les poux
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la vermine à la sauce érotique.

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Publié le 14 septembre 2013
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Langue Français

Extrait

Ma fille a des poux. Je sais, c'est sans intérêt, du moins, ça pourrait l'être, si ce n'était pas si follementérotique. Quoi, vous en doutez? Ben m'sieur-dame, c'est que vous n'avez jamais été amoureux! Non, je ne suis pas amoureuse de ma fille. Ma fille, j'en suis si dingue que je lui prépare de solides séances sur un divan au moins aussi confortable que celui qui me pompe 80 euros la semaine. Je suis amoureuse de ce type, là, le petit râblé voire grassouillet qui est entré dans ma vie si abruptement, voilà bientôt deux ans, merde alors, c'est pas croyable. Entre nous je rêvais d'un grand, minimum un mètre quatre-vingt-cinq, un athlète qui me domine; et puis pas poilude préférence. Celui-là est plus petit que moi et nettement plus poilu, ce qui est pourtant difficile. De temps en temps, exprès, je mets les godasses à talons (pas aiguille, je saurais pas marcher avec, et puis c'est pas mon genre la femme-femme, j'ai essayé mais c'est pas moi,si je m'écoutais vraiment ce serait birckenstock et il me regarderait plus du tout, ou alors pour une sombre étude ethnologique, ce putain d'intellectuel); à talons disais-je, et je le domine d'une bonne tête, et je me dis qu'on doit avoir une drôle de touche, dans la rue, mais je m'en tape, maintenant que je suis prise dans la toile, alors qu'au tout début, quand il n'était qu'un étalon parmi d'autres, en bonne connasse, je ne voulais pas trop lui donner la main en public. Donc, de temps en temps,je le domine du haut de mes talons chaussures de de fille mais pas trop fille quand même, un peu genre fille qui se la pète pas tombeuse puisque ses talons sont carrés et ornés de conneries type BD, allons allons, qui a dit que je saurais marcher avec de vraies godasses de gonzesse, moi qui passe mon temps à les reluquer, les vraies superbes piaffantes gonzesses, en me disant "qu'elle est belle, celle-là, à coup sûr elle lui plairait terriblement, pourvu qu'elle prenne un avion pour Mars ou qu'elle soit écrasée
par un piano dans les quinze secondes.." De loin en loin je le domine un peu. La plupart du temps, je secoue vaguement l'échine sous le joug, mais avec de moins en moins de hargne. Même la trouille s'est un peu estompée, depuis quelques semaines. Reste juste, parfois -souvent- ce chagrin-là de brûler davantage que lui. Mais malgré ma propension aux scènes échevelées, j'ai quand même un peu de pudeur. Alors je ne le regarde pas trop, en bagnole par exemple, quand il conduit et que le soleil allume quelques éclairs rouquins dans sa barbe sombre, un peu grise aussi (je ne voulais pas d'un barbu). Je trouve des subterfuges pour le regarder sans qu'il s'en aperçoive, dans la fenêtre ouverte, le reflet de la bibliothèque... sur le canapé où je replie mes jambes planquées par la grosse couette, j'arrive à le zyeuter en douce, tandis qu'il se concentre sur la télé. Quelle misère. Je me fais pitié, tiens, en vous racontant ça. J'ai connu autrefois un type plus imberbe qu'une grenouille, avec de courts cheveux frisés sans teinte vraiment identifiable. Il n'était pas très beau et son pif était piqueté de points noirs. Comment il a pu me faire une enfant si jolie, mystère. De l'intellectuel dont je rêvais, il avait la passion, la soif d'apprendre et se détacher des servitudes. La folie douce aussi. Les promenades avec lui, dans les prés mouillés de juin, étaient pure poésie, avant de devenir, miracle du temps qui passe, chiantissimes corvées. Il était dingue de moi.On baisait tout le temps, jamais rassasiés. Il était fier d'avoir levé une étudiante. Il disait qu'il m'aimerait toujours. Dans le restau où il avait invité ses collègues pour un pot d'adieu, nos mains se pelotaient sous la table, impatientes jusqu'à la douleur. Dans ses yeux je lisais mon désir. Aujourd'hui, nous nous rejoignons sans nous toucher, au portail de l'école d'où va jaillir ce qui eût été possible. Nous échangeons quelques banalités, sur son boulot ou les progrès de notre fille en matière de gros mots. Nous avons dépassé la haine. Cet homme-là s'habille mal, sa coupe de cheveux est à chier, je ne pourrais plus partager son lit. Mais la gifle qui me cueille quand je le vois, là, adossé au mur de l'école, attendant lui aussi la gamine que nous n'attendions pas, parce que nous nous étions trouvés et que ça suffisait, me décolle la rétine à chaque fois. A chaque fois, malgré la perspective d'un week-end à buller, la rassurance de savoir qu'on fait des parents séparés très acceptables, qu'à quelques pâtés de maisons m'attend un barbu visiblement amoureux de moi, le
chagrin, le deuil, le regret. Pourtant je ne l'aime plus. Ce que c'est que l'amour, n'empêche. Je sais pas pour les autres, mais pour moi, je le sais. C'est ce truc dans le regard de l'autre, aux premiers temps, qui parfois durent, et que je ne vois pas dans les yeux du barbu. Ma fille a des poux, disais-je. Elle se grattait fort la tête, hier soir, à son retour du week-end chez son père. Tout à l'heure, au sortir du bain, je lui ai longuement lissé les cheveux, comme d'habitude, et puis, par acquit de conscience, j'ai entrepris la séance d'épouillage que les femelles hominidées pratiquent depuis l'origine. Et là! malheur! j'en ai logé un, pile poil dans la raie, un machin translucide et vaguement brun, tout plat, vivant, dégueulasse! Je vous l'ai de suite explosé entre mes ongles vengeurs, intimant à la gamine l'ordre de ne pas bouger "tu as des poux ma fille". Il a fallu aussitôt calmer sa panique enfantine pour pouvoir continuer ma quête furieuse. J'en ai flingué quatre, qui se baladaient seuls, et puis j'ai découvert un nid d'au moins autant de ces salopards agglutinés à la même racine. Mes ongles s'activaient, le peigne appelé en renfort cinglait l'océan des cheveux propres mais contaminés. Une horreur. Pour la consoler de ce désastre, je lui ai fait remarquer qu'en contrepartie, elle n'irait pas à l'école le lendemain, puisque nous avions un génocide à boucler. Elle s'est endormie rassurée, tartinée d'essence de lavande, pouilleuse mais aimée. C'est là, messieurs-dames, que l'érotismes'en mêle. Car, voyez-vous, dans une famille frappée par le fléau, les membres se doivent solidarité indéfectible. Le barbu et moi, panique expédiée, avons arpenté les arcanes du net pour accroître notre science de la vermine. Nous avons appris, pêle-mêle, qu'on pouvait tuer les poux en se tartinant d'un mélange d'huile d'olive et d'essence de lavande, les étouffer avec de la laque ultra-forte avant de se ceindre le chef d'un film plastique de ménage (à laisser en place 72 heures environ), s'appliquer une décoction de pétrole pur, se raser la tête, se vider un litre de vinaigre blanc sur la choucroute. Il ne me restait que l'équivalent de vingt gouttes dans le flacon d'essence de lavande; je ne sais pas où trouver du pétrole pur; je ne veux pas me raser le crâne avant ma chimio et mon barbu encore moins, lui dont l'épaisse tignasse d'amateur de heavy métal flatte l'originalité (et met mes culottes dans un état que je n'imaginais
pas avant d'être engluée dans la fameuse toile). Restait la solution du vinaigre. Choix cornélien : le vinaigre d'alcool blanc, très efficace paraît-il mais un rien corrosif, ou plus simplement le reliquat de vinaigre balsamique de Modène, qui donne un si gentil goût à mes salades d'endives? Nous avons opté pour ce dernier. Nous voici donc partis en expédition vers la salle de bains. Fidèle à son tempérament de chef de meute, il prend la direction des opérations, m'expliquant qu'il va avoir besoin de mon aide pour lui administrer la médecine. Moi, toute pantelante à l'idée de me retrouver avec lui dans ce lieu où il ne me rejoint que très exceptionnellement, j'acquiesce, bave aux lèvres (les six). Cependant, intimidée comme d'habitude, je n'ose pas lui demander de m'envinaigrer la perruque (il faut préciser que tout à l'heure, quand, prélude amoureux prometteur, il s'est enquis de la présence des saloperies sur mon crâne, j'ai cru mourir de honte à cause de mes racines grisonnantes, et ça n'encourage pas l'élan érotique monsieur). Bon. Je saisis moi-même la bouteille salvatrice et entreprends l'arrosage de mon système nerveux central. Puis, pragmatique, j'enroule une serviette immaculée sur ce marasme puant.
A lui. Il retire son t-shirt. Sa pilosité extravagante s'offre à mon regard concupiscent mais raisonnable. Je le trouve, comme d'habitude, désirable à mourir. Malgré sa brioche. Parce que merde, il a du bide, non mais, je le dis sans ambages; s'il me désirait comme je le désire, quinze fois par jour,sans doute je tairais cette touchante imperfection. Mais je suis condamnée à errer dans ma salle de bain, torchon sur la gueule que j'ai béante, alors flûte. Il s'agenouille; j'ai envie de lui mordiller le dos mais on a d'autres poux à fouetter. J'applique donc, sagement, consciencieusement, ce shampooing peu ordinaire, lui fixe sa serviette -orange, celle-là- et il décide que nous allons fumer une clope en attendant que la magie opère. Dans la cuisine, je constate qu'il me fait mouiller grave avec son couvre-chef. Je ne le dis pas, nouveau évidemment. Il déclare sobrement que ma coiffure a quelque chose de celles des dames du XIIe siècle (il y a d'ailleurs un adjectif pour ça, que j'oublie tout de suite après qu'il me l'a sorti, parce qu'il n'a
aucun éclair lubrique dans le regard et que merci, je sais qu'il faut que je pense à mes racines, pas la peine d'évoquer le Moyen Age pour me rappeler ma décrépitude et mon absence intégrale de sex-appeal). Je me contente donc de le zyeuter gentiment, sourire goguenard, pour cachermon trouble. Retour à la baignoire. Il a décidé de me rincer la tête et de me shampouiner. Youpi!!! Enthousiaste sans en avoir l'air,je prends la position. La caresse de l'eau tiède m'en fait espérer de plus charnues. Mais non. Il rince méthodiquement, puis savonne, tandis que je me souviens des quelques-uns qui me complimentèrent un jour sur ma nuque qu'ils trouvaient jolie. Me revient aussi en mémoire le sourire pétillant de ce type blessé par ce qu'il avait vu en Afghanistan où l'armée, son employeur, l'envoyait six mois par an, mais qui s'était extasié devant mon cul. Mon cul d'alors, visiblement. Ceci dit, au début de mes ébats avec le barbu fakir, c'était mon cul d'alors qui déjà l'intéressait peu. Soit. J'ai appris la patience, en presque deux ans. Je me dis qu'une fois essorée, séchée, désempuantie, ce sera à mon tour d'opérer, que peut-être le fol érotisme de la situation le frappera violemment et le contraindra à me renverser sans ménagement sur le tapis, couvre-chef de guingois. Mais non. Il se laisse rincer, shampouiner, rerincer, sans manifester d' émotion particulière. Je l'écoute bravement me conseiller de ne pas utiliser le sèche-cheveux, puisque sur le net, des mémères atrophiées du bulbe ont déclaré, dans un forum à la con où tout le monde se bat pour décrocher la médaille de la syntaxe la plus primitive, que le pou aime la chaleur et plus particulièrement se prélasser de façon lascive sous la brise du brushing. Je rince un peu le théâtre de nos ébats fantasmés, arrosant les brosses qu'il ne faudra pas oublier de désinfecter demain, si je veux m'éviter d'autres scènes pornographiques ce genre à l'avenir. de Je le suis à la cuisine, où nous fumons encore une petite clope, et où je sais déjà qu'il faudra, pour surmonter cette petite déception-là, trouver de gentils lecteurs à qui raconter par écrit cette passionnante aventure, puisque l'écrit, ô miracle, pose et éloigne tous les chagrins. Ce que je crois, ce dont je suis sûre, parce que ce putain de chemin du désamour, ou de l'amour tiédasse, je l'ai déjà parcouru, c'est
qu'il finira par prendre en pleine gueule la claque du joli cul de Leïla, Dalila ou Raymonde, et qu'il désertera définitivement le mien. Ce que je sais, c'est que je porte à jamais le deuil d'un amour rêvé plutôt qu'éprouvé. Que quand il me dira que Simone a de plus beaux seins que les miens et que son intelligence est comparable à la mienne, voire supérieure, puisqu'elle aura vingt-deux ans, des prétentions à soutenir une thèse en archéologie, l'arrogance que donne une crinière sans racines à dissimuler, il oubliera qu'il voulait vieillir avec moi et laisser de la pierre à ma fille. Et que ça me tuera. Ou, plus vraisemblablement, que je m'en remettrai lentement, très lentement. Mais que peut-être alors je serai capable d'apprécier le ridicule de toutes ces scènes où je me serai languie, suppliante, cils palpitants,chienne jamais rassasiée. Pourvu que je aimante ne sois pas trop décatie quand ça arrivera.
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