La Bruyère entre Corneille et Racine - article ; n°1 ; vol.44, pg 307-321
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1992 - Volume 44 - Numéro 1 - Pages 307-321
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 70
Langue Français

Extrait

Monsieur Milorad R. Margitic
La Bruyère entre Corneille et Racine
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1992, N°44. pp. 307-321.
Citer ce document / Cite this document :
Margitic Milorad R. La Bruyère entre Corneille et Racine. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises,
1992, N°44. pp. 307-321.
doi : 10.3406/caief.1992.1794
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1992_num_44_1_1794LA BRUYÈRE ENTRE CORNEILLE
ET RACINE
Communication de M. Milorad R. MARGITIC
(Wake Forest)
au XLIIIe Congrès de l'Association, le 24 juillet 1991
«Tout est dit, et l'on vient trop tard», lit-on dès les
premiers mots des Caractères (1). Quoi qu'on veuille dire
de la validité de cette réflexion désabusée par rapport à
l'ensemble des «Ouvrages de l'esprit», qu'elle visait en
bloc, il faut avouer qu'elle était, hélas ! tout à fait juste
relativement au célèbre parallèle entre Corneille et Racine.
La plupart des idées que La Bruyère y développait avait
déjà été exprimées deux ans avant lui par Longepierre
(2). Non pas, du reste, que celui-ci, lui-même, fût le
premier à les avoir formulées. Au contraire, on en trouve
certaines, avant la publication de son propre parallèle,
sous la plume de Racine (3), chez Saint-Evremond (4), et
(1) La Bruyère, Les Caractères, éd. Robert Garapon (Paris, Gamier Frères,
1962), Des Ouvrages de l'esprit, fragment 1. Toutes nos citations de La Bruyère
seront tirées de cette édition des Caractères.
(2) Voir Hilaire Bernard de Longepierre, Parallèle de M. Corneille et de M.
Racine, dans Jugemens des scavans sur les [...] principaux ouvrages des auteurs,
par Adrien Baillet (Paris, 1685-1686), vol. IX, pp. 383-408.
(3) Voir son Discours prononcé à l'Académie Française à la réception des
MM. de Corneille et de Bergeret le deuxième janvier 1685, dans ses Œuvres
complètes, éd. Raymond Picard (Paris, Gallimard, 1966), vol. II, p. 345.
(4) Voir Charles de Saint-Evremond, « Dissertation sur la tragédie de Racine
intitulée: Alexandre le Grand» [ouvrage paru d'abord en 1666], dans ses
Œuvres mêlées..., éd. Charles Giraud (Paris, Techner, 1865), vol. II. 308 MILORAD R. MARGITIC
même dans l'œuvre de l'abbé d'Aubignac (5). En outre,
l'observation la plus fameuse de La Bruyère, à savoir
que Corneille «peint les hommes comme ils devraient
être » et Racine « tels qu'ils sont », n'était que l'écho d'un
lieu commun des débats théoriques de l'époque, la ques
tion de savoir si le poète dramatique est obligé de "repré
senter les événements et les personnages fournis par l'his
toire tels qu'ils ont été ou tels qu'ils ont dû être (6), et
elle s'inspirait vraisemblablement d'une formule critique
datant de l'antiquité grecque: selon Aristote, dont La
Bruyère possédait l'œuvre à fond, « Sophocle a dit qu'il
peignait les hommes comme ils devraient être et Euripide
tels qu'ils sont » (7).
Et pourtant, lorsqu'on pense aux premières tentatives
tant soit peu systématiques pour comparer Corneille avec
Racine, c'est inévitablement celle de La Bruyère qui vient
d'abord à l'esprit. Parce que c'est elle, à n'en pas douter,
qui a incité des légions de critiques, depuis Fontenelle
jusqu'à Barnwell, en passant par Voltaire, Schlegel, Banv
ille, Péguy, Sartre, Nadal et Starobinski, entre autres, à
s'y essayer à leur tour, souvent pour confirmer ou réfuter
les jugements du grand moraliste (8). Aussi pourrait-on,
sans trop faire de tort à Longepierre, considérer La
Bruyère comme le vrai fondateur de cette tradition crit
ique, une tradition si durable que l'érudit américain qui
en a publié les textes majeurs, il y a une vingtaine d'an
nées, n'a pas hésité à la qualifier «the most persistent
(5) Voir l'abbé d'Aubignac, La Pratique du théâtre [ouvrage paru d'abord
en 1657], éd. Pierre Martino (Paris, Champion, 1927).
(6) Voir Philip A. Wadsworth, «A Formula of Literary Criticism, from
Aristotle to La Bruyère», Modern Language Quarterly, 7 (1946), 35-42.
(7) Cité par Philip S. ouvr. cit., p. 36 [ma traduction].
(8) Voir les extraits des textes clefs de la plupart de ces auteurs, et de
beaucoup d'autres, réunis par Robert J. Nelson dans son Corneille and Racine :
Parallels and Contrats (Englewood Cliffs, N.J., Prentice Hill, 1966). Voir
aussi E.T. Barnwell, The Tragic Drama of Corneille and Racine: an Old
Parallel Revisited (Oxford, Clarendon Press, 1982). ENTRE CORNEILLE ET RACINE 309
theme of practical criticism of modern French literature »
(9). A ce seul titre le parallèle de La Bruyère mérite d'être
examiné. Ou plutôt réexaminé. Car , à mon avis, son
intérêt réside, non pas dans ce qu'il nous apprend sur
Corneille et Racine, comme un grand nombre d'exégètes
semblent le présupposer, mais dans ce qu'il révèle sur La
Bruyère lui-même. C'est là, en tout cas, un aspect qui n'a
pas attiré beaucoup l'attention jusqu'à présent, et que je
me propose ici d'examiner.
Avant d'aborder cette tâche, cependant, je crois qu'il
serait utile de jeter un coup d'œil en deçà et au-delà du
parallèle même. Je vais commencer pour ainsi dire par la
fin, par le Discours de réception à l'Académie, prononcé
en 1693, dans lequel La Bruyère exprime sans ambages,
impatiemment et agressivement même, son aversion pour
Corneille et sa préférence pour Racine, tout en révélant
son penchant pour la caricature grotesque, c'est-à-dire
pour le burlesque (un aspect sur lequel Robert Garapon
a déjà attiré notre attention (10); l'œuvre cornélienne y
est réduite au seul Oedipe, et ses admirateurs à de vieux
gâteux dont le jugement esthétique serait prisonnier de
leur nostalgie sénile (11).
Or cette franchise plutôt brutale de La Bruyère n'est
pas typique de sa manière de parler des deux grands
dramaturges. Partout ailleurs dans Les Caractères, La
Bruyère s'exprime beaucoup moins ouvertement et net
tement, ne révélant son sentiment sur Corneille et Racine
qu'indirectement, par des allusions ou des insinuations.
Par exemple dans le fragment 8 du Ier chapitre, où il
dénonce le vide des « vers pompeux » de « certains poètes ».
Il n'y fait aucune allusion à Corneille. Et pourtant c'est
probablement lui qu'il vise, ainsi que plusieurs exégètes
(9) Robert J. Nelson, ouvr. cit., p. V.
(10) Voir Les caractères, éd. cit., pp. XXV sq.
(11)Les Caractères, éd. cit., pp. 506-07. 310 MÍLO RAD R. MARGITIC
l'on déjà remarqué (12). Quant à son sentiment sur Rac
ine, La Bruyère ne l'énonce pas non plus, mais l'insinue
par et à travers sa défense éloquente de la liberté de
verser des larmes au théâtre et son évocation élogieuse
du pathétique de la tragédie (13).
Le parallèle même, que je vais aborder maintenant,
révèle chez La Bruyère la même répugnance à parler net
et le même effort pour laisser entendre son jugement sur
les deux dramaturges par des moyens détournés. De toute
évidence, notre moraliste n'aime pas Corneille et le consi
dère, dans l'ensemble, comme inférieur à Racine, qu'il
lui préfère. Or, au lieu d'exprimer son aversion pour l'un
et sa préférence pour l'autre directement et clairement, il
s'ingénie à inspirer ces sentiments au lecteur, et à amener
ce dernier à conclure lui-même à l'écrasante supériorité
de l'auteur de Phèdre sur celui de Cinna. C'est ce que
j'essaierai de faire ressortir par une analyse détaillée du
fragment 54 du chapitre Des Ouvrages de l'esprit.
Quatre parties se laissent distinguer dans la structure
du parallèle : deux portraits successifs, suivis d'une comp
araison en règle, qui aboutit à une conclusion apparente.
Le premier portrait, consacré entièrement à Corneille,
est organisé autour de l'observation sur l'inégalité de son
génie :
CORNEILLE ne p

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