Irrépressible pulsion
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Description

Ma toute première nouvelle, écrite pour un concours sur le thème des expressions mentionnant une partie du corps. N'hésitez pas à me laisser vos commentaires.

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Publié le 26 juin 2012
Nombre de lectures 92
Licence : Tous droits réservés
Langue Français

Extrait

1
Irrépressible pulsion
J’ai la main heureuse. C’est un inconnu, croisé dans la rue, qui me l’a dit. Le genre
hippie vaguement écolo. Cheveux longs et vêtements colorés. Le genre que les gens
importants ont bien du mal à prendre au sérieux. A peine le temps d’enregistrer
l’information qu’il avait disparu dans le flot de la foule. Dingue la vitesse à laquelle une
horde de costumes et de tailleurs gris est capable d'avaler un arc-en-ciel.
J’ai la main heureuse. Non pas que la chance soit avec moi dans tout ce que
j’entreprends. Disons que de ce côté là, je n'ai ni à me plaindre, ni à me vanter. Non, je
veux seulement dire que j’ai la main heureuse. Vraiment. C’est difficile à croire, je le
sais. Mais ma main, la droite, est heureuse. En permanence depuis quelques jours. Au
point parfois d’en devenir fatigante.
J’ai la main heureuse et ça a commencé un matin tout à fait comme les autres. Attablée
sur ma terrasse, je finissais mon petit déjeuner. La douce chaleur du thé me réchauffait
de l'intérieur. Autant que le chant des oiseaux dans les arbres voisins. Une véritable
symphonie. La journée allait être belle. Les oiseaux étaient heureux eux-aussi, semble-t-
il. C’était simplement le printemps. Soudain, ma main, mes doigts, se sont mis à
s’agiter. En un rien de temps, un « Belle journée » a pris la place du classique « Bien
cordialement » avec lequel je pensais conclure le mail que j’étais en train d’écrire. Oui
parce que comme beaucoup, j'ai du mal à me contenter de ne faire qu'une seule chose à
la fois. J'ai ce que les anciens appelleraient un emploi du temps de ministre. Pour les
plus jeunes, disons que je suis overbookée. Du moins, c'est ce que j'ai longtemps voulu
croire.
J’ai la main heureuse, je vous dis. Au début, moi-même je n’en ai pas cru mes yeux. Ce
matin là, je l’ai regardé s’agiter. Hors de contrôle. Et l’espace d’un instant, la paume
tournée vers moi, j’ai bien cru qu’elle aussi me regardait. Mais c’est idiot. Une main, ça
ne regarde pas. Ça n'a pas d'oeil. Encore moins de volonté propre. Une main, c’est bête.
Ça ne fait que ce qu’on veut bien que cela fasse. À moins que... L'espace d'un instant...
Alors, ni une ni deux, j’ai attrapé mon téléphone. De la main gauche, ça me semblait
plus sûr. J’ai pris rendez-vous avec mon médecin de famille.
J’ai la main heureuse et tous les examens du monde n’ont pas suffit à poser le
diagnostic. À ce propos, savez-vous qu’il existe des dizaines de raisons d’avoir la main
qui tremble… sans raison ? Le sevrage alcoolique ou l’abus de caféine. Eliminés
d’entrée en ce qui me concerne. Mon médecin de famille, il me connait depuis
longtemps et il le sait. Les addictions, ce n’est pas mon truc. Après, on en vient très vite
à soupçonner la maladie de Parkinson. Ou d’autres maladies du système nerveux. Là
aussi, il en existe à la pelle. Toutes plus inquiétantes les uns que les autres. Quelques
neurologues, scanners et IRM plus tard, il a fallu se rabattre sur une nouvelle piste.
L’anxiété, le stress, la fatigue. Avec mon agenda de ministre, c’était possible. Grâce à
elles, je suis passée par plusieurs fauteuils de psychologues et de psychiatres. J'ai même
eu droit à une cure de repos. Rencontre avec un moi-même que j'avais ignoré
jusqu'alors. Mais pas de quoi calmer les mouvements erratiques de ma main droite.
J’ai la main heureuse. Après plusieurs mois de traitements en tous genres, rien n'y a fait.
Plus ça allait, plus elle s’agitait, cette main décidément pas comme les autres. Le
printemps est passé. L'été aussi. Au début de l'automne, les tremblements sont devenus
quasiment permanents. Toujours sans explication. Pourtant, ce que je n’osais au début
pas vraiment avouer aurait du me mettre rapidement sur la voie de l'explication. Car ma
main, celle qui finalement est heureuse, elle ne remuait toujours que pour une bonne
2
raison. Cette mamie que j'avais déjà tant de fois aperçue sans la voir, assise sur un banc,
dans un village quelconque, avec son bien-aimé. Avec toute la sagesse due à son grand
âge surtout. Un beau matin, ma main droite s'est mise en
marche pour la saluer, lui
arrachant le plus sincère des sourires qu'il m'ait été donné de voir. Sans parler de cet
automobiliste. Certainement tout aussi pressé d'arriver à destination que moi. Nous le
sommes tous devenus, n'est-ce pas ? Pressés, je veux dire. Mais, alors que sa main à lui
me faisait signe de passer, la mienne s'est mise à frétiller amicalement en signe de
remerciement.
J'ai la main heureuse et depuis ce matin de printemps, j'ai comme l'impression qu'elle
prend, petit à petit, le contrôle de mon corps tout entier. En fait pas vraiment de mon
corps. Plutôt de mon esprit. De mon Ça. Ou de mon Surmoi. Peut-être juste de mon
Moi. Ce cher Sigmund parviendrait-il à en juger ? Toujours est-il que ma vie toute
entière a changé. Lentement. Comme un enfant qui grandit. Un enfant qu'on ne voit
vraiment grandir que lorsqu'on ne le voit pas. Justement. Ou, lorsque la veille de la
rentrée, on essaie vainement de le faire enfiler ce jean qui lui allait si bien quelques
semaines plus tôt. Dans mon cas, c’est un peu genre la chenille qui se transforme en
papillon si vous voyez de quoi je veux parler.
J'ai la main heureuse. La vie est courte. Il faut en profiter qu’ils disent. Qu’ils disent
mais qu’en font-ils ? Moi, grâce à ma main heureuse, j’ai commencé par faire le tri.
Dehors les personnes anxiogènes. Toutes celles qui se complaisent dans les
lamentations et qui n’ont pour seul but que de faire baisser l’énergie de ceux qui les
entourent. Fini aussi les méga-projets pour mon futur et l’overbooking. Les mails
envoyés alors que le reste de mon thé fume encore dans le fond de ma tasse. Balayé le
passé. Carpe diem est devenue ma devise.
J’ai la main heureuse. C’est cet inconnu dans la rue qui me l’a dit. Cet arc-en-ciel
englouti en un instant par la grisaille du quotidien. J’ai la main heureuse, qu’est ce que
vous voulez que je vous dise. Je ne sais pas comment c'est arrivé. Et finalement peu
importe. Peut-être que je suis en avance sur mon temps. Je l’espère. J’y crois. Encore
plus depuis hier. Car j'ai fait une découverte incroyable. Une autre. Ma main heureuse,
la droite, elle s’est muée en arme de bonheur massif. Un super pouvoir, croyez moi.
Probablement le plus puissant de tous. Nietzsche lui-même le disait : « Il faut avoir une
musique en soi pour faire danser le monde. » Moi, je n’ai pas de musique en moi. Mais,
j’ai la main heureuse. Tout simplement. Et depuis hier, elle distribue la joie… à tour de
bras !
Nathalie Mayer
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