Comme chaque semaine, les dures journées d abnégation touchaient à leur fin. Elles profitaient des
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Comme chaque semaine, les dures journées d'abnégation touchaient à leur fin. Elles profitaient des

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Description

Comme chaque semaine, les dures journées d'abnégation touchaient à leur fin. Elles profitaient des deux jours intemporels néanmoins marqués dans le temps pour s'isoler et ainsi mieux revenir. Ce jour ci, c'est lors d'un soir froid et sombre qu'elles décidèrent de se dissimuler dans la monotonie. Dans le même instant, Arthur et ses chevaliers s'établissaient autour de leur table ronde. Les cartes et les jurons bon-enfants fusaient ; leur manière à eux de s'amuser. Au centre de la table, l'or brillait, tendu ici à celui qui aurait la meilleure main. Et encore une fois, Arthur perdait. Il se ruinait mais n'en avait que faire. Il était entouré de ses compagnons, c'est tout ce qui importait, ça et le breuvage qui coulait à flot. Tous s'en abreuvaient sans modération. Cette potion magique leur faisait oublier leur quotidien, eux qui chaque jour combattaient dans leurs châteaux de finance. Ce soir, comme tous les sept couchers de soleil, ils troquaient le glaive pour la boisson. Le sablier s'écoulait rapidement, le tonneau se déversait plus vite encore. Dans les gorges des chevaliers, effleurant leurs foies, stimulant leurs cervelles. Bien vite, les cartes n'avaient plus la même forme, ni la même couleur. Ça n'était plus que des tâches à peine rectangulaires. Les chiffres s'agitaient seuls, dansant autour de la table. Mais Jack n'en avait pas fini. D'abord en plus grande quantité dans la bouteille, désormais régissant tout des mouvements du corps d'Arthur.

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Publié le 02 avril 2016
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Langue Français

Extrait

 Comme chaque semaine, les dures journées d'abnégation touchaient à leur fin. Elles profitaient des deux jours intemporels néanmoins marqués dans le temps pour s'isoler et ainsi mieux revenir. Ce jour ci, c'est lors d'un soir froid et sombre qu'elles décidèrent de se dissimuler dans la monotonie. Dans le même instant, Arthur et ses chevaliers s'établissaient autour de leur table ronde. Les cartes et les jurons bon-enfants fusaient ; leur manière à eux de s'amuser.  Au centre de la table, l'or brillait, tendu ici à celui qui aurait la meilleure main. Et encore une fois, Arthur perdait. Il se ruinait mais n'en avait que faire. Il était entouré de ses compagnons, c'est tout ce qui importait, ça et le breuvage qui coulait à flot. Tous s'en abreuvaient sans modération. Cette potion magique leur faisait oublier leur quotidien, eux qui chaque jour combattaient dans leurs châteaux de finance. Ce soir, comme tous les sept couchers de soleil, ils troquaient le glaive pour la boisson.  Le sablier s'écoulait rapidement, le tonneau se déversait plus vite encore. Dans les gorges des chevaliers, effleurant leurs foies, stimulant leurs cervelles. Bien vite, les cartes n'avaient plus la même forme, ni la même couleur. Ça n'était plus que des tâches à peine rectangulaires. Les chiffres s'agitaient seuls, dansant autour de la table. Mais Jack n'en avait pas fini. D'abord en plus grande quantité dans la bouteille, désormais régissant tout des mouvements du corps d'Arthur.  Enfin, plus aucune goutte ne fut versée, tout avait été consommé. Cela sonnait la fin de la soirée. Il était temps pour les chevaliers de regagner leurs appartements. La plupart restait à domicile, trop sonné pour se retirer mais Arthur se sentait bien, mieux que jamais. Lorsqu'en titubant, il prit la porte, personne ne le retint. Car les yeux se fermaient, les esprits s'échappaient. La raison n'était plus qu'euphorie.  Un pied hésitant après l'autre, Arthur chevaucha son cheval de fer. S'habillant de son armure et de son heaume, il se mit au trot. Le chemin n'était éclairé que de quelques poteaux de fer auxquels on avait suspendu des torches. La Lune était discrète par delà les nuages, c'était un ciel sans étoiles.  Arthur, sur son cheval, était désormais au galop, filant entre les carrioles de métal. Il se sentait puissant, il se sentait invincible. Sur sa route, plus rien ne pourrait l'arrêter, il était bien trop rapide. Il esquivait tout et tous, ne s'arrêtant pas même lorsqu'il croisait la route des petits bonhommes verts.  Puis derrière lui, une lumière rouge s'illumina bleue. C'était les mercenaires de Morgane venus le prendre. Arthur tira sur les rênes de son cheval, le précipitant à vive allure. Autour de lui, plus rien n'était réel. Plus rien ne semblait l'être.  Arthur ne se sentait plus si invincible. À lui montaient les nausées. Mais Arthur n'en finissait pas de filer. Il se sentait comme sur Pégase, volant au dessus d'un monde pour lequel il ne ressentait plus aucune appartenance. Un pas de travers et il se verrait chuter de plusieurs kilomètres de hauteur. Et si ça devait être son destin, il n'aurait pas d'autre choix que de l'accepter. Car il ne pouvait plus réfléchir. Les connexions entre ses neurones étaient obstrués et il divaguait dans l'extase de sa liqueur.  Il n'y avait plus d'espace-temps, plus de Terre ni d'humains. Tout n'était qu'une tache flou dans l'univers. Et lui, dans tout ça, rayonnait. Il était le Soleil autour duquel la vie tourne. Enfin, c'est ce qu'il pensait être. En réalité, il était bien plus proche de Mort dans son rôle de chevalier de l'apocalypse. Car dans sa démence soudaine, temporaire mais marquant éternellement, il agitait sa faux en tout sens. Et si elles ne l'avaient pas encore fait, les têtes tomberaient, écrasées par les sabots de son cheval.  Un nuage de poussière entourait Arthur et à travers lui disparaissait sa couronne. Il n'était plus qu'un Homme comme tant d'autres. Son prestige s'envolait, avec lui, son armure et son immortalité. Son squelette fébrile filait à travers l'air et il ne pouvait plus l'arrêter. Il était prisonnier de sa propre puissance car ne pouvait plus la sentir. Les mercenaires s'approchaient. Son cheval manquait de foin. Ses yeux ne voyaient plus. Le danger l'encerclait et sa cervelle ne répondait plus. Ses mouvements ne s'inscrivaient plus que dans l'automatisme des réflexes que des milliers d'années de sélection naturelle avaient préservé. Et ils n'avaient plus la même finesse car Arthur n'avait plus d'autonomie. Un esclave de son plaisir coupable. Une larve à toute vitesse.  Un premier sabot de travers. Le cheval tangua et failli se retourner mais miraculeusement, il ne fit
qu'effleurer l'un des mercenaires qui y vit là un affront. Des étincelles dans la nuit, la lumière embrasant l'obscurité. Une poésie magnifique, une poésie de mort. Et la vitesse qui semblait viser l'infini. À des années lumières d'une réalité macabre, en quête d'incommensurable. Là où la matière noire remplace la matière grise et où les rêves ne sont plus cauchemars. Là où le vide fait rêver de son silence. Là où la solitude est bienveillante, bien qu’oppressante. Là où se porte les yeux lorsque l'espoir s'évanouit. S'il y aurait une vie après sa mort, Arthur espérait qu'elle se trouve là. Si haut dans le ciel. Il aurait aimé sauter pour l'atteindre tout de suite, sans plus attendre. Mais ne lui poussaient pas d'ailes. Il n'y a que le sol qu'il pouvait encore toucher. Et c'est fort, trop fort, qu'à chaque fois, il le heurtait.  Une goutte. Puis deux. Puis, en un battement de cils, plus qu'il ne soit possible d'en compter. La pluie régnait sur les terres sacrées de Camelot, presque assez dense pour qu'en surgisse le bras de la Dame du Lac. Et désormais, les sabots n'accrochaient plus au sol, ils le caressaient comme d'une main aimante. La course poursuite devenait meurtrière car aucun, ni Arthur, ni les mercenaires n'abandonneraient. Et tous savaient que la victoire se ferait dans le sang, tous sauf Arthur qui ne pensait plus.  Les carrioles se faisaient nombreuses. On était vendredi soir et il y avait abondance. Mais Arthur ne ralentissait pas, cela aurait été se précipiter dans la gueule du loup à sa poursuite. Il se préférait ses crocs à lui, même si, bientôt, le choc le délaisserait de sa mâchoire. Un quartier rempli, fait de filles de joie et de guerriers acclamés quémandant réconfort. La Lune, de son œil voyeur, ne manquait rien de la scène. Assise sur son trône d'altitude, elle avait tout vu du début et savait tout de la fin. Elle la savait saignante, à son goût.  Des flashs dans les yeux d'Arthur, du dégoût dans sa gorge et à ce moment là, même pour lui, la fin paraissait évidente. Il n'avait même plus la force d'encore se battre. Alors son cheval de fer avançait seul, motivé par le bruit des sirènes dans son dos. Et il fusait toujours, tel une étoile filante. Et la vitesse seule rendait son cheval incontrôlable. Alors mêlée à la pluie, il n'y avait plus l'espoir d'un sillage parfait. Au lieu de ça, une traînée zigzagante, ici en spectacle pour les traînées de chair.  Les mercenaires se firent plus agressifs. Bientôt, Arthur surgirait hors du quartier, il leur fallait agir avant. Les murs délabrés, les trottoirs sales et les victimes coupables semblaient affirmer que s'il y devait y avoir meurtre, ce devrait être ici. Car dans des rues ou le quotidien est fait du plus sombre des sangs, la mort n'est plus naturel que par son tragique car de naturel, il n'y a plus. Seulement une superficialité omniprésente, celle du pourpre sur les lèvres d'un cadavre, rouge à lèvres post-mortem.  Mais Arthur ne voyait rien de cette saleté. C'est peut être aussi pour cela qu'il tâtait de sa potion magique ; pour ne plus percevoir que le voile d'une réalité fuyante et pour que son songe se fasse plus rapide, pour qu'à travers son soporifisme, il ne puisse plus rien percevoir, seulement le silence de sa respiration par delà la nuit. Et alors, ici, dans une antre semblant n'être faite que de ce qui se cache sous les lits des enfants, il se pensait dans un univers paradisiaque. Sur son cheval de fer, il planait. Et à pleine vitesse, il semblait voler. Des illusions, des hallucinations qui le mèneraient à sa perte. Car Pégase était désormais à son point culminant et, faute à l'altitude, manquait d'oxygène. La chute était proche, elle serait violente, elle serait sanglante.  Les mercenaires ralentirent. La masse de carrioles se faisait trop dense pour qu'ils puissent filer à travers sans ne blesser personne, ni se blesser eux mêmes. Et en face d'eux, l'arc-en-ciel tricolore n'était plus fait que d'une couleur et cette couleur était le rouge. Mais Arthur ne s'arrêtait pas. Il ne le pouvait pas, ne le voulait plus. Devant lui, une carriole s'immobilisa brusquement. Elle était à plusieurs mètres de distance mais Arthur n'eut pas le temps de réagir. Il ordonna à son corps de tirer les rênes en arrière. Mais il ne lui obéissait pas. Il restait immobile sur ce cheval de fer en mouvement. Et s'il ne faisait rien, l'inévitable se produirait. Il ne fit rien.  Le cheval s'écrasa sur lui même en un mélange de bruit et de fumée. Arthur ne put s'y raccrocher, il fut projeté à plusieurs dizaines de mètres, la tête frottant le sol. Son heaume devenu inefficace ramenait à lui toute la souffrance d'une commotion cérébrale. Et sur le sol filait une rivière de sang bleu, éparpillée en océan par la pluie. Aucun de ses os ne semblait avoir été épargné et il pouvait les ressentir, brisés dans ses organes internes.
 Les cris des sujets résonnaient dans l'horreur. Arthur n'était plus roi, tel Excalibur, son crâne était encastré dans la pierre. Les yeux clos, il s'éloignait de son royaume pour rejoindre celui du ciel.  Guenièvre accourut vers l'hôtel-dieu, les yeux emplis d'une mer noire de larmes. Elle avait peur pour son mari, peur pour son roi, peur ne plus être reine. À l'intérieur, l'atmosphère était lourde. Tous la voyaient déjà comme une veuve. Il y avait un filtre devant leurs yeux, celui du malheur. Et lorsqu'il tomberait, le constat resterait le même ; Arthur mort laissant derrière lui une femme déchue. Et avec lui s'envolait un héritage, des enfants ou peut être des mots. Une empreinte sur le monde qui ne sera faite que de sang, que d'un meurtre sur soi-même. Des vies et des espoirs brisées pour quelques gouttes de liqueur.
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