Victor Hugo — Les Chansons des rues et des boisPost-scriptum des rêves XI C'était du temps que j'étais jeune ; Je maigrissais ; rien ne maigrit Comme cette espèce de jeûne Qu'on appelle nourrir l'esprit. J'étais devenu vieux, timide, Et jaune comme un parchemin, À l'ombre de la pyramide Des bouquins de l'esprit humain. Tous ces tomes que l'âge rogne Couvraient ma planche et ma cloison. J'étais parfois comme un ivrogne Tant je m'emplissais de raison. Cent bibles encombraient ma table ; Cent systèmes étaient dedans ; On eût, par le plus véritable, Pu se faire arracher les dents. Un jour que je lisais Jamblique, Callinique, Augustin, Plotin, Un nain tout noir à mine oblique Parut et me dit en latin : " Ne va pas plus loin. Jette l'ancre, " Fils, contemple en moi ton ancien, " Je m'appelle Bouteille-à-l'encre ; " Je suis métaphysicien. " Ton front fait du tort à ton ventre. " Je viens te dire le fin mot " De tous ces livres où l'on entre " Jocrisse et d'où l'on sort grimaud. " Amuse-toi. Sois jeune, et digne " De l'aurore et des fleurs. Isis " Ne donnait pas d'autre consigne " Aux sages que l'ombre a moisis. " Un verre de vin sans litharge " Vaut mieux, quand l'homme le boit pur, " Que tous ces tomes dont la charge " Ennuie énormément ton mur. " Une bamboche à la Chaumière, " D'où l'on éloigne avec soin l'eau, " Contient cent fois plus de lumière " Que Longin traduit par Boileau. " Hermès avec sa bandelette " ...