Alors que chez Homère,
Ulysse, sans pénétrer à l'intérieur du royaume des Morts,
écoute impuissant le message désespéré d'Achille, Télé
maque sans errer aux confins du monde mais en s'enfonçant,
nouvel Orphée, dans un paysage virgilien qui est image de
l'âme humaine, devient spectateur ébloui de l'extase des
bienheureux.
Selon un schéma fantastique le périple odysséen et l'in
itiation mystique du fils d'Ulysse se développent donc paral
lèlement jusqu'à ce qu'ils se croisent. L'espace ainsi défini
n'est point une Méditerranée plane mais un univers à plu
sieurs dimensions où se mêlent confusément l'humain et le
divin, la mythologie et la mystique, le retour en Ithaque et
l'approche des Champs Élysées, la crainte de l'immortalité
et le désir d'éternité.
« Dulcissime vanus est » disait saint Augustin d'Homère,
exprimant ainsi combien il goûtait sa poésie et combien il la
jugeait vaine — « inutile pour le salut », comme diront les
contemporains de Fénelon. L'abbé Terrasson écrivait en
17 15 : « La plupart des dieux ont sans doute une origine
allégorique tirée de la Nature ou de l'Histoire et la recherche
de cette origine a sa curiosité ; mais ils ne sont plus all
égoriques dans tout et les interprétations qu'on en donnera par
rapport à ce poète paraîtront toujours chimériques à ceux qui
ne se payent que de raisons solides ou du moins vraisem
blables (1). »
(1) Abbé Terrasson. Dissertation Critique sur V Iliade d'Homère, III,
IV, p. 182. JEANNE-LYDIE GORÉ 02
II n'est pas certain que Fénelon eût entièrement souscrit
aux louanges que la Dissertation Critique sur Г Iliade donnait
à son Télémaque plus beau qu'Achille de ce qu'il était « plus
vertueux ».
Certes il reconnaît « la monstruosité » de la religion odys-
séenne mais il en excuse Homère (2). Ce n'est point qu'il croie,
comme « divers savants », « qu'Homère ait mis dans ses poèmes
la plus profonde politique, la plus pure morale et la plus
sublime théologie. Je n'y aperçois point ces merveilles »,
dit-il. Mais il le regrette et constate : « c'est peut-être une
faute (3). »
Autour de lui, Perrault, Desmarets de Saint-Sorlin avaient
exalté le merveilleux chrétien et dépréciaient Homère par
rapport à Virgile (4). Fénelon lui-même, après son ami Fleury,
jugeait les héros homériques « indignes de l'idée que nous
avons de l'honnête homme »(5), et insipides les récompenses
promises à la vertu la plus pure ; il goûtait surtout « la sim
plicité des mœurs antiques » (6). Mais qu'était cela à ses yeux,
baignés de poésie homérique ? Bien qu'il les jugeât « ch
imériques », il savait que « les platoniciens du Bas Empire
avaient imaginé les allégories et de profonds mystères dans
les divinités qu'Homère dépeint ».
Après Platon qui choisit Achille, Nestor et Ulysse comme
modèles du héros, du sage et de l'homme avisé (7), les stoï
ciens avaient eu du goût pour l'interprétation morale d'Ho
mère. Dès le IVe siècle les Pythagoriciens étaient revenus de
leur sévérité primitive et Ulysse, si l'on en croit Porphyre (8),
était devenu le symbole de l'homme qui fait voile vers la
patrie céleste.
(2) Fénelon. Lettre à l'Académie. Œuvres, Éd. de Paris, t. VI, p. 648.
« II n'a pu la changer, il l'a ornée, il

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