La Revue de Paris, mars 1902Anatole Le BrazAr MôrAr MôrCe soir-là, quand les chariots de la tribu s’arrêtèrent pour leur halte accoutumée dela nuit, l’odeur singulière qui, depuis plusieurs jours déjà, accueillait la marche desKymris migrateurs, dans leur exode vers les terres du couchant, se fit tout à coup siforte et si pénétrante que les buffles eux-mêmes, au lieu de se répandre dans lesherbages, sitôt dételés, restèrent, les naseaux tendus, à humer l’air avec une sorted’inquiétude. On eût dit que, là-bas, derrière les collines âpres et tourmentées quibarraient l’horizon, vers l’ouest, d’immenses cassolettes invisibles fumaient,imprégnant l’espace d’un arôme irritant et subtil, tel que les patriarches de la hordene se souvenaient point d’en avoir respiré de semblable, au cours de leurs étapesles plus heureuses à travers les plaines les plus embaumées.Jamais forêts en travail de printemps, jamais vallées foisonnantes ni steppes enfleurs n’avaient distillé de suc aussi merveilleux. Cela se buvait dans Je ventcomme un philtre et se déposait sur les lèvres comme une manne imperceptible,d’une indéfinissable saveur… Et les hommes s’étonnaient de se sentir aux veinesun sang plus frais et plus fougueux, tandis que, dans les yeux avivés des femmes,transparaissait un ciel nouveau où des ardeurs insolites montaient.Sans cesse, des nuages aux formes d’énigme surgissaient de la profondeuréclairée de l’occident, glissaient au ras du sol, d’une fuite équivoque, ...
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