Les quatre discours selon Lacan
9 pages
Français

Les quatre discours selon Lacan

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
9 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description


• 1) Il y a le discours hystérique.
Le terme hystérique ne désigne pas ici le discours d’un
hystérique clinique mais simplement le discours d’un sujet divisé par sa souffrance, par
son symptôme, c’est la douleur d’une demande, le discours de la souffrance.
L’hystérie,
comme la personnifieTantale, est une dimension de la nature humaine.
« 2) Il y a le discours universitaire qui est le discours qui cherche les causes de la
souffrance.
Ce n’est pas le discours de quelqu’un qui serait spécialement diplômé, ce
discours désigne seulement l’ensemble des connaissances actuelles sur un sujet
particulier.
Il en délimite les impuissances.
3) Il y a Le discours du maître qui est le discours sur l’extinction de la souffrance.
Le
maître n’est pas ici un personnage de chair et d’os, mais simplement un impératif.
Il
peut être trompeur et tyrannique.
4) Enfin il y a le discours psychanalytique qui est la praxis de l’extinction de la
souffrance, c’est-à-dire la pratique qui assure à chacun la r
  [Moins]

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1 543
Langue Français

Extrait

• 1) Il y a le discours hystérique. Le terme hystérique ne désigne pas ici le discours d’un hystérique clinique mais simplement le discours d’un sujet divisé par sa souffrance, par son symptôme, c’est la douleur d’une demande, le discours de la souffrance. L’hystérie, comme la personnifieTantale, est une dimension de la nature humaine.
« 2) Il y a le discours universitaire qui est le discours qui cherche les causes de la souffrance. Ce n’est pas le discours de quelqu’un qui serait spécialement diplômé, ce discours désigne seulement l’ensemble des connaissances actuelles sur un sujet particulier. Il en délimite les impuissances.
3) Il y a Le discours du maître qui est le discours sur l’extinction de la souffrance. Le maître n’est pas ici un personnage de chair et d’os, mais simplement un impératif. Il peut être trompeur et tyrannique.
4) Enfin il y a le discours psychanalytique qui est la praxis de l’extinction de la souffrance, c’est-à-dire la pratique qui assure à chacun la rencontre effective avec son désir. Ce n’est pas une position de savoir, ni de pouvoir, ni de normalisation, ni d’orthodoxie mais la fantastique Odyssée de notre propre désir en son récit abouti. C’est encore, selon la sauvage mais juste expression de Picasso : « Le désir attrapé par la queue » ou son « je ne cherche pas je trouve ». »
L’intuition première de cette réflexion serait d’assigner à la parole enseignante – notamment celle du professeur de philosophie, mais son cas n’est pas spécifique – une certaine forme d’« atopie » tout en reconnaissant son inclusion dans une structure relativement contraignante qui est celle des discours. Toutefois notre hypothèse est que la parole enseignante n’appartiendrait pas à un seul modèle de discours auquel elle serait rivée définitivement, mais qu’elle participerait au contraire d’une pluralité de discours qui, pour être antinomiques n’en sont pas moins articulés structuralement, du moins si l’on se réfère à une certaine théorie imputable à Lacan. Le caractère propre de la posture enseignante serait donc à chercher, paradoxalement, dans son inassignabilité, parfois même son équivocité et surtout dans sa mobilité – ce qui expliquerait à la fois cette réputation de « mission impossible » et cet aura de « miracle permanent » que l’on attribue parfois à l’enseignement. C’est cette spécificité quasiment structurelle qui permettrait à l’enseignant de s’adapter à la diversité des situations, à l’hétérogénéité grandissante des publics, et finalement de parer aux difficultés nombreuses de sa tâche. Tout ce que nous aurons à formuler pour l’enseignement et le discours enseignant en général vaudra évidemment pour l’enseignement de la philosophie, d’autant plus que cette discipline, depuis ses origines, s’est volontiers auto-érigée en discours princeps et universel. Il nous faut commencer par rappeler les grandes lignes de cette fameuse “théorie des discours” que Lacan a développée notamment dans son séminaire de l’année 1969-70, “L’envers de la psychanalyse“, avant de tenter de les appliquer à la situation enseignante.
in Scilicet n°2/3, Seuil, Paris 1970 (schéma de Lacan)
Les quatre discours selon Lacan
La théorie des discours de Lacan part de la situation énonciative la plus commune où unagentlocuteur (destinateur) s’adresse à unautrelocuteur (destinataire), ce qui correspond à la forme nucléaire d’un lien social tissé par le langage. Tout message basé sur un code linguistique (S1 > S2, c’est la chaîne signifiante saussurienne) est censé transmettre un signifié ayant valeur devéritéetproduireun effet dans le réel. Ces deux derniers éléments appartiennent à l’énonciation, ils sont respectivement moteur et conséquence réelle de la parole, ils n’apparaissent donc pas au niveau conscient de l’énoncé. Ainsi les places sont fixes (agent, autre, vérité, production) et constitutives de tout discours, mais elles se trouvent investies différemment par les sujets en fonction des types de discours, eux-mêmes résultant de situations sociales différentes et de mises en place du désir contradictoires. Ces éléments tournants sont représentatifs de toute subjectivité parlante, ou si l’on veut de toute intersubjectivité pour utiliser un terme que n’affectionnait pas Lacan. Une première parole signifiante (S1) – donc il faut prendre signifiant au sens large d’énoncé, et non de “mot” – est émise en vue (la flèche) d’une réponse potentielle elle-même signifiante (S2). S2 est le second signifiant au sens d’abord où un locuteur s’adresse à une totalité théorique de signifiants, ce réseau de savoir qui constitue l’inconscient où réponse doit pouvoir lui être faite. Le signifié du signifiant premier n’est autre que le sujet parlant lui-même qui s’y représente, donc le sujet en tant que divisé ($) par le manque, le désir, le besoin de parler. D’où la célèbre définition du signifiant par Lacan (il n’y en a pas d’autre qui tienne) :“le signifiant est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant”.Reste le 4è terme, qui logiquement devrait être le “signifié” propre du S2, sauf que celui-ci n’est plus un énoncé simplement articulé au S1, mais, ainsi qu’on l’a dit, un savoir incluant l’interaction entre les signifiants. Or un savoir n’a pas de signifié comme c’est le cas d’un énoncé S1, nommant lui le sujet, car il faudrait que le savoir rende compte pleinement du réel (de la “Chose”) ; mais c’est impossible puisque ce rapport S2/a dépend du premier rapport S1/$. Donc ce qu’il en résulte n’est pas le signifié d’une complétude absolue pour le sujet, une jouissance mythique, mais proprement un reste, la jouissance chue et séparée du sujet que Lacan appelle l’”objet a” ou “plus-de-jouir” pour reprendre l’idée de plus-value de Marx, soit le produit du travail en tant que marchandise chez Marx, et donc produit du discours chez
Lacan. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que cet objet-effet soit aussi objet-cause dans l’économie du sujet, objet réel cause du désir et donc de l’acte énonciatif. C’est pourquoi les linguistes ignorent ce concept d’objet réel – la linguistique comme discours scientifique ne s’attache qu’aux déterminations et ignore toute autre “cause” – préférant plutôt mettre en avant le contexte ou la situation qui n’engagent pas le sujet dans sa division propre.
Il est pourtant essentiel de se rappeler que tout du sujet n’est pas symbolisable, qu’il y a un reste réel – nommé dans la structure bien qu’il lui échappe – résistant à la symbolisation. Notamment il ne peut pas exister de correspondance entre la vérité et la production, car si le sujet pouvait se lire ainsi dans l’objet produit, on se demande bien quel besoin il y aurait de parler. Si la structure n’était pas fermée par cette butée réelle, la structure serait en quelque sorte complète, absolue, parfaitement circulaire c’est-à-dire qu’elle n’aurait littéralement plus aucunsens. Il faut bien que la structure ait une direction pour que l’on puisse soit s’y tenir quelque part, soit y circuler à bon escient, changer de place. C’est pourquoi d’une part le nombre théorique des discours est fixe, il ne saurait y en avoir quequatre(rappelons qu’« une structure quadripartite est depuis l’inconscient toujours exigible dans la construction d’une ordonnance subjective » comme l’a écrit Lacan dans le texteKant avec Sade, 1963) ; c’est un fait que notre « discours de l’enseignant », s’il existe, ne pourra être que « supplémentaire » et n’aura peut-être même d’autre justification que de répondre ou de résister à une autre excroissance discursive apparue sur le tard, nous parlerons alors plus bas du « discours capitaliste »… D’autre part qu’il y ait de l’impossibledans la structuration de tout discours demeure un fait primordial, car à vouloir le nier, le forcer ou passer outre, l’on se condamnerait à uneimpuissancequi réduirait pour le coup le champ despossiblescomme une peau de chagrin. Voilà bien l’impassede fait où se trouvent réduits nombre d’enseignants abusés par un surmoi institutionnel qui veut tout et son contraire, exigeant tantôt le respect de normes moralement obsolètes tantôt l’obtention de « résultats » chiffrés dépourvus de toute signification. Ce n’est pas pour rien que l’éducation était déjà qualifiée de tâche « impossible » par Freud lui-même, y reconnaissant un dénominateur commun avec la psychanalyse.
Maître philosophe ?
Le discours “standard” – le plus simple et aussi le plus illusoire de tous – est celui qui correspond à la définition princeps du signifiant comme “représentant le sujet pour un autre signifiant”. Il s’agit duDiscours du maîtreauquel on pourrait certes trouver de nombreux référents historiques, spécialement dans l’éducation, mais il faudrait commencer par indiquer qu’il s’affirme avec la position même du discours comme vecteur et garant de la vérité, révolution opérée par les philosophes grecs. Fondamentalement ce discours du maître a donc à voir avec la philosophie, c’est le discours du philosophe en tant que maître du discours essentiellement. Mais c’est aussi pourquoi, d’un autre point de vue, cette assignation première du philosophe à une position la maîtrise est discutable. Car avec le philosophe il s’agit exclusivement de la maîtrise du discours, et non de la maîtrise en tant que lien social traditionnel, auquel on est en droit de rapporter le schéma de Lacan. Vu de cette manière, le discours philosophique relèverait plutôt de l’Université et en tout cas de l’Ecole, où la maîtrise du discours est requise en même temps qu’une certaine capitalisation du savoir. Le maître « à l’ancienne » ne pourrait être qu’un maître de la Parole uniquement, donc plutôt un initiateur, un magicien du verbe où il y va essentiellement du pouvoir (et de la jouissance) de nommer. Or on sait ce qu’il en fut de Platon qui, tout en feignant de critiquer l’écriture comme accessoire et simulacre (cf. le mythe de Theuth dans lePhèdre), rédigea
pourtant l’œuvre philosophique écrite la plus considérable de son temps. Il y a bien le « cas » Socrate, mais son ambiguïté se situe au niveau d’une autre articulation, entre Socrate maître et Socrate hystérique (celui qui affirme ne rien savoir, etc.), mais dans l’ensemble même le non-savoir de Socrate relève de la maîtrise – du discours, proprement.
Structuralement le discours du maître reflète la position subjective qui consiste à placer en situation première et donc dominante sa propre parole de maître, laquelle est censée représenter le sujet “lui-même” qui s’ignore donc en tant que divisé et castré, aliéné à l’Autre du fait même qu’il parle et séparé de sa jouissance ; au contraire il se fantasme comme héros proférant une parole “pleine” – alors qu’elle n’est qu’emphatique -, entouré de cette “aura” mythique qui longtemps aura été l’apanage illusoire du “prof de philo”. Mais à qui s’adresse-t-il le maître quand il parle, à qui parle-t-il quand il fait mine ainsi de s’adresser à l’élève ? Le maître s’adresse à un disciple théorique supposé pouvoir savoir, c’est-à-dire au fond rien d’autre que lui-même dans sa forme savante réalisée : son propre cours dicté et consigné mécaniquement dans le cahier de l’élève. Comme S2 figurant théoriquement le trésor des signifiants, le cours du professeur représente cette totalité d’informations et de réponses possibles. Mais elles restent évidemment illusoires et de toute façon inaccessibles, sous cette forme, aux élèves.
Ce discours prétend donc transmettre et forcer la constitution d’un savoir chez l’élève, dont la propre parole n’est qu’accessoire puisque le but en effet est de produire la sacro-sainte “copie”, laquelle se voit endosser la fonction d’objet précieux. D’autant plus précieux que si le maître fait travailler l’élève comme un forcené, voire un esclave, c’est aussi dans le but de s’en nourrir lui-même, avant d’être finalement dépassé par l’élève selon la plus parfaite dialectique du maître et de l’esclave. Ce discours – du moins s’il est érigé en modèle – annonce évidemment un ratage intégral dont les effets peuvent s’avérer extrêmement pervers, même s’il peut faire illusion pendant un certain temps (les premières semaines, en situation enseignante, le “prof de philo” peut espérer méduser ses jeunes auditeurs). D’un côté le signifiant maître revêt un caractère arbitraire exacerbé tandis que le sujet s’exhibe comme non castré, maître du discours, de l’autre l’élève ne peut produire que le plus mauvais discours, la mauvaise copie singeant précisément la “voix de son maître” !
L’éducateur, et singulièrement le prof de philo, n’a eu que trop tendance par le passé à endosser ce rôle et à produire ce discours de maîtrise. Pourtant il est clair aussi que, à certains moments, il faut bien assumer cette position, il faut “jouer au maître” à condition de ne pas s’identifier réellement au maître, donc en ménageant une distance ironique propre à désamorcer la haine de l’élève. L’une des attente des élèves et de prendre un cours, de recevoir littéralement une leçon, éventuellement sous la dictée. Toute l’intelligence du professeur consiste alors à ne pas se prendre trop au sérieux à ce petit jeu, qui pourrait se révéler “a very bad game”.
Place virtuelle du “discours de l’enseignant”. Nous n’avons pas reproduit les fléches, visibles sur le premier schéma
Tous savants !
Deuxièmement leDiscours universitaireplace en position dominante, non plus l’énoncé singulier maître mais directement le savoir, soit ici le corpus des “grands auteurs”. Ce type de savoir ne s’adresse pas directement à des sujets parlants mais à leur réalisation potentielle, cet objet académiquement survalorisé qu’est laThèse, la consécration des études ! Sauf que pendant ce temps c’est le sujet lui-même qui fait office de produit, qui se voit ravalé au rang d’objet-déchet, mal nourri, malade, fauché et mélancolique, l’être-étudiant dans toute sa déréliction – au mieux, un parfait rat-de-bibliothèque. Rien de mieux qu’un esclave, là encore, esclave non pas directement du maître (c’est bien plutôt le savant lui-même qui occupe ce rôle, car le maître n’a pas disparu !) mais d’un savoir aliénant. En position de vérité, l’on trouve cette fois le signifiant maître bien illustré par lacitation, que rien ni personne ne saurait remettre en question.
Historiquement ce discours peut correspondre à une certaine idée de la science (pré-galiléenne) comme à une certaine philosophie, dans tous les cas la maîtrise comme fantasme de savoir absolu. Le discours savant de l’universitaire fait indéniablement partie des « casquettes » du professeur, du moins s’il prend au sérieux son rôle de transmetteur du savoir. C’est bien ce que lui demande avant tout l’institution, son vrai maître. Mais l’on sait bien qu’une démarche pédagogique authentique ne saurait se contenter de bourrer des cranes, et c’est bien la faiblesse du discours universitaire : de la pédagogie il n’en a cure. De ce fait il laisse sur la touche le plus grand nombre et ne convainc que ceux possédant déjà les bases du savoir, les plus cultivés, les « héritiers ». Mais la philosophie se trouve aussi dans les textes et il est évident que son apprentissage passe inévitablement par leur étude, surtout si la dissertation continue de s’imposer comme l’épreuve de référence à l’examen. De toute façon, lire des textes en classe et les expliquer rapidement ne peut pas faire de mal, surtout quand on prend soin de les sélectionner dans l’optique de susciter la comparaison, la controverse et le débat.
Le pédagogiste hystérique
Le discours de l’hystérique est aussi le discours de la science (moderne), dont le sujet n’est pas le savant mais le chercheur, aux prises avec son désir. L’enseignant s’y présente en tant
que sujet divisé cherchant le savoir auprès de la classe tout entière, à qui il donne la parole. Le discours de l’hystérique est celui de l’enseignant questionneur. Son obsession est de « faire participer » les élèves. Il y a à l’évidence une dimension socratique dans cette démarche, étant donné la position de non-savoir tenue ici par le maître, qui cependant l’assume moins qu’il ne la joue, voire la sur-joue. En effet, faisant mine de ne rien savoir, il va questionner l’élève sur ce qui lui tient lieu de signifiants maîtres – rien d’autre que la doxa, ce qui ne va jamais bien loin – pour l’amener à y réfléchir et les critiquer dans un second temps. Démarche assez classique du prof de philo, qui plaira à certains élèves, qui pourra en agacer d’autres.
C’est aussi le discours pédagogiste type – tant honni des petits maîtres ou des héritiers conservateurs – qui tente de mettre en position d’agent la classe tout entière et qui se prononce en toute occasion favorable au travail “en équipe” ; infatigableorganisateur(d’activités diverses),animateur(de groupes), sévèrement atteint deréunionnite… Pour ça il y met du sien, il se donne (aussi bien physiquement) sans compter ! Le pédagogiste met en garde contre le discours du maître, refuse la sacralisation de la parole comme celle de l’écrit, se tourne volontiers vers les « nouvelles technologies » au point de fétichiser parfois l’« outil » pédagogique (internet, tableau numérique, etc.) comme source de vérité ; quand la technologie devient pour ainsi dire son symptôme, métaphore de ce qui ne « marche pas » chez lui… Ou alors il fait payer son corps directement car lorsque la pédagogie ne fonctionne pas, c’est le corps qui tombe malade. Heureusement en face, faisant office de savoir, se tient le dialogue lui-même, l’échange, l’interaction : toute parole vraie doit être dialogue dans l’idée que le dialogue tricote à son tour le savoir, produit au niveau du groupe (cf. les fameux « Travaux Personnels Encadrés » !) voire de la classe tout entière. C’est du moins l’utopie de ce discours, sa volonté acharnée de produire dans le réel un savoir au moyen du travail collaboratif. Démarche progressiste composant un curieux mélange d’idéalisme (croire que ça va marcher) et d’empirisme (le courage d’essayer), à la fois relativement efficace et profondément vaine tant l’individu y est sacrifié au profit du social.
Comme un analyste ?
Que vient fairele discours de l’analysedans un dispositif enseignant ? Inversant radicalement le discours du maître, ce discours met en position d’agent cet objet très précieux qu’est le silence de l’analyste (ici le professeur), incarnation de la pulsion, dans la mesure où seul il rend possible la parole de l’autre, l’émergence d’un signifiant maître de la part du patient (ou de l’élève) après des années de cure. Si au mieux l’analysant peut s’approprier ses propres signifiants maîtres et apprendre à s’en arranger autrement pour changer le cours de sa vie, l’on attend de l’élève qu’il pose enfin ses propres questions, celles qui lui tiennent à cœur, et non plus les questions/réponses téléguidées du maître hystérisant qui lui tient lieu de prof… Tel est le véritable objectif, la promotion attendue, le véritable objet de jouissance. Pour y parvenir l’enseignant « comme un analyste » aura donné à l’autre la possibilité d’une élaboration subjective qui soit réellementécriture. Le silence initial présuppose évidemment le savoir latent, et surtout inconscient, de la classe ; la classe est ici le grand Autre, le lieu de la vérité.
Le silence est le meilleur auxiliaire de l’enseignant, le plus difficile à manier également. Mais c’est dans le silence que la pensée a lieu – le silence partagé, pas uniquement celui des élèves – et c’est dans la coupure interprétante que la signification émerge. Il faut bien que le
maître se taise aussi pour que l’élève écrive : d’où l’importance concrètement que celui-ci puisse griffonner librement pendant le cours, sur un cahier de brouillon par exemple – certains préfèrent … dessiner ! signifiant par-là moins leur absence que leur indisponibilité. Ce discours de l’analyste n’a pas vocation à devenir un « modèle » pour l’enseignant, puisque la tâche de ce dernier n’est plus privée mais bien publique et sociale. Un professeur qui ne miseraitquesur les vertus du silence, ou bien qui confondrait l’activité de l’autre (élèves) avec une participation orale désordonnée ou « libre » (comme le sont les associations verbales en cure), ne transmettrait pas grand-chose, de fait, et ne permettrait guère à l’élève de produire du consistant. Ce discours est salutaire, profondément subversif par rapport aux trois autres, mais il ne résout rien au plan pédagogique et n’apporte aucun savoir objectif. Mais il est bon que l’enseignant se souvienne qu’il doit se taire de temps en temps pour qu’un désir d’échange puisse naître !
De l’écartèlement
L’enseignant n’est lié à aucun discours particulier, même si par tradition ou préjugé l’on voudrait lui coller celui de la maîtrise, ou de l’université. Sa place théorique se tient donc au croisement des quatre principaux discours, tout en sachant que cette « place » logiquement et structurellement n’existe pas, et surtout ne fait pas centre. Plus précisément l’enseignant est amené àcirculerd’un discours à l’autre en fonction des circonstances, des objectifs, et de la déontologie qui lui commande de mener un travail à la fois le plus consistant et le plus équitable. Il est possible d’utiliser les quatre discours sans y être pris de tournis, par ailleurs sans y collaborer, à partir du moment l’enseignant acquiert justement une pratique suffisante (mais sans-maîtrise) des discours pour ne pas y adhérer totalement, pour pouvoir en jouer. Ce qui ne fait pas de lui un être cynique et sans éthique ; c’est tout le contraire dès lors qu’il est capable de distinguer l’ordre imaginaire du discours et l’ordre du réel. Une fois ce « dispositif de mobilité » (dirons-nous) installé et intégré, sa marge de manœuvre, sa liberté pédagogique et son efficacité s’en trouvent alors décuplées. Exemple du professeur de philosophie. S’agissant de conduire une leçon où il faut analyser finement des concepts, formuler avec rigueur une problématique, le discours du maître conserve quelques avantages. On peut aussi considérer qu’il n’est pas le plus prometteur ni le plus efficace sur le long terme. Quand il s’agit de confronter les élèves à la difficile lecture des textes, rien ne vaut une certaine érudition et l’ostentatoire obligeance du professeur lui-même à l’égard des textes qu’il s’agit de mettre en valeur. Reconnaissons toutefois que ce n’est pas la finalité de l’enseignement secondaire. Lorsqu’il s’agit de mettre les élèves au travail autour d’exercices et de travaux dirigés, c’est bien le discours de l’hystérique, le discours pédagogiste qui tirera le mieux son épingle du jeu. Enfin il ne faudrait pas oublier que la finalité de l’enseignement est l’enseigné lui-même, non directement comme sujet (la relation enseignante n’est pas à ce point prétentieuse et folle) mais comme faculté d’énoncé du sens et d’en jouir, à l’occasion (jouis-sens). De ce point de vue c’est bien le discours de l’analyste qui est le plus à même de guider l’enseignant dans sa pédagogie, ce qui pour autant ne fait pas de ce dernier un substitut du « psy » !
Résistance au capitalisme et enseignement
Allons plus loin : le discours et aussi bien le savoir-faire enseignants auraient-ils à voir avec un certain esprit ludique fait d’inventivité, d’adaptabilité et de mobilité beaucoup plus qu’avec cette solennité et cette rigidité qu’on leur attribuait et qui prévalaient jusqu’alors ? A cela il faudrait ajouter un nouveau rapport décomplexé, devenu même créatif chez certains, à
l’égard des nouvelles technologies et du numérique, libéré de cette méfiance de principe et de ces réticences « ronchonnes » d’une partie du corps enseignant. Nous convergerions vers une nouvelle formulation plus précise et surtout moins ambiguë, moins synonyme de libre arbitre ou de « n’importe quoi », de cette fameuse « liberté pédagogique » que les enseignants ont toujours plus ou moins revendiquée par principe. Le fait d’en clarifier le concept pourrait justement ouvrir à des possibilités concrètes de réalisation. Pourtant le contexte idéologique, les conditions politiques et les cadres institutionnels d’une telle mise en œuvre demeurent pour le moins d’une grande opacité. A la limite l’on pourrait se demander si ces dispositions pédagogiques nouvelles ne sont pas perfidement imposées par une époque et un « système » qui a bouleversé, voire perverti, jusqu’à l’ordre même des discours. Dans cette dernière hypothèse, comment faire pour que les vertus de créativité, d’adaptabilité, de mobilité etc. – rien d’autre que « libérales » au fond, et d’ailleurs vantées par nos gouvernements successifs – ne se réduisent pas à une pure soumission des enseignants au discours politique dominant (néolibéral) mais au contraire puissent être porteuses d’indépendance sinon même être en mesure de lui résister ? L’enjeu est d’importance, car il ne suffit pas de déboulonner l’enseignant d’un statut de maître devenu mythique (voire celui de respectable fonctionnaire, comme on y pousse à droite) si c’est pour le livrer à la fluctuation et à l’insécurité constitutives des marchés, à la folie du discours publicitaire, soit l’humiliation assurée et à terme une nouvelle forme d’esclavage.
Rappelons encore qu’il n’y a pas de « discours enseignant » à proprement parler qui formerait un 5ème discours spécifique et indépendant ; de par sa mission l’enseignant a plutôt à composer avec l’ensemble des discours existants, puisqu’il ne se reconnait dans aucun d’entre eux. Surtout, il n’a plus guère le choix depuis que le discours capitaliste a quelque peu brouillé les cartes. Le discours capitaliste professant que tout est possible, que rien n’est impossible (il y a toujours une application et un produit pour ceci ou pour cela), a désarrimé l’ordre du discours de tout réel, où par contre il y a de l’impossible. Par incidence, il a rendu les professeurs impuissants et rendu leur tâche concrètement de moins en moins possible.
Qu’est-ce alors que ce « discours capitaliste », ajouté par Lacan sur le tard contre toute attente ? Lacan avait dû repéré la dé-légitimisation progressive des autres discours sous l’effet de la mondialisation et la généralisation du capitalisme, l’installation d’un type de discours hégémonique où prévaut l’imaginaire du sans-limite (à l’opposé mais complémentaire de l’imaginaire du tout-sphérique de l’antiquité). Comme on le voit sur le schéma, ce discours inverse le premier rapport S1/Sujet du discours du maître, de sorte que la circulation peut désormais s’opérer dans tous les sens, y compris entre la vérité et l’objet produit, rendant possible la réalisation du fantasme dans le monde (puisqu’il n’y a plus de frontière repérable entre le symbolique, l’imaginaire et le réel), légitimant la fétichisation de la marchandise, etc., pendant que le Capital régnant en Maître ne se nomme même plus comme tel, se retire dans l’anonymat du sans-Autre, se normalise… Ce qui est produit, c’est donc une généralisation du semblant, et à titre de symptôme social une mobilité littéralement affolante des pseudo-sujets à travers ce qui reste des discours constitués.
L’enseignement, dans ce contexte, persiste et signe, mais il n’échappe pas à au mouvement. L’enseignant conserve toutefois cet avantage d’en connaître un bout en matière de discours, au moins autant que les nouveaux rhéteurs publicistes. L’enseignement reste le symptôme social d’une certaine impuissance, ce qui est quand même signe de vie. Qu’est-ce qui est encore possible ? A l’heure du capitalisme post-moderne, l’enseignement ne peut que
s’installer dans le semblant des discours,en opérant sur et avec le semblant, seule façon de ne pas en être dupe. En réajustant par exemple le ludique vers le pédagogique… mais ce n’est qu’une piste possible. Le « discours de l’enseignant » est le seul à pouvoir tenir tête au semblant généralisé du discours capitaliste, et à espérer l’infléchir, un peu. Personne ne peut prétendre le renverser, mais lui reprendre l’essentiel – se désaliéner littéralement – reste envisageable. Si les enseignants ne mènent pas ce combat auprès des jeunes et avec eux, ce travail de résistance, qui le fera ? Certainement pas les psychanalystes qui ont d’autres sujets à analyser. Ce n’est pas la vocation du discours analytique (qui n’est de toute façon qu’un discours à deux) que d’affronter le capitalisme, même si l’invention de la psychanalyse est contemporaine de l’émergence du discours capitaliste, ou plutôt de sa généralisation. Cependant il faut reconnaître qu’il est le seul à en fournir les moyens théoriques (paradoxalement induits de sa pratique), c’est-à-dire nommément le seul à faire cas dusujet.
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents