Je vais m'asseoir, l'été, devant les plaines vertes, Solitaire, immobile, enchanté de soleil ; Ma mémoire dans l'air par d'insensibles pertes Se vide ; et, comme un sphinx aux prunelles ouvertes, Je dors étrangement, et voici mon sommeil :
Ma poitrine s'arrête et plus rien n'y remue ; La volonté me fuit et je n'ai plus de voix ; Il entre dans ma vie une vie inconnue, Ma figure demeure et ma personne mue : Je suis et je respire à la façon des bois.
Mon sang paraît glisser en imitant la sève ; J'éprouve que ce monde est vraiment suspendu ; Quelque chose de fort avec lui me soulève ; Le regard veille en moi, mais tout le reste rêve. O Nature, j'absorbe et je sens ta vertu !
Car je suis visité par le même génie Qui court du blé des champs aux ronces des talus ; Avec tes nourrissons je bois et communie ; L'immense allaitement, source de l'harmonie, Je l'ai goûté, ma mère, et ne l'oublierai plus.
Oh ! que j'avais besoin de t'embrasser, ma mère, Pour mêler à mon pain ton suc universel, Ton âme impérissable à mon souffle éphémère, Et ton bonheur fatal à ma libre misère, Pour aimer par la terre et penser par le ciel !