Renel le decivilise
170 pages
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Charles Renel Le « décivilisé » Bibliothèque malgache / 41 PETITE NOTE DE L’ÉDITEUR EN GUISE DE PROGRAMME « La Première Œuvre » ?… Nous vous demandons la permission de préciser briève- ment notre but et le sens du titre de cette collection. Notre but ?… Publier des œuvres de jeunes qui ne sont pas encore parvenus au grand public. Le sens de notre titre : « La Première Œuvre » ?… « La Première Œuvre » sera-t-elle une collection qui accueillera, toujours et exclusivement, l’ouvrage initial d’un écrivain ? Non, « La Première Œuvre » (et c’est à dessein que nous avons ins- crit le mot œuvre et non le mot ouvrage sur la couverture de ces volumes), « La Première Œuvre » sera une collection qui s’efforcera d’accueillir – toutes les fois que l’occasion lui en sera offerte – l’œuvre dans laquelle un écrivain (qui ne sera pas en- core notoire) aura, pour la première fois, affirmé sa maîtrise. * * * Nous ne nous bornerons pas à mettre en vente les volumes que nous publierons dans cette collection. Pour la vente des volumes de cette collection, nous avons obtenu la précieuse collaboration d’un certain nombre de li- braires avisés et amis des lettres. Les volumes de « La Première Œuvre » ne seront pas sim- plement offerts au public ; par suite de l’accord, qui a été établi entre les libraires et nous, les exemplaires de ces volumes se trouvent tous vendus à l’avance. – 3 – Ainsi, les auteurs publiés dans cette collection n’auront pas simplement la certitude d’être imprimés, mais celle d’être lus, d’être jugés. Et cela, n’est-ce pas (pourquoi ne pas le noter, en passant) est sans précédent ? * * * Les volumes de « La Première Œuvre » seront des volumes à « tirage limité ». Aucun ouvrage de cette collection ne sera réimprimé dans cette collection. * * * Un dernier détail qui a son importance : « La Première Œuvre » ne sera pas une collection dont la publication sera périodique. Nous n’annonçons pas, dès aujourd’hui : « Nous publie- rons un volume tous les quinze jours… tous les mois… ou tous les deux mois. » Non. Nous nous bornons à souhaiter que l’on apporte à MM. Max et Alex Fischer, Directeurs Littéraires de « La Première Œuvre », beaucoup de manuscrits remar- quables. – 4 – C’était en un coin perdu de l’Île Australe, sur les bords de la mer Indienne, dans un pauvre village Betsimisârak. La nuit tombait vite, presque sans crépuscule, comme il arrive sous les Tropiques. Le soir réveillait la vie humaine assoupie pendant la chaleur accablante du jour. Devant les cases, les hommes et les garçons fendaient du bois ; d’autres revenaient de la forêt, la hache ou le long couteau de brousse à la main. Au pied des manguiers touffus, sur l’aire couverte de son, les jeunes filles et les enfants pilaient le riz dans les épais mortiers de bois. Les femmes arrivaient de l’aiguade avec sur l’épaule les lourds bam- bous pleins d’eau ; ou bien elles portaient le feu de case en case, soit en bambous enflammés, soit en braises dans un tesson ou dans une feuille de bananier pliée en forme de petite corbeille. Quand en route le feu s’éteignait ou tombait sur le chemin, c’étaient des fusées de rires clairs et jeunes, des occasions de conversation sans fin. Les enfants jouaient, s’ébrouaient dans le sable, s’interpellaient de maison à maison. Hors du village on entendait les meuglements des bœufs regagnant les parcs. Des poules caquetaient, des oies poussaient de longs cris stridents. Les faucons, qui tout le jour planent sur les demeures des hommes, avaient disparu dans la forêt ; de temps en temps, une chauve-souris géante, avec des claquements d’ailes inégaux, voletait lourdement autour des manguiers, annonciatrice de la nuit. Comme de l’encens sort d’une cassolette, les fumées bleues filtraient à travers les toits et montaient droit vers le ciel dans le calme religieux du soir. Elles emplissaient le village d’une odeur âcre et forte, abolissaient toutes les autres senteurs : les relents d’humidité pourrie qui venaient des lagunes et les parfums – 5 – troublants des orchidées qu’exhalaient, en souffles chauds, les 1profondeurs de la sylve . La nuit maintenant effaçait les formes des choses. Toutes les constellations du sud s’allumaient dans le ciel d’opale : le Loup qui dessine par ses huit étoiles un double et lumineux lo- sange ; le Scorpion, pareil plutôt à un cerf-volant, dont la queue recroquevillée semble s’accrocher au feu rougeâtre d’Antarès ; la Croix du sud, avec ses quatre étoiles inégales, et le trou d’ombre à côté, qui ouvre dans le ciel un abîme de mystère, juste au bord de la voie lactée. Sur la houle des petits nuages blancs, la lune à son premier quartier semblait voguer, les deux pointes en l’air, comme une pirogue d’argent… Oies et poules s’étaient tues. Quelques chiens faméliques erraient en quête d’une proie. Autour du village, le crissement des insectes, parmi les herbes ou les feuilles, tantôt plus assourdi, tantôt plus aigu, vi- brait sans discontinuer dans l’air nocturne ; et, des plages maré- cageuses avoisinant le lac, montait le coassement sourd des gre- nouilles. Au loin, par delà les lagunes et la dune côtière, le res- sac monotone de l’Océan Indien scandait comme d’un énorme halètement la respiration de la nuit tropicale. Les habitants étaient presque tous rentrés. Des mères in- quiètes à cause des Êtres épouvantables qui rôdent, appelaient quelques enfants restés au dehors. Les flammes claires, sur tous les foyers, vacillaient, et, par les ouvertures mal closes ou par les interstices des parois de roseaux, luisaient des rais de lumière. Le bruit confus des conversations s’entendait d’une case à l’autre à travers les cloisons légères, murmure inégal et harmo- nieux coupé de cris d’enfants et d’exclamations de femmes luti- nées, déjà prêtes à l’amour. Toute la joie de la Race ardente et paresseuse saluait l’approche du repas et la venue de la Nuit, mère des voluptés. 1 La forêt vierge. – 6 – * * * Adhémar Foliquet, seul Européen dans la région à trente kilomètres à la ronde, assis sur le pas de sa porte, avait regardé mourir le jour. Mais, homme blanc venu des terres hyperbo- réennes, il avait le caractère inquiet des gens de sa race, l’esprit obsédé sans cesse par des idées nouvelles et des impulsions soudaines. À cause de la vie tourmentée qu’avaient menée ses ancêtres, il avait perdu la faculté de se laisser aller longuement au charme de l’heure et éprouvait un besoin irrésistible de s’agiter en vain. Il se leva donc, se promena de long en large, hanté d’idées mélancoliques, couleur de crépuscule. Devait-il se réjouir de s’être évadé depuis des mois hors du tourbillon de la vie civilisée, loin de ses misères, de ses douleurs ? Avait-il lieu de s’attrister parce qu’il vivait seul au milieu d’une peuplade barbare, sur la lisière de la forêt vierge, au bord de l’Océan Aus- tral ? Singulières aventures que les siennes ! Fils d’industriel, il avait connu l’enfance heureuse et choyée, l’adolescence sans souci. Après le lycée, il s’était découvert une vocation littéraire, avait poursuivi ses études à la Sorbonne, conquis la licence ès lettres. Subitement son père était mort, laissant des affaires très embarrassées. Au lieu de la fortune permettant à Paris l’existence élégante et facile, ce fut la gêne, la nécessité immé- diate de gagner sa vie. Il songea d’abord à entrer dans l’Université par la petite porte, le répétitorat des lycées : il préparerait l’agrégation pour devenir professeur. Il obtint un poste au lycée de Bourg-en- Bresse, s’attela résolument au programme du concours, travailla beaucoup pendant trois mois, un peu moins durant trois autres, puis s’enlisa lentement dans les plaisirs faciles de la petite ville provinciale, renommée pour ses grasses poulardes et ses filles brunes aux yeux bleus. Il avait l’âme d’un dilettante plutôt que d’un ambitieux. Pourtant il se présenta au concours de l’agrégation, fit des compositions insuffisantes : le président du jury lui conseilla de ne revenir qu’après une préparation sé- – 7 – rieuse. Adhémar comprit. Rester pion, pour attendre dix ans un poste de professeur dans quelque collège, c’était renoncer à trop d’espoirs et d’illusions de sa jeunesse. Il réalisa vingt mille francs que lui laissait la débâcle paternelle, et décida d’aller chercher fortune à Madagascar. Pour faire connaissance avec le pays, il resta quelque temps à Tananarive, y écorna son pécule, puis devint prospecteur. Il courut la brousse, à la recherche du filon de quartz aurifère ou de la riche alluvion, planta quelques piquets qui ne lui rapportèrent rien, s’associa pour une exploita- tion de graphite à un aigrefin qui le dupa. Il voulut essayer d’une dernière tournée de prospection mais fut arrêté par une fièvre bilieuse dans un village de la côte. Sa convalescence fut longue. Il laissa ses dernières piastres aux mains des gens du pays, qui l’avaient recueilli et soigné. Guéri, il ne lui restait qu’une ressource : gagner Tamatave et se faire rapatrier comme indigent, pénible extrémité à laquelle il ne pouvait se résoudre. Souvent les indigènes lui parlaient de leur désir d’avoir une école. Idée bizarre et inattendue, semble-t-il, chez des barbares, presque des sauvages ! Mais les primitifs, singes nés comme l’anthropoïde ancestral, recherchent et envient tout ce qu’ils voient chez les civilisés : ils rêvent d’emprisonner leurs pieds dans des chaussures, de couvrir leur tête d’un casque lourd et encombrant, d’être photographiés avec leur famille dans des accoutrements ridicules, et de faire apprendre à leur innocente progéniture, la langue des Européens subtils. Pour les naïfs Bet- si, l’école représente l’accession possible aux biens les plus di- vers : beaux lambas multicolores achetés grâce aux bénéfices du commerce, uniformes de fonctionnaires avec les boutons de mé- tal
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