discours Rufin Académie
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M. Jean- Christophe Rufin, ayant été élu à l’A ca dé m i e française à la place laissée
vacante par la mort de M. Henri Troyat, y est venu prendre séance le jeudi 12 nove m bre 2009,
et a pronon c é le discours suivant :

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Langue Français

Extrait

DISCOURS D E M. Jean-ChristopheRUFIN  
M . Jean- C hr isto p h e R uf i n , ayant été élu à lA c a d é m i e français e à la plac e laissée vacante par la m ort de M . He nr i Tr o y at, y est ven u pren dre séan c e le jeud i 1 2 nove m b r e 2009, et a pron o n c é le dis c o urs suiva nt :
Mesdames et Messieurs de l’Académie,
La tradition de cette Compagnie veut que le nouvel élu, pour prononcer son discours de réception, se tienne debout à la troisième rangée de sièges, un peu à distance de la travée. Cette obligation semble avoir pour but d’ajouter encore au trouble de celui qui doit s’adresser à une aussi prestigieuse assemblée, alors qu’il est déjà couvert de broderies et flanqué d’une épée, détails qui, de nos jours, ne sont pas de nature à mettre quiconque à l’aise. Pourtant, je préfère considérer cette coutume comme un usage plein de sagesse et m’en réjouir. Placé au milieu de mes futurs confrères, je me sens dispensé de leur infliger une péroraison magistrale, tentation à laquelle j’aurais peut-être cédé si je m’étais exprimé du haut d’une tribune. Le seul ton qui convienne, dans la position qui est la mienne en cet instant, est celui de l’amitié. Permettez-moi d’oublier la majesté du lieu et l’écrasante présence de ceux qui nous y ont précédés. Je ne veux voir ici que des amis, auxquels je m’adresse avec une émotion qui vient de ma seule reconnaissance. À ces amis, je n’ai pas de vérité à livrer mais seulement des confidences à faire. Et d’abord celle-ci, pour vous demander de m’en absoudre : je ne
crois pas à l’immortalité. Je ne parviens pas à admettre que notre plus profond désir puisse être exaucé dans ce monde. Et la variante académique de ce concept, sorte d’équivalent du « salut par les œuvres », ne me convainc pas plus. Cependant, si je doute de l’immortalité, je crois fermement en l’éternelle jeunesse. Il me semble qu’en établissant cette Compagnie en 1635, le cardinal de Richelieu a placé sous cette Coupole une fontaine de jouvence. Comprenez-moi bien : il ne nous a pas mis, hélas, à l’abri des épreuves qui altèrent les corps et les abattent. L’éternelle jeunesse, nous n’en sommes pas les bénéficiaires mais les instruments. C’est le corps que vous formezensemble qui, grâce à chacun d’entre vous, se régénère sans cesse et triomphe du temps. Votre enthousiasme, votre talent, votre œuvre, votre vie même, vous les avez, les uns après les autres, apportés à cette assemblée. J’étais loin, chargé de représenter la France dans un pays, le Sénégal, qu’a dirigé jadis l’un d’entre vous, quand vous m’avez fait l’honneur inespéré de m’appeler à assurer à mon tour cette relève. Je vous en remercie avec beaucoup de gravité. Mais l’éternelle jeunesse de cette Compagnie ne vient pas seulement du mouvement qui, après chaque disparition, consacre un nouvel élu au servicer  ddee  smone  flaiuvtreeuri l.a uEjloluer dprhouciè :d ec ealuusis i ddee  llexerci cÀe  auquel j’ai le devoi éloge. l’instant où il va occuper la place du regretté confrère que ses compagnons ont vu durer, s’affaiblir et disparaître, il revient au nouveau venu de restituer l’image de son prédécesseur dans sa force et dans sa jeunesse. Il doit emplir à jamais cette Coupole du souvenir d’un être intact, dans la plénitude de son génie. C’est à quoi je vais m’employer, en évoquant devant vous Henri Troyat, le grand écrivain auquel j’ai l’écrasant honneur de succéder. Il n’est personne à qui cet exercice de l’éloge, ce grand écart du temps d’un bout à l’autre d’une vie d’homme, ne soit plus nécessaire. Henri Troyat, à la date de sa mort, fut votre doyen d’élection, un homme d’une remarquable longévité, physique et littéraire, écrivant jusqu’à ses
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derniers jours. Mais il fut également et d’abord un artiste d’une grande précocité, dont l’œuvre et la carrière commencent à des âges exceptionnels : premier roman publié à 23 ans, prix Goncourt à 28 ans, élu à l’Académie française à 48 ans. 48 ans ! Quel encouragement pour moi qui me sens si jeune pour rejoindre cette Compagnie. Henri Troyat avait presque dix ans de moins que moi quand il s’est présenté, ainsi vêtu, précédé par les tambours, pour s’asseoir au fauteuil 28. C’est un signe de bonne santé, pour une institution, que de prendre le risque inouï d’admettre en son sein et pour le reste de leur vie des femmes et des hommes en pleine force de l’âge. L’Académie n’a cessé ainsi de se construire par vagues. On y discerne facilement les strates formées par les générations. Toujours, l’une d’elle domine et marque de son empreinte une époque de l’histoire. Henri Troyat, né en 1911, a constitué l’avant-garde d’une de ces grandes générations : celle des hommes duXXesiècle. Il fut l’un des tout premiers à entrer dans cette Compagnie et lui a apporté un air nouveau. Je reconnais autour de moi nombre d’entre vous qui, entrés tôt dans cette académie, l’ont façonnée telle qu’elle est aujourd’hui : diverse, brillante, mondialement reconnue. Vous avez à présent, je le sais, le souci de relever le défi des temps nouveaux. Je veux croire que c’est à ce titre et non pour mes mérites, qui sont bien minces, que vous m’avez fait l’honneur de me choisir. Je suis en effet le premier de vos membres à être né dans la deuxième moitié duXXesiècle. Ma génération a atteint l’âge adulte après la mort des idéologies. La plupart des bastilles étaient prises, les rêves de Grand Soir étaient souillés du sang des goulags, les lampions de Mai 68 éteints. Privée de grandes causes à défendre autant que de perspectives professionnelles, cette génération a souvent choisi l’aventure. Beaucoup d’entre nous, qui voulaient s’engager, se sont jetés dans l’action humanitaire. Nous en avons rapporté quelques satisfactions, beaucoup de douleurs, d’innombrables
images. Et c’est par le détour de ces images et des livres qu’elles ont fait naître que vous m’ouvrez aujourd’hui votre porte. J’en suis heureux pour moi-même, mais aussi pour tous ceux qui, partis du même point que moi, ont emprunté d’autres itinéraires et produit d’autres œuvres. J’aimerais, à mon tour, les conduire un jour jusqu’à vous.
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L’élection d’Henri Troyat a été facile : première candidature, premier tour, quasi-unanimité. Tous ses autres succès, il les a d’ailleurs obtenus de la même manière : sans effort. Ou plutôt en réservant ses efforts à son œuvre, jamais aux moyens de la promouvoir. Cette facilité prend souvent des aspects comiques, tant Troyat semble parfois avoir eu peu de prise sur les événements. Quand son premier roman est publié, Faux jour, la critique l’encense, un prix prestigieux lui est décerné, on le compare à Radiguet. Lui, pendant ce temps, simple 2e au 61 classee régiment d’artillerie hippomobile, il est à l’infirmerie. Ses camarades de chambrée le félicitent, mais sans trop faire la différence entre un écrivain et un imprimeur… Un peu plus tard paraît son romanL’Araigne. Il est alors rédacteur à la préfecture de la Seine. On l’a chargé d’une étude… sur les lampadaires. Le jour du prix, il va déjeuner dans un petit restaurant du quartier et rentre au bureau un peu en retard. Deux collègues lui font signe de se dépêcher. Il craint de se faire réprimander. On lui annonce au contraire qu’il vient de se voir décerner le prix Goncourt. Nous entrons là dans le mystère même d’Henri Troyat : un divorce total entre une vie paisible, régulière, apparemment immobile et une œuvre d’une richesse, d’une variété, d’une puissance qui en paraissent presque incompréhensibles. Henri Tro t voir pris plaisir à décourager les biographes. À comypater sdee m1b9l3e3 , adate à laquelle il est naturalisé Français, 
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