Les sangsues

icon

12

pages

icon

Français

icon

Documents

2013

Écrit par

Publié par

YouScribe est heureux de vous offrir cette publication

icon

12

pages

icon

Français

icon

Ebook

2013

YouScribe est heureux de vous offrir cette publication

Un médecin sait comment rentabiliser la clinique privée qu'il dirige.
Cette nouvelle a été soumise à un concours lancé par Syllabaire Éditions.
Voir icon arrow

Publié par

Publié le

07 avril 2013

Nombre de lectures

313

Langue

Français

LESSANGSUES
Une nouvelle de Tipram Poivre tirée du recueil Les Voleurs de ventpublié par Syllabaire Éditions Disponible dans les librairies numériques
Yrudinet adressa un sourire de contentement à l’image prospère que son miroir lui renvoyait. Taille moyenne, visage poupin rasé de près, cheveux ondulés blé mûr, yeux myosotis, chemise amidonnée, costume en flanelle d’excellente facture. Il dégageait au premier abord une impression d’affabilité qui se dissipait dès que l’on détaillait sa physionomie, car sa mâchoire carnassière contrastait avec les étonnantes sinuosités de ses lèvres charnues. Ce mélange insolite de brutalité et de bonhomie déstabilisait ses interlocuteurs; il en avait conscience et s’en amusait.Dès que les premiers coups de huit heures sonnèrent à l’horloge du salon, il descendit prestement l’escalier reliant son appartement à la clinique privée dont il était le gérant. Lesbrumes de l’automne n’assombrissaient pas son humeur radieuse, car la vie était belle pour lui, et sa carrière se profilait sous d’heureux auspices.Comme chaque matin, son assistante le salua en se trémoussant. Comme chaque matin, illança d’une voix sonore: Bonjour, Mlle Silberman. En forme ? Oui, Docteur Yrudinet, répondit-elle avec zèle. Comment ça se présente, ce matin ? Une vingtaine d’urgences déjà. Les équipes chirurgicales tournent à plein régime.Bien ! Avant de s’engouffrer dans son cabinet, il ajouta: J’ai besoin d’être tranquille pour préparer mon entretien avec MmePhilarjean. Oui, Docteur Yrudinet. Je veillerai à ce que vous ne soyez pas dérangé. Yrudinet se cala dans son fauteuil directorial et attaqua les dossiers soigneusement empilés sur son bureau. Il procédait avec méthode, plaçait les documents exigeant une action immédiate dans la corbeille réservée à cet effet et griffonnaitVules autres papiers. sur Au bout de trois heures, il avait tout traité.
Il sortit un mini ordinateur rouge d’un tiroir fermé à double tour. Il l’alluma et tapa plusieurs mots de passe pour accéder à un listing couvert de chiffres. Il les parcourut fébrilement en poussant des petits grognements de plaisir. Il effectua quelques additions et soustractions et, après les avoir vérifiées à l’aide de sa calculatrice, il se frotta les mains en produisant des bruits mouillés avec sa langue.
C’est encore mieux que ce que j’avais escompté, marmonna-t-il. Si je continue sur cette lancée, dans un an, peut-être moins, je pourrai acheter l’hôtel particulier près de la Tour Eiffel dont je rêve depuis si longtemps. Avec un peu de chance, j’aurai même de quoi financer les travaux d’embellissement. Hammam. Jacuzzi. Jardin d’hiver…Legrésillement de l’interphone interrompit ses projets grandioses. C’était son assistante qui le prévenait de l’arrivée de MmePhilarjean.
* * *
Une jeune femme rousse à l’allure hautaine, probablement échappée de la vitrine d’un grand couturier, entra d’unpas décidé. Yrudinet se leva galamment pour lui offrir un siège. Quel bonheur de vous revoir, chère Madame, s’exclama-t-il d’un ton sirupeux. C’est si aimable à vous d’avoir abandonné la douceur de votre Lubéron pour la pollution de Paris ! Pendant combien de temps aurons-nous le privilège de vous avoir parmi nous ? Trêve de ronds de jambe, coupa la visiteuse avec la désinvolture de ceux qui ont l’habitude de commander. Je repartirai aussitôt après avoir fait le point avec vous. Ne perdons pas de temps. Je vous écoute. Tout de suite, chère Madame. Il lui remit avec fierté une feuille sur laquelle il avait tracé à l’encre écarlate un nombre comportant cinq zéros. Elle leva sur lui de longs cils interrogateurs. C’est le bénéfice net du semestre, dit-t-il simplement. Net ? Net. Une métamorphose spectaculaire se produisit. La dame à la beauté lisse et froide perdit son vernis aristocratique. Son teint de lait s’empourpra, ses pupilles étincelèrent, et sa bouche s’humidifia. Elle se mit à battre des mains sans retenue, à la manière de Picsou trébuchant sur un monticule de pièces d’or. Hypnotisée par les chiffres flamboyants, elle murmura avec frénésie : Extraordinaire ! En si peu de temps ! Comment est-ce faisable ? Enfantin. Il suffit de comprimerles dépenses et d’augmenter les recettes.Je ne vous crois pas. Nous sommes une clinique conventionnée, et nos tarifs sont alignés sur ceux de l’assurance maladie. Allez, donnez-moi votre recette... Vous devriez avoir confiance en moi. C’est moi qui vousai embauché, non ?
Oui. Aucun danger que je l’oublie, chère Madame… Pour tout vous avouer, ma méthode est simplissime. Elle privilégie ce qui entoure l’hospitalisation et qui n’est pas remboursé par la sécurité sociale. C’est-à-dire ?  Nous :facturons au prix fort ce qui ne relève pas strictement de la médecine serviettes de toilette, eau minérale, thermomètres…Thermomètres ? Quand les opérés émergent de l’anesthésie, on leur demande s’ils ont un thermomètre pour prendre leur température. Bien évidemment, ils n’en ont pas. Onleur propose d’en acheter un, neuf, dernier cri, qu’ils emporteront chez eux. Comme ils sont encore à moitié dans le cirage, ils disent oui… L’autre moyen de restreindre les frais est de retarder les travaux de réparation dans les chambres. De la même façon, nous ne remplaçons le matériel défectueux que lorsque cela devient inévitable. Est-ce que ce n’est pas gênant? Rassurez-vous, chère Madame. Il s’agit de vétilles. Pour vous donner un exemple, le système de coulisse des pieds à perfusion est bloqué. C’est ennuyeux dans la mesure où on ne peut pas les tenir verticalement dans l’ascenseur quand on déplace les patients d’un étage à l’autre. Mais l’infirmière fait quelques acrobaties pour les passer en diagonale, et c’est réglé. Ma devise est «Il n’y a pas de petits profits». J’espère qu’elle ne vous choque pas? Non. Vous serez heureuse d’apprendre que j’ai monté à 160 euros le supplément journalier des chambres individuelles. Un coup de peinture, une frise grecque pour faire chic, et le tour était joué. Cependant, objecta-t-elle, cela porte sur des montants modestes et n’explique pas le gain record que vous avez dégagé. Révélez-moi donc en quoi votre méthode consiste réellement. Après tout, nous sommes dans le même bateau, n’est-ce pas ? Vous êtes l’actionnaire majoritaire, et vous percevez 85% des profits, chère Madame. Moi, un maigre 15%.  Je suis prête à reconsidérer la situation en votre faveur. Que diriez-vous d’une répartition 75-25 ? Mmm…
 En plus, vous aurez la gratuité du logement de fonction que vous occupez au-dessus de la Clinique. Au prix du marché, c’est un avantage en nature qui doit bien faire dans les 50.000 euros par an. Mmm…Je double votre salaire fixe. Yrudinet ne réagit pas, car son assistante apportait un plateau avec des verres en cristal taillé, une assiette de petits fours et une bouteille de Sancerre dans un seau à champagne. Quand ils furent à nouveau seuls, il goûta le vin et, après une mimique d’appréciation, servit Mme Philarjean. Elle se méprit sur le silence de son comparse et renchérit : Je porte votre part à 33%… Ça vous satisfait? Oui, assura-t-il en levant son verre.  Maintenant, expliquez-moi comment vous êtes parvenu à un résultat si astronomique. Comme je l’ai exposé, il faut réduire drastiquement les dépenses.J’ai déjà obtenu de nos fournisseurs des conditions très avantageuses. Je ne vois pas comment…
Je reconnais que vous avez été une négociatrice hors pair et que vous avez arraché des rabais incroyables. Ce n’est pas là-dessus que je me suis concentré. C’est sur les salaires. Nous ne pouvons pas les descendre en-dessous du Smic ! Ce serait illégal. Exact. C’est pourquoi j’ai multiplié le recrutement des élèves-infirmiers. Ils reçoivent une indemnité mensuelle de 300 euros environ. À la fin de leur stage, nous leur faisons passer un examen, et nous leur délivrons le diplôme qui leur permet de chercher un emploi normal. Nous sommes ainsi assurés d’avoir des gens extrêmement motivés, pour une bouchée de pain… Dans chaque service, il n’y a plus qu’un infirmier expérimenté. Deux au maximum. Le reste est constitué de stagiaires.Épatant! Je n’aurais jamais eu cette idée.Elle lui décocha un sourire enjôleur en poussant vers lui son verre pour qu’il le lui remplisse, ce qu’il fit avec empressement.Ce n’est pas tout. J’ai aussi aboli le fixe des spécialistes. Chirurgiens, radiologues, cardiologues, anesthésistes, etc. sont à présent rémunérés à l’acte, exclusivement en honoraires. Ainsi, pas de comptabilité à tenir, et pas de cotisations patronales à acquitter. Ils n’ont pas protesté?
Ils n’avaient pas trop le choix. Pour faire passer la pilule, j’ai précisé qu’ils étaient libres de développer leur clientèle privée et de pratiquer des dépassements conséquents. J’ai eu la main heureuse quand je vous ai engagé. Vous êtes tout bonnement génial. Vous me faites rougir, chère Madame. Je n’ai hélas aucun génie. Seulement du pragmatisme. Le bon sens est la base de ma gestion, qui se résume à dépenser moins et facturer à tour de bras. Elle garda le silence et but son vin à petites gorgées, le front plissé par la réflexion. Elle revint à la charge : Tout de même, les économies réalisées ne correspondent pas au gain mirobolant que vous annoncez. Êtes-vous certain qu’il n’y a pas une erreur de zéro? Absolument certain. Alors, j’en conclus que vous ne me faites pas confiance et que vous refusez de me dévoiler vos vraies ficelles. C’est ce que font les cuisiniers. Ils protègent jalousement leurs secrets de fabrication.
Nous sommes pourtant des associés ! Bien sûr. Cependant, vous avez vos spécificités, et moi, les miennes. Je suppose que ce n’est pas la peine que j’insiste, soupira-t-elle. Pourquoi vous compliquez-vous la vie ? Reposez-vous sur moi, et contentez-vous d’encaisser votre argent.Entendu. Vous ne le regretterez pas. Je vous promets que les gros sous rouleront par vagues ininterrompues jusqu’à nos comptes bancaires. Très bientôt, nous pourrons agrandir la Clinique, et nous nous enrichirons de plus en plus. C’est un cercle vertueux que j’ai créé! Dans ce cas, je consens à vous céder 50% de toute la Clinique. Mais je ne peux pas aller au-delà. C’est bien naturel. Comment comptez-vous procéder ? Le nombre des gens malades n’est pas illimité, et la concurrence est féroce. Pour toute explication, elle ne récolta qu’un éclat de rire tonitruant. Il était clair qu’il connaissait un truc pour accroître indéfiniment le chiffre d’affaires. Elle eut beau scruter les
yeux d’Yrudinet, elle n’y glana aucun indice. Pour percer son secret, il ne lui restait plus que la ruse. Elle attrapa la bouteille de Sancerre en déclarant gaiement : Puisque vous ne voulez pas me mettre dans la confidence, je renonce à vous tirer les vers du nez. Et je propose de trinquer à la fortune que vous êtes en train de nous bâtir. Oh, la bouteille est presque vide…Si ce n’est pas suffisant, j’en commande tout de suite une autre.Oui, s’il vous plaît. Nous devons célébrer dignement notre alliance!
Pendant qu’il téléphonait à son assistante, Mme Philarjean lui tourna le dos et fit tomber dans le verre du médecin une poudre nacrée qu’elle conservait toujours dans le chaton de sa bague. Un peu de mascara coulait sur ses paupières inférieures. Quand l’assistante arriva avec la bouteille demandée, elle la lui prit des mains et insista pour servir. Elle attendit d’être à nouveau en tête-à-tête avec Yrudinet pour porter un toast. À nous ! lança-t-elle en buvant cul sec. À nous! répéta Yrudinet en l’imitant. Elle l’invita ensuite à prendre place près d’elle sur le canapé. Je ne sais pas grand-chose de vous. J’aimerais que-vous me racontiez votre histoire. Non, chère Madame. Elle est d’une banalité mortelle.! Tant pis. Parlez-moi des Décidément, vous ne souhaitez rien livrer de vous
problèmes de la Clinique. Si je peux vous aider à les résoudre, ce sera volontiers que... ne sera pas nécessaire, chère Madame. Je les ai solutionnés au fur et à Cela mesure. Elle lui versa à nouveau du vin avant de poursuivre : Qu’est-ce qui vous a donné le plus de fil à retordre quand vous avez entamé vos réformes ici ? En fait, il n’y a eu aucune grosse difficulté. Mais puisque vous voulez des détails… Avec l’augmentation du nombre des actes chirurgicaux, les équipes de nettoyage ne savaient plus où donner de la tête. Comme vous le savez, nous devons scrupuleusement respecter les normes d’hygiène entre deux opérations, sous peine de sanctions sévères. Il a fallu engager beaucoup de personnel, mais pour limiter le coût, j’ai embauché des sans-papiers, au noir. Et l’inspection du travail?
Aucun risque. Les inspecteurs ne viennent jamais en dehors des heures de bureau. Or, je programme les clandestins la nuit, les week-ends et les jours fériés. Vous avez pensé à tout. Félicitations !
L’élocution d’Yrudinet se ralentit, sa peau prit des nuances irisées, et les muscles de son visage commencèrent à mollir. La poudre versée dans son breuvage agissait. L’administrateur chevronné se transformait en automate soumis à la volonté de Mme Philarjean. Ellel’interrogea d’une voix monocorde: Pourquoi êtes-vous persuadé que vous attirerez toujours plus de clients dans notre
Clinique ? Parce que j’ai un moyen imparable.Lequel ? Yrudinet esquissa un geste de protestation. Elle le pressa sans ménagement : Parlez. C’est un ordre.Vous ne me croiriez pas. C’est à moi d’en juger.J’ai mis au point un germe indétectable qui transmet à l’homme des toxines provoquant des lésions profondes. L’infection ronge le cartilage des os, et en moins d’une semaine, le mal est si douloureux que le malade nous supplie de le soulager. Il est dans un tel état qu’il accepte sans discuter les traitements chirurgicaux que nous prescrivons. Notre consommation de prothèses a grimpé de façon fulgurante. Comment les gens sont-ils contaminés ? Vous vous souvenez que l’une de mes premières initiatives a été d’instituer le dépistage gratuit du cancer de la peau, chaque samedi matin ? Oui. C’est le prétexte que j’ai imaginé pour inoculer subrepticement l’une de mes petites bestioles. Y-a-t-il eu des échecs ? Non, même si, parfois, le microbe s’attaque aux viscères et non au squelette. Mais cen’est pas grave pour nos affaires, puisqu’une opération demeure nécessaire. En effet, une appendicite se déclare, rapidement suivie d’une péritonite, et il faut intervenir d’urgence pour éviter la septicémie. Cela n’entrave nullement ma stratégie d’expansion, car ces patients doivent jeûner pendant quatre ou cinq jours. Ils ne coûtent rien en nourriture et sont donc encore plus rentables.
Où vous procurez-vous vos germes ? Je les cultive. Où ? Chez moi, là-haut. Vous croyez que c’est une blague? Montrez-moi. Venez.
* * *
Yrudinet poussa la porte de son appartement et emmena Mme Philarjean dans la cuisine. Les stores étaient à moitié baissés, et une odeur à la fois rance et acide flottait dans le clair-obscur de la pièce. Il la retint par le coude quelques secondes : Attendez. J’allume.Sur le plan de travail carrelé de faïence blanche, il y avait une masse rectangulaire recouverte d’un linge opaque. Il l’ôta d’un geste théâtral en claironnant avec orgueil: Admirez le fruit de mes longues nuits consacrées à cloner et à manipuler du code
génétique ! Au fond d’un aquarium sans eau, un magma grouillant, brun et visqueux, déroulait ses anneaux luisants sur un substrat couleur de sang cuit. Mme Philarjean se pencha pour mieux voir et fit aussitôt un bond en arrière. Des lombrics ! hurla-t-elle avec un haut-le-cœur.Non, rectifia Yrudinet. Des sangsues-miniatures. Minis par la taille, mais géantes par l’efficacité.Comment ça ? Yrudinet enfila des gants en latex avant d’attraper une sangsue.la consultation de Pendant dépistage, il me suffit d’une pichenette pour envoyer dans l’oreille ou le nez des gens cette petite créature… Regardez ses ventouses. Elles sont si veloutées que les clients ne s’aperçoivent pas que la sangsue se glisse en eux. Les personnes les plus sensibles ont juste une impression fugace de courant d’air… Dèsqu’elle est en contact avec le corps humain, la sangsue mord la muqueuse pour s’abreuver de sang frais. C’est indolore, car sa salive contient un puissant anesthésiant. En même temps, elle instille la substance pathogène. Je vous l’ai expliqué, l’effet désiré est atteint en quelques jours.
Mme Philarjean balaya les lieux du regard et fut intriguée par des bocaux alignés dans un meuble vitré et cadenassé. Qu’est-ce que c’est? sont les spécimens nés de mes différentes expérimentations. Ils sont Ce inutilisables parce que leur effet est foudroyant. Je ne me résous pas à les détruire. Il le faudra bien, hélas, car un accident est toujours possible. J’ai envie de savoir si leurs ventouses sont aussi douces que les autres. Prêtez-moi vos gants. Une fois ses mains parfaitement protégées, elle défit le cadenas de l’armoire. Elle choisit un bocal au hasard, en tira une sangsue qu’elle tint par une extrémité entre deux doigts, et l’examina avec curiosité. La suceuse de sang se recourba pour piquer, mais son appendice buccal glissa sur le latex du gant. Elle est fascinante !  Vraiment? demanda Yrudinet en se rengorgeant. Pourtant, je ne l’ai pas encore nourrie. Quand elle a ingurgité sa dose d’hémoglobine, elle devient bien dodue. Cela lui donne une très jolie lippe. Il plaça une loupe au-dessus du parasite gluant, et ajouta avec attendrissement : Observez sa bouche. Vous ne trouvez pas qu’elle ressemble singulièrement à la mienne ? Mme Philarjean le toisa de la tête aux pieds et se fit cinglante : Vous vous ressemblez effectivement comme deux gouttes d’eau. Et cela ne s’arrête pas aux apparences. Votre vilaine bouche de sangsue prétend engloutir la moitié de la Clinique. Vous ne vous figuriez pas que j’allais vous laisser faire? Maintenant que j’ai éventé votre combine, je suis forcée de me débarrasser de vous. Vous êtes viré pour faute grave. Vous avez 24 heures pour déguerpir.
En une fraction de seconde, Yrudinet saisit l’ampleur du désastre. L’affolement le submergea. Des gouttes de sueur glacées perlèrent à la racine de ses délicats cheveux ondulés. Sa magnifique cravate de marque l’enserrait comme un étau. Il s’écarta de l’élégante rousse qui brandissait la sangsue à bout de bras comme elle l’eût fait d’un trophée.Ellelui ordonna de s’asseoir au salon, ce qui calma sa frayeur. Peut-être voulait-elle le faire chanter pour réduire à la portion congrue son pourcentage à lui ? Femme stupide ! Si elle s’avisait de le dénoncer, il lui collerait tout sur le dos. Après tout, elle était la patronne… Ilfut
enhardi par cette perspective et recouvra son sang-froid. Il s’installa confortablement dans son siège en s’épongeant le front, sans remarquer qu’elle demeurait debout et l’épiait.Nous sommes des associés, rappela-t-il. Avez-vous oublié que vous étiez au bord de la faillite quand j’ai croisé votre chemin?  Vous êtes aussi retors et répugnant que vos parasites. Votre arrogance est grotesque. Votre opinion n’engage que vous. En revanche, ilest clair que vous avez besoin de moi pour que la Clinique continue de fonctionner comme une pompe à fric... C’est moi qui ai élaboré tout le système. Cette mécanique bien huilée est mon invention ! Vous avez absolument raison. D’ailleurs, je vous rendsinvention. votre Ne bougez pas. Elle se rua sur lui et enfonça la sangsue entre ses lèvres aux contours sinueuses. Ellerecula de quelques pas et se croisa les bras pour contempler le spectacle qui s’offrait à elle. La nuque renversée sur le dossier du fauteuil, la mâchoire béante, Yrudinet luttait pour retirer la sangsue qui s’était accrochée à sa gencive. Mme Philarjean rit à gorge déployée quand elle vit une pointe violacée et grasse dépasser plusieurs fois de la bouche d’Yrudinet.Bientôt, le corps del’homme à la mise si raffinée fut pris de soubresauts et se contorsionna tel un merlan échoué sur un banc de sable. Le combat fut âpre et court, ponctué de borborygmes et de halètements. Moins d’un quart d’heure plus tard, un filet de glaire cramoisie s’écoula doucement de tous les orifices naturels. Mme Philarjean décrocha le téléphone. Le docteur Yrudinet vient de faire un malaise chez lui. Envoyez vite un médecin et un brancard.
* * *
Communiqué Madame Bossie Philarjean, Présidente Directrice Générale de la Clinique, a le plaisir de vous informer que les consultations gratuites de dépistage du cancer de la peau se dérouleront tous les samedis, de 8h00 à 17h00, sans interruption. Transmettez l’information à vos proches, et venez nombreux.
Voir icon more
Alternate Text