Polyphonie et univocité dans La Lenteur de Milan Kundera - article ; n°1 ; vol.55, pg 545-564
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 2003 - Volume 55 - Numéro 1 - Pages 545-564
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 217
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jorn BOISEN
Polyphonie et univocité dans "La Lenteur" de Milan Kundera
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2003, N°55. pp. 545-564.
Citer ce document / Cite this document :
BOISEN Jorn. Polyphonie et univocité dans "La Lenteur" de Milan Kundera. In: Cahiers de l'Association internationale des
études francaises, 2003, N°55. pp. 545-564.
doi : 10.3406/caief.2003.1518
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_2003_num_55_1_1518Nous publions ci-dessous le texte de l'article qui mérite
le prix annuel de l'Association réservé à un jeune chercheur.
Le lauréat de cette année, ]ern Boisen, est danois.
Son article, que nous publions avec l'aimable autorisation
des éditeurs, a paru pour la première fois dans Etudes
romanes (Copenhague), n° 44, 1999, pp. 145-159.
POLYPHONIE ET UNIVOCITE
DANS LA LENTEUR DE MILAN KUNDERA
PROBLÈMES
Analyser Kundera
II est assez difficile de commenter l'œuvre de Milan
Kundera. D'une part, il a construit son oeuvre d'une telle
façon qu'elle constitue son propre commentaire. Non seu
lement Kundera est un redoutable critique littéraire qui
parsème ses romans de discussions littéraires et les com
mente directement, mais ses romans sont de surcroît sui
vis d'essais qui indiquent plus ou moins comment il faut
les comprendre. C'est pourquoi les commentateurs sem
blent souvent condamnés à réécrire les commentaires de
Kundera lui-même, en moins bien.
D'autre part le style de Kundera est intellectuel et ratio
naliste. À la différence d'autres écrivains modernes, il ne
cherche pas à créer la sphère imaginaire d'un « sens pos
sible » et n'admet pas la relativité sémiotique des mots et
des phrases. Il est, au contraire, radicalement obsédé par
la précision de chaque mot, par une expression claire,
absolument univoque, pour ne pas « tomber dans le
vague où tout le monde croit tout comprendre sans rien 546 J0RN BOISEN
comprendre (1) ». C'est peut-être le sort posthume de
Kafka et d'autres grands romanciers qui a effrayé Kund
era. Quoi qu'il en soit, il semble avoir cadenassé son
oeuvre, en posant clairement des limites à l'interprétation
de celle-ci.
Kundera dogmatique ?
Il est donc intéressant de noter des failles et des contra
dictions apparentes dans le système. En effet, lors de la
parution de son roman La Lenteur, certains critiques (au
Danemark on peut mentionner Thomas Thurah, mais il
est loin d'être le seul) ont estimé que le discours du roman
se transforme trop souvent en affirmations apodictiques
où les vues personnelles de Milan Kundera transparais
sent trop directement. La Lenteur se rapprocherait, autr
ement dit, du roman à thèse.
Cette critique est pour le moins paradoxale, étant donné
que Kundera dans toute son oeuvre théorique a plaidé
pour le roman comme un langage de relativité et d'ambi
guïté fondamentalement incompatible avec le discours
dogmatique. « Le monde basé sur une seule Vérité et le
monde ambigu et relatif du roman sont pétris chacun
d'une matière totalement différente », dit-il dans L'Art du
roman. « La Vérité totalitaire exclut la relativité, le doute,
l'interrogation et elle ne peut donc jamais se concilier avec
ce que j'appellerais l'esprit du roman (2). »
Sa conception du roman repose en effet sur deux pré
misses. Premièrement, le roman est compris comme une
découverte : « découvrir ce que seul un roman peut
découvrir, c'est la seule raison d'être du roman (3). » Si la est, pour Kundera, la seule morale valable du
roman, la connaissance que communique le roman est de
nature spécifique. Le roman contribue donc à explorer la
situation existentielle de l'homme, à une certaine époque,
(1) Milan Kundera, L'Art du roman, Paris, Gallimard, 1986, p. 155.
(2) L'Art du roman, p. 29.
(3)du p. 9. LENTEUR DE MILAN KUNDERA 547 LA
mais il ne livre ni un tableau historique fidèle, ni une ana
lyse critique de sa structure sociale. Sa contribution n'a
rien de systématique.
Deuxièmement le roman, en tant que forme artistique
indépendante, est considéré comme fondamentalement
autonome par rapport aux autres champs de discours.
L'instrument de connaissance du romancier n'est pas la
logique rationnelle, mais l'imagination et la langue litté
raire. La langue romanesque est irréductible aux autres
niveaux discursifs, c'est-à-dire au langage de la philoso
phie, de la sociologie ou de l'essai critique. Cela implique
que le sens du roman ne se confond pas avec les idées de
l'auteur, telles qu'il les exprime ailleurs. L'œuvre n'est pas
l'illustration d'une doctrine particulière.
C'est justement là que pécherait La Lenteur. De l'univers
profondément ironique des romans précédents, le pas
vers la satire semble franchi, une satire qui vise non
les « travers » des personnages, comme dans la comédie
classique, mais derrière eux « l'esprit du temps » —
notamment le rôle décisif joué par les médias dans la vie
humaine, leur vision du monde réduite au slogan publicit
aire, leur sentimentalisme, leur ignorance et leur culte de
la jeunesse.
Dans cette satire, on ne reconnaît que trop facilement
une critique maintes fois exprimée non seulement dans
les romans précédents, mais également dans les essais et
les articles. Chaque scène est l'illustration d'une critique
exprimée ailleurs, chacune des discussions est le dévelop
pement d'un thème précédent. Aussi les digressions
méditatives peuvent-elles facilement être comprises
comme le raisonnement de l'auteur, comme la vérité du
roman, son résumé, sa thèse, et altérer ainsi l'indispen
sable relativité de l'espace romanesque.
Les questions sont donc les suivantes : Kundera, de plus
en plus déçu par l'époque contemporaine, serait-il devenu
un partisan du retour au passé ? Aurait-il abandonné la
plurivocité, la polysémie de l'évocation romanesque pour
l'univocité d'une présentation satirique, d'un portrait à
charge ? 548 J0RN BOISEN
L'IMPORTANCE DE LA FORME
Conclure à l'univocité du texte dans sa totalité serait, à
mes yeux, un contresens total. Ce serait oublier la comp
lexité formelle qui caractérise l'œuvre de Kundera : les
développements polyphoniques des thèmes, la succession
des motifs et des variations suivant le principe du contre
point. Ce que je propose ici, c'est, d'une part, de montrer
comment la forme de l'œuvre déstabilise et désamorce
des jugements qui paraissent pourtant évidents ; de
l'autre, de déceler derrière la critique sociale apparente le
véritable enjeu du roman.
Milan Kundera parle souvent de la structure musicale
de ses romans. Là où ses grands romans comme L'Immort
alité seraient calqués sur la sonate, Kundera affirme que
La Lenteur et L'Identité seraient inspirés de la fugue. C'est
une affirmation qu'il faut prendre au pied de la lettre.
Une fugue est divisée en trois parties. La première, l'e
xposition, introduit le thème (nommé le sujet de la fugue),
une réponse qui imite le sujet, la continuation du sujet qui
se superpose à la réponse et sera appelée le contre-sujet,
enfin diverses transitions tirées des motifs que l'on peut
extraire du sujet ou du contre-sujet. La deuxième partie, la
modulation, travaille ou joue avec les éléments précédem
ment introduits. Différents artifices d'écriture seront
employés pour varier la présentation des divers maté
riaux (remplacement des valeurs longues par des valeurs
brèves, ou inversement, remplacement des intervalles
ascendants par les mêmes intervalles descendants et réc
iproquement, etc.) ; de plus, les diverses transitions seront
utilisées pour amener le sujet ou le contre-sujet à être pré
sentés dans diverses tonalités. Vers la fin de cette phase,
les superpositions diverses des éléments seront de plus en
plus complexes, de plus en plus riches, jusqu'à aboutir à
une sorte de point culminant nommé strette (jeu « serré »),
à partir duquel l'ouvrage pourra se terminer. Tout ce qui
est nécessaire se trouve donc présent pou

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