Le clos sur l Automne
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Description

1 Le clos sur l’Automne La voiture sort de la ville et roule à travers la campagne vallonnée. Dans quelques kilomètres le taxi me déposera à destination. Je ne suis pas venue ici depuis presque dix ans et pourtant je reconnais le moindre virage et je peux faire l’inventaire de tout ce qui a changé. Des carrefours, des ronds- points, des routes refaites. Mais quoiqu’il arrive, c’est toujours la campagne, le bout du bout, comme on disait, et aussi l’endroit où l’on venait échapper à nos parents quand on n’en pouvait plus, malgré l’ambiance souvent lourde qui y régnait. La voiture entre dans le village, tourne à droite sur la place de l’église et va presque jusqu’au bout du chemin. Le clos est là. Le taxi me dépose devant, fait demi-tour malgré l’étroitesse de la voie et repart. Le portail n’a pas changé, il n’a pas été repeint depuis probablement mon dernier séjour, où il était déjà abimé, et quand je tourne la poignée et commence à l’ouvrir, il grince et bloque encore plus qu’avant. J’ai du mal à le repousser derrière moi mais ça n’a pas d’importance, il y a longtemps qu’il n’y a plus de chien dans ce jardin. Il était petit, au poil raz, il n’avait qu’une envie, celle de nous lécher les mains et la figure et si le père de famille le traitait pour ce qu’il était, un chien, la mère, elle, lui parlait comme s’il était son troisième enfant. M.-C.

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Publié le 21 octobre 2013
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Licence : Tous droits réservés
Langue Français

Extrait

1
Le clos sur lAutomne
La voiture sort de la ville et roule à travers la campagne vallonnée. Dans quelques kilomètres le taxi me déposera à destination. Je ne suis pas venue ici depuis presque dix ans et pourtant je reconnais le moindre virage et je peux faire l’ inventaire de tout ce qui a chang. Des carrefours, des ronds-points, des routes refaites. Mais quoiqu’ il arrive, c’ est toujours la campagne, le bout du bout, comme on disait, et aussi l’ endroit o l’ on venait chapper  nos parents quand on n’ en pouvait plus, malgr l’ ambiance souvent lourde qui y rgnait.
La voiture entre dans le village, tourne à droite sur la place de l’ glise et va presque jusqu’ au bout du chemin. Leclos est là. Le taxi me dépose devant, fait demi-tour malgr l’ troitesse de la voie et repart.
Le portailn’a pas changé, iln’a pas été repeint depuis probablement mon dernier séjour, où il était déjà abimé, et quand je tourne la poigne et commence  l’ ouvrir, il grince et bloque encore plus qu’ avant. J’ ai du mal  le repousser derrire moi mais a n’ a pas d’ importance, il y a longtemps qu’ il n’ y a plus de chien dans ce jardin.
Il tait petit, au poil raz, il n’ avait qu’ une envie, celle de nous lécher les mains et la figure et si le père de famille le traitait pour ce qu’ il tait, un chien, la mre, elle, lui parlait comme s’ il était son troisième enfant.
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Ils l’ avaient achet pour essayer de redonner gout  la vie  leur fille qui n’ allait pas bien, et nous, nous étions les amis de cette fille. Des amis de lycée pour la plupart, dactivités extra scolaires pour certains, et en ce qui me concernait, les deux et aussi un peu de la famille. Un jeu de croisement de parrains, marraines et filleuls liait nos deux familles et pas toujours pour le meilleur, de mon point de vue.
Je remonte l’ alle jusqu’  la maison et je passe par derrire, comme on a toujours f principale a toujoursait. L’ entre peu servi,finalement. D’ abord parce que les parents recevaient peu, mais aussi parce que c’ tait plus facile de passer par la cuisine. Je gravis les marches et je tape au carreau.
J’ arrive la dernire. Normal, je viens de loin. Les autres sont  une heure de route. On se retrouve à table au déjeuner, comme avant. Rien n’ a changé dans la maison, ni les meubles, ni l’ ambiance. En mme temps, on sait tous pourquoi nous sommes l. Pour vider cette maison qui n’ est pas la notre mais que l’ on a toujours considré comme notre maison de vacances, un peu notre refuge. Entre treize et vingt-et-un ans, tous les étés et une partie des petites vacances, nous les passions ici, loin de
tout, et la mre de notre amie trouvait le moyen d’ en profiter. Elle nous faisait faire des tas de choses comme nettoyer l’ argenterie, faire le mnage  fond, entretenir les sols et surtout
cet épouvantable parquet du premier étage avec des interstices larges comme des gouffres.
Après le repas, on se retrouve dans la cuisine pour faire la vaisselle, comme au bon vieux temps. On a toujours tout fait dans cette maison, mme la cuisine. D’ ailleurs ce soir, c’ est nous qui nous y mettons, ce midi, c’ tait du« tout préparé ».
L’ aprs midise passe au milieu des cartons et des sacs poubelle. On n’ aurapas trop de deux jours pour tout emballer. Cette
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maison est norme et pleine d’ un bric-à-brac impossible, et plus on avance, plus on a l’ impression qu’ il a des choses à faire.
A la fin de la journée, la bibliothèque et les vitrines du salon sont vidées,est emballe et  l’ taune bonne partie de la vaisselle ge, une vingtaine de cartons a déjà été faite. Reste la salle « de jeux », qui sert aussi de bibliothèque et de salle à tout faire. A elle seule, elle mobilisera au moins trois personnes toute la journée de dimanche, tellement elle renferme de choses.
Les chambres d’amis ont été déménagées depuis quelques semaines dj,  l’ exception des lits. Ça nous évitera de dormir par terre. La chambre des parents est presque vide, elle aussi. Celle de notre amie a été mise en cartons et en valise, mais il reste encore des choses à classer et à ranger. Seule la chambre du fils n’ a pas encore t commence. Notre amie dit que son frère est censé venir dans le courant de la semaine prochain pour s’ en occuper. Il y atellement longtemps qu’ pas est n’ il venu dans cette maison. Et encore plus longtemps que je ne l’ ai pas vu. J’ ai l’ impression que cela fait des sicles. J’ tais encore jeune, hsitante, peu sre de moi, et il avait l’ air tellement rassurant et mûre, avec ses quatre ans de plus tais tellement. J’ heureuse qu’ il me voit autrement que comme une simple copine de classe de sa sur. Je me sentais tellement valorisée, mme si notre histoire devait rester discrte. C’ tait il ya longtemps et a n’ avait pas tenu, mais  l’ annonce qu’ il allait venir, au repas de midi, j’ aisenti mon cur battre plus fort, à la fois fbrile et inquite, avant d’ entendre qu’ il ne serait l qu’ aprs notre dpart. J’ai eu un petit pincement,l’ espace d’ un instant, avant de reprendre le cours de la conversation.
J’ ai semblant de ne pas remarquer les regards appuyés de fait mon amie et son articulation plus marquée en parlant de son frère, son intonation faussement déçue en me disant que je ne le verra c’ estis pas, que aurait t l’ dommage, aoccasion, qu’ elle auraitdû lui dire que je serais là.
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A l’ poque, elle était la seule à savoir. Leurs parents peut-être aussi, je ai n’ jamais russi  en tre sre, et le regard de leur mère à ce moment précis ne me donne aucun indice.
J’ ai toujours pens qu’ il lui en avait parl. Sa sur, elle,ne l’ a su que par hasard. A force de nous surveiller et de me pister pour se sentir la plus proche possible de moi, elle avait fini par nous apercevoir à plusieurs reprise et tait alle jusqu’  nous pier.
De cette histoire, j’avaisgard jusqu’  maintenant un souvenir attendri et en mme temps un sentiment d’ inaccompli,une impression que les choses auraient pu se passer autrement. Facile de penser de cette façon, quand on ne revoit pas les gens pendant des années, presque dix en ce qui me concerne. Mais l’ ide de le voir rapparaitre m’ avait dstabilise et je me sentais finalement soulage qu’ il ne vienne pas.
Le repas du soir a été vite préparé, nous ne sommes pas là pour un week-end gourmand ou gastronomique. Autour de la grande table du séjour pour la deuxième fois de la journée, nous discutons de tout et de rien, chacun raconte un peu sa vie, fait revivre les souvenirs qu’ il a avec cette maison et l’ poque de notre adolescence. Années collège, puis lycée et université, une par une, nous les ressortons toutes de nos mémoires, et le
décalage est parfois surprenant. Sur le coup, nous avions l’ impression de vivre les mmes vnements et sans doute avec les mêmes sentiments, mais dix ans plus tard, ce qui nous en reste ne correspond plus vraiment. Nous non plus, d’ ailleurs, si proches il y a longtemps, nous ne nous correspondons plus. Pour certains pas gard avons n’ nous nous,d’ entreé de contact étroit, voire pas de contact du tout. La confrontation, dix ans plus tard, est surprenante. Je me suis déjà demandé pourquoi elle m’ avait demand de venir. Pour l’ aider, certes, et parce que je connaissais la maison et que j’ y avais aussi dessouvenirs. Mais elle aurait pu se contenter de demander de l’ aide aux
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contacts qu’ elle avait gards. Une envie soudaine, peut-être, de faire revivre le passé. Ce c’ est que nous remmorerqui est sr,des choses anciennes vcues en commun n’ enlve rien au fait que nous sommes maintenant des inconnus les uns pour les autres, comme des cousins qui ne se seraient pas vu depuis des années sans que ça leur manque.
Ils ne m’ ont pas manqu durant toutes ces annes, c’est certain. Ils font partie des souvenirs, de ma jeunesse, des choses passées. Il y a une frontière entre eux et ma vie présente.
Les seuls souvenirs qui pour moi restent vivants sont ceux qui concerne le frère de notre amie, ou plutôt notre ex-amie. Nous sommes tous des ex-amis en fait, rien de plus rien de moins, et nous savons tous que malgr tout ce qu’ on pourra se dire au moment de nous quitter, on ne se reverra probablement jamais.
Après avoir mangé, vaisselle express et retour aux cartons pour deux nouvelles heures de labeur, puis douche et au lit. Répartis dans les deux chambres d’ amis et l’ annexe celle de notre de amie, j’ aifait en sorte de dormir dans la plus petite pour y être seule et sans voisin ou voisine direct.Je n’ auraisjamais imaginé que j’ aurais l’ occasion de revenir dans cette maison, et maintenant que j’ y suis, j’ ai de revivre une dernière fois, envie moi aussi, habitude tantune soire comme j’ en avais pris l’ jeune.
Aprs le coucher de tout le monde et m’ tre assure que plus personne ne se déplace dans la maison, me voici donc redescendue dans la cuisine, sans allumer le plafonnier, juste claire par l’ ampoule du hall d’ entre. C’ est l que le soir, durant les vacances passes dans cette maison, j’ avais pris l’ habitude de me poster, sachant qu’ il attendait que tout le monde soit au lit pour descendre et être un peu au calme.
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C’ est l qu’ il m’ avait trouve, un soir, regardant le jardin presque dans le noir à travers la porte vitrée. Il était resté un moment derrire moi, sans rien dire. J’ avais fait comme si je ne l’ avais pas entendu. Il s’ tait approch et avait pos ses mains sur mes épaules. Après, je ne me souviens plus vraiment. Un peu plus tard, je me revois assise sur ses genoux, pendue à son cou, toujours dans la cuisine sans lumière. Jours après jours et périodes de vacances après petits week- chaque fois qu’ ilend,  venait, nous nous retrouvions dans la cuisine après que tous les autres soient allés se coucher. Nous ne faisons rien de plus. Quy aurait-il eu de plus à faire ? Javais 15 ans et aucune idée de ce qude presque 20 ans pouvait attendre de celleun jeune homme quil serrait dans ses bras. Nous restions là, lun contre lautre, puis nous finissions par monter nous coucher. Le reste du temps, nous nous efforcions de rester discrets. En tout cas moi. Lui avait tendance à laisser ses mains trainer dans mon dos, ou ailleurs, à la fois pour ma plus grande joie et mon plus grand désarroi. Et si on nous avait surpris ?
A l’ occasion de cetqui sonne pour moi comme unete soirée commémoration, je me retrouve donc en pèlerinage dans la cuisine, presque dans le noir, à tenter de voir le jardin qui n’ est pas éclairé. Je imprgne m’ atmosphrede l’ de cet endroit vieillot, presque antique et tous lessouvenirs que j’ avais retenusdepuis le matin reviennent au galop.
Les bruits de la maison me semblent familiers, comme si je nétais jamais partie : le frigo qui fait un bruit de diésel quand il se relance, le robinet de la cuisine qui fuit toujours un peu sur la vieille pierre plate dla mère de notre amie était siévier dont fière, le poêle à bois de lentrée qui chauffe mal et crache un peu de fumée, les marches de bois de lescalier central qui craquent même quand personne ne marche dessus
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J’ essaye me concentrer pour sentir ses mains se poser sur de moi, pour sentir une dernière fois ces sensations qui ont ponctus l’ veil de ma vie de femme. Je me sens nostalgique et romantique à la fois. Une vraie guimauve.
J’ en suislà de mes rêveries un peu niaises quand une ombre se découp de la porte. embrasuree dans l’Je nai pas entendu la porte de devant, je suis surprise, mais en fait pas vraiment. Pas besoin de me retourner, je sfait qu’ il n’ entre pas dans laais. Le cuisine, qu’ il reste sans bouger,sa respiration, le bruit de son sac qu’ il pose par terre, puis ses pas qui s’ approchent et ses mains sur mes épaules.
Je reste face à la porte du jardin, les yeux fermés, à me demander si je rve ou s’ il est vraiment là. La tête appuyée contre sa poitrine, je le laisse dans le embrasser m’m’ enlacer, cou, comme si nous nous étions quittés la veille. Et de nouveau je me retrouve assise sur ses genoux, pendue à son cou, sans comprendre ce qui se passe. Pourquoi est- neil l alors qu’ il devait arriver que dans quelques jours? La réponse est simple : sa mre l’ aappelé pour lui dire que tout le monde était là pour faire le déménagement, et que même moij’ avais fait en sorte de venir. Il n’ en fallait pas plus pour le décider à arriver plus tôt.
Il m’ explique a entre deux treintes, comme si c’était naturel, et men arrive  me dire que sa prsence est vidoi j’ ente, mais je ne réalise pas vraiment. Je me sens comme en dehors de la réalité, mes souvenirs se confondent avec le présent, mais je n’ ai pas envie, comme c’ tait avant, que nous restions l des heures sans ai besoin de savoir. J’nous parler.Pourquoi il est venu sachant que je serais là, pourquoi, devenus plus âgés, nous n’ avons jamais t sur la mme longueur d’ ondes et nous nous sommes couru après sans pouvoir nous attraper ? Pourquoi quand l’ un tait seulet en attente, autre l’ vivait une autre histoire ?
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Dimanche matin
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Je me réveille et sur le coup, je ne sais plus où je suis. Je me retourne et je le découvre, allongé à côté de moi mais sur la couverture et habillé. Son visage touche presque le mien et il sourit. Il me faut quelques minutes pour me souvenir de ce qui s’ est pass. J’ ai l’ impression d’ avoir fait un norme saut dans le temps et de me retrouver, à 15 ou 16 ans, quand il venait pour me rveiller mais qu’ en fait il me regardait dormir. Je ne savais pas comment me comporter, je mourais d’ envie d’ ouvrir les yeux, de le regarder, de lui sourire et qu’ il m’ embrasse, mais j’ hsitais et je me contentais de savourer le moment, les yeux fermés pour lui faire croire que je dormais toujours.
J’ ai toujours agis comme ça avec lui, tiraillée entre mes envies et mes peurs. Je n’ tais pas trs veille sur les relations entre les hommes et les femmes, mais je me doutais bien que les attentes d’ un garon de 20 ans n’ avaient rien  voir avec les rves romanti Notreques de prince charmant que j’ avais  16 ans. cart d’ ge m’ enchantait et me faisait peur. Je m’ imaginais souvent vivant avec lui, élevant notre premier enfant, à une époque où je me demandais encore si je ne risquais pas de tomber enceinte enl’ embrassant.
Cet enfant, il n’ a mme pas tent de me le faire la nuit dernire. Nous sommes montés dans sa chambre, nous avons parlé durant des heures, jusqu’  voir le jour se lever et nous endormir dans les bras l’ un de l’ autre.
Ma première pensée claire, même si ça peut paraitre étrange, est que je ne suis pas dans mon lit et que le reste de la troupe risque de s’ en apercevoir. Rponse immdiate de mon hte qui me rassureen me disant qu’ il a ferm la porte de ma chambre  clé, et qui me la tend.Ça, on ne l’aurait pas fait il y a dix ou quinze ans. En tout cas, moi, je ne l’ aurais pas fait. Lui, ce n’ est pas sûr. pC’ esteut- aitre aussi pour a que j’ le plus souvent
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possible fait en sorte de ne pas me retrouver dans une situation qui l’ aurait pouss  avoir ce genre d’ ides. Je n’ tais pas prte et surtout j’ aurais t incapablede me comporter comme si rien ne s’ taitpassé.
Je regarde l’ heure sur le vieu 9h30. Je :x réveil en métal demande si personne ne nous cherche mais de toute évidence, ilss’ en moquent complètement. Ils sont tous dans la salle de jeux du rez-de-chaussée. ilsA moins qu’ne se doutent de quelque chose. Je me sens mal  l’ aise d’ un coup. Mon compagnon de la nuit s’ absente et revient quelques minutes plus tard avec un plateau de petit déjeuner. Je tombe des nues en constatant qu’ il se souvient de ce que je prends lematin.
Dimanche soir
Je ne sais pas comment il a réussi à les convaincre, je trouvais ses arguments un peu faibles… Sans doute que la moitié des personnes prsentes s’ en moquait compltement, quant  l’ autre moiti, elle a fait semblant de ne pas savoir.
Ses parents sont partis vers 17 heures et le gros de la troupe a quitté la maison il y a une heure. Nous ne sommes donc plus que deux, seuls dans la maison, à finir la vaisselle, avec comme excuse d’ attendre la venue des dmnageurs, demain en dbut d’ aprs midi. J’ appellerai mon bureau dans la matine pour prévenir que je prends ma journée.
C’ est la premire fois que nous sommes seuls.
Nous n hui aujourd’ avant occasion, jamais eu l’’ avons, de nous retrouver uniquement tous les deux. Il y a toujours eu du monde autour de nous. Que ce soit pour des vacances ou des vnements en famille, nous n’ avions que trs peu de possibilits pour nous isoler, en nous cachant o l’ on pouvait.
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Cette fois-ci, et pour la première fois, nous ne risquons pas d’ tre surpris par sa sur ou sa mre ou je ne sais qui d’ autre. Nous pouvons nous comporter normalement, pas besoin de coups d’ il appuy ou de sous entendus pour communiquer, nous pouvons tout nous dire.
Curieusement, c’ est peut-être ça qui nous gène. Ça peut paraitre étrange, mais la soudaine liberté dont nous bénéficions ne nous aide pas. Mme si cela fait longtemps qu’ on ne s’est pas vus, nous avons gardé nos habitudes de dissimulations et nous avons du mal  nous parler autrement que coll l’ un  l’ autre, brièvement, en chuchotant.C’ est trange de se cacher dans une maison o il n’ y a personne d’ autre. Ce qui est sur, c’ est que cette prolongation inespre va nous permettre d’ approfondir les choses, de les clarifier du moins en partie, et qui sait, d’ envisager l’ avenir autrement.
Autrement oui, mais pas forcément ensemble. Cette idée me trotte dans la tête depuis cette nuit. Cette impression d’ inachev que j’ avais de notre histoire va forcment s’ envoler, mais pour faire place à quoi ? Dix ans sans nous voir, deux histoir aucun rapport ontes de vies qui n’, quelques souvenirs communs, nous ne sommes pas plus liés que tous ces gens qui étaient là ces deux jours. Nous avons été, mais nous ne sommes plus, et redevenir servirait à quoi ?
La vaisselle terminée, nous nous retrouvons dans le salon, incapables lun comme lautre de dire ou de faire quoi que ce soit. Il sassoie puis sétend sur la méridienne et me fait signe de le rejoindre. Je mapproche. A ce moment-là, jai de nouveau 15 ans. Comme ça a été le cas toute la journée. Les discussions entre nous tous, les petites plaisanteries des uns et des autres, comme il y a longtemps, toute la dynamique de groupe que nous avions sen marche. Le jeu de chat et de sourisest remise entre lui et moi aussi. Toute une journée de régression, une
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façon de revivre une dernière fois nos souvenirs avant de les enfermer dans des cartons.
Je mallonge à côté de lui, je me blottis dans ses bras, et nous laissons le temps passer, sans parler. A quoi bon ? Quoi se dire ? Nous nous sommes déjà tant dit la nuit dernière. Et quest-ce que cela changerait ?
La grande horloge, que lon a remontée pour la dernière fois ce midi, sonne les quarts dheures, les demis, et les heures, ponctuant notre tête à tête silencieux. Le chien du voisin aboie, la maison craque, mon portable bipe. Je nattends aucun appel, donc je ne réponds pas. Je mendors à moitié, fatiguée par cette journée intense en émotions et en efforts physiques. Au bout dun moment, nous décidons de monter nous coucher.
Main dans la main, et conscient que cest la dernière fois, nous gravissons le vieil escalier grinçant.
Lundi
Nous nous réveillons comme la veille, dans les bras lun de lautre mais séparés par une couverture. Cest moi qui ai ouvert les yeux en premier et qui lai regardé finir sa nuit.
Regard attendri, mais pas amoureux. Une envie que le temps soit suspendu, la crainte du moment où il faudra quitter la maison, et la hâte aussi que cette parenthèse se referme. Curieux et pesants comme sentiments.
Après le petit déjeuner, que nous avons pris à la cuisine, dans les deux seuls bols qui nont pas été mis en caisse, nous sortons nous promener.
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