Rêve de cailloux
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Publié le 25 avril 2019
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Langue Français

Extrait

Rêve de cailloux
1. C’était unefraiche nuit du mois d’avril. Une brise légères’engouffraitentre les chênes, caressant leur écorce, colportant les rumeurs d’uneforêt millénaire parmi les feuilles chuintantes. Une forêt grouillante de vieoù l’écho des grognements et autres piaillements nocturnes glissaient le long des collines, atteignant la vallée, se mêlant au chant d’un ruisseau jamais endormi. Albert était là, son gros fion posé sur une chaise qui ne méritait pas ce traitement, grinçant au moindre mouvement. Le goût du métal lui fourmillait sur la langue tandis que ses artères semblaient trop étroites pour irriguer le flux des litres de sang circulant sous sa peau. POPOM, POPOM, POPOM…Son cœur s’emballait etpompait comme une machine devenue folle. Son corps le brûlait et le moindre de ses muscles chauffait à blanc.Il ne lui suffirait rien qu’un geste pour que touts’arrête, une simple pression pour que son petit univers se vaporise dansl’infiniou bien le néant. Qui sait? KKkkRRrkKr…Un raclement se fit entendre, accentuant sa crispation. C’était cette foutue branche qui balayait les tuiles au dessus de sa tête, cellelà même qui perturbait depuis des mois son sommeil friable. Il tenta den faire abstraction. En vain. Sa concentration se fendit comme du verre au premier crissement. Il aurait pu scier cette protubérance végétale bien avant, la fracasser à grands coups de hache et passer des nuits plus tranquilles. Mais iln’en fit rien.Pourquoi ? Par pure flemme. Pour se faire du mal aussi.Pour le plaisir de s’autoflageller, de se punir d’avoir été aussi stupide. CkkcKKrRkKKRRrrk…Ses tympans le chatouillèrent, son cou s’enfonça entre ses deux épaules et il mordit dans le métal à s’en péter les dents.De toute façon pourquoi se feraitil chier maintenant la vie avec une branche à la conalors qu’il allait mourir?  Albert ouvrit les yeux sur la vieille carabine 22 long rifle de son père, la crosse calée entre ses pieds nus et le pouce droit posé sur la gâchette. La lumière de la lune presque pleine filtrait à travers les carreaux du cabanon et se reflétait faiblement sur le tube noir mat qui terminait sa course au fond de son gosier. Un filet de bave perlait le long du canon pour atterrir sur le sol de terre battu, scintillant dans la pénombre.
Aller, vasy. Maintenant.C’est icique tout s’arrête.T’as juste à appuyer sur le bazar et c’est fini. Terminus.Y’a que toi qui descends. T’es le seul conde toute manière à être monté dans ce train qui ne va nulle part. Il prit une profonde inspiration et laissa ses paupières retomber lentement. De la sueur froide ruisselait de son front, le long de ses tempes et de ses aisselles. Il resta là, immobile, à attendre que ses membres cessent de trembler. Lorsqu’il fut prêt, à l’instant même où son pouce aller écraser la gâchette, des voix s’élevèrent un peu plus loin dans la nuit. Albert ouvrit les yeux et retira le canon de sa bouche. C’était le couple qui habitaitla maison voisine. Ils étaient sortis sur la terrasse, accompagnés par quelques amis afin de prolonger leur soirée sous le ciel étoilé. Ça criait, ça riait comme des gamins. Albert observa son fusil. Il voulait crever mais pas pourrir leur soirée. Ils entendraient pour sûr le coup de feu. Mourir dans son coin sans faire chier personne, à l’abri des regards,sans bruit, comme une bête blessée, voilà ce qu’ildésirait. Il posa l’arme sur le sol, se leva pourappuyer d’une main moitesur l’interrupteur qu’il distinguait à peine prêt de la porte d’entrée. L’intérieur du cabanon s’éclaira. Eugène était tranquille dans son bocal posé sur la table, flottant gentiment à mi hauteur entre le plancher et le plafondde sa cage d’eau, étanche à tout ce qu’ilpouvait se passer en dehors du petit monde clos de son aquarium. Albert enjamba un pack de bière de vingtquatre à moitié vide, se demandant où estce qu’il avait mis le silencieux qui allait avec la carabine. Il se dirigea vers le vieux lit de camps militaire sur lequel il larvait depuis un mois et le retourna. La sacoche en cuir de la 22 gisait là, ensevelie sous un tas de linges sales et chlinguant. Le silencieux était dans une des poches. Albert le vissa sur le canon en s’asseyant sur la chaise qui couina son sous poids.Cette fois, c’est la bonne. Tchoutchou. Le train va entrer en gare. Prochain arrêt : Queue Dalle sur Peau de Zobi.Le passager est prié de s’assurer qu’il a tout oublié, qu’il a laissé ses valises pleines de merdes derrière lui.Aller mon gars, faistoi sauter le teston, repeins les murs des boyaux de ta tête, deux molaires dans un coin et un œil scotché au plafond.Tu vas voir, ça va être sympa. Une joyeuse fête. La scène postmortem lui apparut, il vit sa tronche en artichaut et eut une petite pensée pour le malheureux qui allait se farcir le ménage.Il cala l’arme entre ses pattes, se fourra l’engin dans la gueule et, dû à la longueur ajoutée,s’aperçut qu’il n’arrivait plus à mettre le pouce sur la gâchette. Il força, s’enfonçant l’extrémité plus profondément, le silencieux vint lui titiller la glotte ce qui faillit le faire dégobiller. Ça lui rappela en un flashune de ses innombrables vidéos sur la toile qu’il regardait en cachette, s’astiquant la nouille,une de celles où des pouliches au corps somptueux s’étouffaient avec desphallus pareils à des pieds de table. Albert se vit là avec un canon de 22 lui chatouillant les dents de sagesse, s’apercevant dans un élan d’empathie à quel point certaines de ses filles sur lesquelles il s’était tant palucher devaient morfler. L’absurdité de la situation le fit partir en fou rire, ses abdominaux se contractaient sans qu’il ne puisse rien faire sinon baver sur la verge de fer coincée
dans sa bouche. Il sentit des larmes couler sur ses joues, les soubresauts de son bide s’accentuèrent jusqu’à lui en faire mal. Aubord de la crise de nerf, il n’arrivait plus à s’arrêter jusqu’ à ce que sa mâchoire se crispe et qu’une de ses incisives vint cogner le métal. La douleur se propagea de la racine au derrière de ses oreilles et stoppa net l’hystérie qui l’avait gagné.Albert avait mal et plus aucuneenvie de rigoler. C’étaitdeux bonnes raisons de plus d’en finir rapidement.Il observa la carabine, son regard glissa le long du canon et se posa comme une mouche sur la gâchette. Il ne pouvait l’atteindre à moins de s’enfoncerl’arme dans l’œsophageà la verticale tel un avaleur de sabre, ce qui serait ridicule car dans cette position il ne se ferait point sauter la boite mais juste un deuxième trou au cul, ce qui n’était évidemment pas le but recherché. Non, il voulait moucheter le plafond de son cerveau malade, envoyait valser les rouages de cette machine inutile, sortir enfin de la spirale de ses pensées, ce cyclone qui l’aspirait tout entier.Il lança un coup d’œilpériphérique maisil n’y avait rien à portée qui puisse l’aider. Il baissa les yeux vers le sol, la crosse de la 22 était calée entre ses pieds…Ses pieds. Voilà la solution, se ditil. Albert leva la patte arrièredroite, s’arrêta un court instant pour observer à quel point ses ongles étaient noirs et longs, se dit quece n’était pas possible de se laisser aller de la sorteet de s’en foutre à ce point.Encore une bonne raison de plus que tout cela se finisse. Il reprit le mouvement et après quelques tentatives ratées, il glissa son gros orteil dégueulasse sur la gâchette. Albert était en position et enfin prêt. Il prit une profonde inspiration et ferma les yeux. Deux émeraudes lui apparurent dans le noir, deux émeraudes sur un visage de marbre, celui de Julie,celle qui n’était et ne serait plus jamais sienne. Il ne fut plus que douleur, peine et dégout de lui même. Son esprit se scinda de sa chair, de son corps, comme le rejet d’une greffe. Des larmes chaudes roulèrent sur ses joues, un chatouillement glissant de ses paupières closes. Adieu pauvre connard, adieu monde de merde. Il pressa la petite pièce de métal de son orteil sale. Clac. L’obscurité, le silence. Et maintenant? Albert se sentit flotteret dériver dans l’infini. Pas de lumière blanche aveuglante, pas de vieux barbu sur un nuage l’accueillant devant unlourd portaild’orsurmonté d’une imposante arche sur laquelle était accroché le mot « paradis ». Pas plus de flammes que de fournaise ni un quelconque diable hilare le menaçant de sa fourche ni de vierges par centaine, complètements hystériques et prêtes à lui sautées sur le râble. Pas de vertes prairies foulées par quelques amis ou membre de sa famille défunt. Rien. Nietà l’horizon.Seule la noirceur et le silence. Il sentit comme une plénitude l’envahir.La paix, enfin.
A moi le repos paisible et éternel. A moi les R.T.T. de moimême pour une durée indéterminée.La dissolution de moi dans l’énergie universelle de mon cul, tout çaentre deux tranches d’infini et une barquette pleine de vacuité omniprésente recouverte de mayonnaise intersidéral et galactiquomescouilles. Un gargouillement se fit entendre au centre de sa nonexistence suivi d’un raclement en bordure de la bulle de son nonunivers. ? Quelque chose au creux de son ventre et au dessus de sa tête. ?? Son estomac vide qui supplie qu’on le remplisse et cette foutue branche qui racle la toiture. ??? Albert déverrouillât ses paupières. Ses yeux s’ouvrirent sur Eugène qui semblait l’observer depuis son bocal, battant gentiment des nageoires et de la queue. La lumière glissait sur les rouges et chatoyantes écailles qui recouvraient son petit corps. ?!?!Le silencieux sorti de sa bouche, ilobserva l’arme en la tournant dans tout les sens puis retira le chargeur et s’aperçut qu’il était vide. Grosse merde. Tu n’es qu’une grosse, une énorme merde. La plus grosse merde sorti tout droit du trou du cul le plus sale et odorant que comporte cette galaxie. Mister caca univers, tout en haut, là, sur la pointe de la pyramide des gros cacas qui puent. Le champion toutes catégories. Le boss. Au sommet de la hiérarchie des fientes sur le trottoir.Sombre connard, tu n’es vraiment qu’…Il se leva en furie pour prendre une des balles calibre 22 qui trainaient dans la sacoche de cuir, la glissa dans le chargeur et vint coller son gros derrière sur la chaise. Il allait se mettre en position mais le poisson face à lui continuait de le regarder, ouvrant la bouche de temps à autre comme pour dire quelque chose. Qu’est cet’as ?Qu’est ce qui veut le Gégène? J’entend rien à ce que tu me racontes. Hein? Tu veux pas que je meure, c’est ça?Tu préfères que je reste là comme un gland à me faire chier la bite?! Tu crois que…
Alberts’arrêta net lorsqu’ils’aperçut qu’il parlaitau poisson, que ce dernier selon toute vraisemblance en avait strictement rien à foutre de son existence, et se dit qu’au point où il en étaittout cecin’avait aucune forme d’importance.Il se leva, fit faire un demitour à la chaise et reposa son postérieur charnu dessus. Il ne comptait pas se faire emmerder par de la con de poiscaille. Face au mur, il cala son orteil cradingue sur la gâchette et au moment même où il allait se glisser le crachemort entre les quenottes, un craquement sec vint interrompre sa mise en branle. CRAC. Albert partit à la renverse. Sa vision bascula du mur de pierre aux tuiles posées sur les chevrons. Dans une malheureuse contraction musculaire, il se colla le silencieux sur le pif, ce qui le fit loucher un infime instant en pédalant des pattes arrières. Un jet flammes sortit du canonaccompagné d’un claquement étouffé. FUMP. BLING. SPLASH. Le pauvre homme s’étalasur la terre battu, bien accroché à sa carabine tandis que des bouts de verres et de la flotte l’aspergèrent.Albertse demandait se qu’il avait bien pu se passer en reniflant l’odeur de poudre etde ses cheveux roussis, un truc pointu lui rentrait dans le lard et rendait sa position peu confortable. La chaise, putain. Elle a lâché la salope. Juste maintenant. Bon Dieu de merde, si jamais tu existes je vais venir te botter le cul. Juste le tempsque j’en finisse et je vais venir te carrer la carabine dans l’oignon jusqu’à la glotte, ‘culé.Je vais te…Un clapotis résonna derrière lui.  Eugène ! Merde ! Albert se redressa le plus vite possible en prenant appui sur le sol, une vive douleur traversa ses mains, lui arrachant un juron. Il leva les paumes vers le ciel, de gros triangles translucides étaient plantés là dans sa chair. Du bout des doigts, il arracha les morceaux de verres etde l’hémoglobinecoula abondamment des plaies. Avec une énergie insoupçonnée, il bondit sur ses pattes et se tourna vers la table. Eugène se débattait là sur le bois trempé aux milieux des bris de verre, luttant contre l’asphyxie. Albert se précipita sur le pauvre animal, il tenta de le saisir entre ses mains en coupe et finit par ne plus distinguer le rouge du poisson et celui de son sang. La panique le parasita, ses gestes était désordonnés comme si ses membres n’était plus dirigés par le même cerveau. Eugène risquait de mourir et c’était entièrement de sa faute, il voulait se suicider et au final il assassinait ce malheureux petit être qui n’avait rien demandé.Albert finit par attraper le poisson et l’observer sans savoir quoi faire. Estce que des branchies permettent de respirer dans du sang ? La réponse était aussi con
que la question. Entre ses paumes, Eugène cessa ses soubresauts comme si finalement il acceptait son sort. Il ouvrait la gueule pour aspirer de l’oxygène, se noyant à l’air libre.Gégène, merde, qu’estce que je dois faire ? Chui désolé mon Gégène, putain… Dismoi ce que je dois faire, merde, putain. Albert chouinait et bavait comme un gosse à qui l’on a retiré son jouet. Il était planté là, debout comme un imbécile, le poisson au creux de ses paumes, à lui demander comment pouvaitil le sauver de sa propre stupidité. Tu pars en couillesmon pauv’ Bebert. Complètement en testiboules. Maintenant t’arrêtes de chialer comme une fillette à son papa. Tu sors, tu prends le seau, tu fous Gégène dedans, tu mets le tout sous le robinet, tu fais couler l’eau doucement, tu essuie la morve qui te coule du nez et voilà. Pas problème. Il s’exécuta, résistant à cette panique qui voulait le posséder, cette peur irraisonnée grippant les rouages de la réflexion. Du coude, il ouvrit la porte et sortit. Le seau était posé prêt du robinet rivé au mur de pierre, Albert y déposa délicatement Eugène et fit couler un mince filet pour ne point blesser le pauvre animal. Le niveau s’éleva et recouvrit petit à petit les rouges écailles, le poisson revigoré s’agita et lorsque la hauteur de l’eau lui permit,il décrivit des cercles en longeant la paroi de plastique. Albert l’observa jusqu’à ce que le seau soit rempli et fut rassurer par la vivacité du Gégène. Il ne semblait pas trop atteint par sa mésaventure.  Après avoir fermé le robinet, Albert se mit debout en un concert de craquement provenant des articulations de ses membres inferieurs. Il partit à l’intérieur du cabanon en enlevant son Tshirt trempé et malodorant, essuya le sang sur ses mains avec et le jeta en boule dans un coin. Il ressortit avec une canette prise dans le pack entamé, saisit le seau par la hanse pour le poser prêt de la chaise longue et s’affala. Des voix s’élevèrent, des rires, les claquements des portières, le bruit d’un moteur qui s’estompait au fur à mesure quele véhicule s’éloignaitquelque part dans l’obscurité. Les amis des voisins étaient partis. Albert fouilla dans les poches de son short pour y trouver son paquet de cigarettes. Il s’alluma une tige puis se servit du briquet pour décapsuler la canette de bière en faisant levier avec son pouce. Le buste penché, il observa le poisson évoluer dans son nouvel environnement.   Pardon mon Gégène. Je te demande pardon.  Les mots furent susurrés, tendres et sincères,jetés là en pâture à l’obscurité sur le point de les avalés. Le cul de la bouteille en verre vint frapper le seau en plastique. Poc.
  Santé mon ami.  Albert pris une lampée, les fines bulles lui picotèrent le palais, le liquide ambré se déversa le long de son œsophage et apaisaà peine la boule au creux de son ventre. Il recracha une bouffée de fumée sur le croissant de lune pendu là haut, et lors d’un court instant, il crut voir un visage si familier lui apparaitre dans les volutesblanchies. Julie, Ô Julie. Son corps se liquéfia sur la chaise longue pour se répandre sur l’herbe verte.C’était unefraiche nuit du mois d’avril. Une brise légère s’engouffrait entre les chênes, caressant leur écorce, colportant les rumeurs d’une forêt millénaire parmi les feuilles chuintantes. Uneforêt grouillante de vie où l’écho des grognements et autres piaillements nocturnes glissaient le long des collines, atteignant la vallée, se mêlant au chant d’un ruisseau jamais endormi.2.  Midi et le soleil, quelque part au zénith, flemmardait au beau milieu de l’azur strié de diarrhée blanche chiée par la multitude de coucous de lignes et leur incessants vaetvient. La chaleur était montée progressivement ces derniers jours et les oiseaux batifolaient tout autour. Albert était au volant de son Citroën Berlingo tout pourrave et roulait sur le cahoteux chemin de terre serpentant à flanc de colline. La carcasse métallique couinaità chaque fois qu’une roue s’enfonçait dans un nid de poules ou écrasait une pierre. La vitre baissée, l’air resté frais à l’ombre des chênes lui fouettait le groin et faisait tourbillonner la fumée de sa cigarette. Le véhicule prit sur la gauche un sentier qui débouchait sur une petite clairière et stationna derrière le cabanon familial qui trônait là, à la lisière du massif des Maures. Albert s’extirpa de son siège avec la grâce d’un hippopotame, fit le tour de la bagnole pour prendre les sacs des courses à l’arrière. Les bras chargés, il actionna la poignée du menton et poussa la porte du cabanon avec le nez. Le chargement fut déposé sur la table à côté d’Eugène dans son seau. Regarde ce que j’ai pour toi mon Gégène.Il sortit d’un des sacs un bocal tout neuf, une sphère en verre d’une quarantaine de centimètres de diamètre.  C’est pas beau ça, hein mon Gégène? Ta nouvelle maison.  Il saisit le seau et déversa doucement son contenu dans le bocal. Eugène, après quelques rouléboulé et un plongeon dénué de classe, frétillait de la queue dansson nouvel environnement. Albert sortit une boite en pastique d’un sac, l’ouvrit
et saupoudra la surface d’une pincée de flocons beiges. Le poisson fit quelques allersretours en gobant la précieuse nourriture.  C’est qu’il avait faim le petit Gégène. Oh oui, c’est bon ça hein? Hein mon Gégène ?  Le spectacle dura quelquesminutes et Albert n’en perdit pas une miette, tout comme Eugène. Lorsque le repas fut terminé et que le poisson vint entamer sa digestion tranquille au fond du bocal, le gros se redressa. Après un rapide coup d’œil, il fallait qu’il se rende à l’évidence,il était temps d’un sérieux coup depropre dans ce taudis.L’intérieur ducabanon était un empilement de détritus et d’objets en tout genre. Mais pas tout de suite. Il éventra un des packs de bière dans les sacs, en arracha une canette tiède et prit un sachet de chips parmi la dizaine achetée, un Bret’s aromatisé à l’huitre, un truc tellement bizarre qu’il se devait de gouter.Il sortit avec au brasson repas du midi et s’installa au soleil sur la chaise longue de plastique plus tout à fait blanc sur laquelle du lichen s’était accroché comme des morpions sur une paire de couilles. Confortablement enfoncé dans son trône bon marché, Albert contempla le paysage devant lui. Du haut de sa restanque, il observa la forêt recouvrant le versant de colline et les hirondelles qui virevoltaient. La vallée en contrebas se taper un roupillon sous les chauds rayons du grand astre scotché sur la grande toile bleu. La vie serait vraiment belle si elle était pas aussi moche. Albert éventra le paquet de chips, saisit une poignée de rondelles dorées qu’il se fourra dans la gueule. Un parfum d’iode vint lui pétillait sur le palet. Il croqua et le goût d’huître et de pomme de terre lui emplit son large orifice buccal.Il mastiqua une douzaine de fois et envoya d’un coup de langue la purée obtenue au finfond de son œsophage. C’est que c’est pas dégueu cette merde! Il retourna le paquet et lut la liste des ingrédients en se demandant si il y’avait véritablement de l’huître là dedans.Le terme « arôme naturel » était la seule explication donnée. Il sortit une chips seule, l’observa attentivement, se demanda par quel procédé « naturel » ils avaient pu y foutre le goût de la bestiole dessus. Après quelques hypothèses probables ou non, il se dit qu’il n’en savait rien et quececi resterait certainement un grand mystère jusqu’à la fin de sa chienne de vie. Cette chips ressemblait à une autre, peutêtre un tout petit peu plus pâle en termes de couleur. Il émit un pet avec sa bouche pour ponctuer son incapacité à résoudre l’énigme. Ça ressemble à une chips mais cen’estpas une chips.C’estl’évolution darwinienne de l’huître et de la pomme de terre si tant est que ces deux ingrédients
entrent pour de vrai dans la composition du shmilblick. Une chips moderne, en phase avec notre société de consommation toutça. Farce et illusion…Albert plongea sa paluche dans le sachet, se mit une fournée de rondelles magiques dans le trou béant qu’était sa bouche, écrasant des miettes sur le pourtour. L’essence éthérée des huîtres, les fantômes de ses petites bêtes tranquilles dans leur coquille grise lui hantèrent la gueule, dansant sur sa langue et ses molaires. Il se souvint des apéros qu’ils organisaient avec Julie, chez eux, où toutes ses copines picoraient chips par chips alors que luis’en envoyait par poignéeen se disant que si ces connes suçaient des bites comme elles mangeaient ces minis soleils, il plaignait leur gazier. Julie…  Et merde ! Une douleur surgit dans ses tripes. Il avait réussi à l’oublier juste un quart d’heure.Remarque, c’était déjà ça se ditil. Albert décapsula la canette de bière avec les dents, se souvint que ce modèle était dévissable et à quel point il était con et s’octroya un lampée tiède. Le soleil cuisait à feu doux son épiderme. Une hirondelle passa au dessus de lui. Va petit oiseaux, va fabriquer ton nid. Vole. Dépêchetoi et surtout ne t’arrêtes pas. 3. Albert ouvrit un œil, le soleil jouait à cachecache derrière la colline à l’ouest tandis qu’un vent frais glissé entre ses orteils sales.Il avait passé l’après midi à boire des canettes en regardant le paysage puis s’était endormi.Il fit claquer sa langue qui resta coller sur le palais tellement sa bouche était pâteuse. Il envoya la main fouiller le pack posé prés de lui, se dégota une bière pleine parmi les cadavres. La première gorgée du liquide tiède fit fondre les résidus de salive et il avala le tout. Mmmmm. Dégueulasse.
 Quelle heure pouvaitil bien être ? Pas loin de vingt heures, se dit Albert. Il s’alluma une cigarette et tiraquelques bouffées en laissant son regard dérivé. Les oiseaux s’agitaient autour de luijuste avant la tombée de la nuit. Il sentit quelque chose lui courir sur le ventre, il releva son Tshirt taché pour voir une fourmi se
balader entre ses poils. D’une pichenette, il envoya valser le pauvre insecte par delà la restanque. Il resta ensuite là à observer son bide blanc et gras.
Qu’estce que t’es gros mon gros.Une belle baleine blanche. Mobidick. Putain, ça craint.
Albert finit sa bière d’un trait. Il aspira une grosse bouffée sur sa cigarette avant de l’écraser dans l’herbe verte en recrachant un nuage gris tel un vieux diesel au démarrage. Il se redressanon sans effort, s’apercevant qu’il était quand même un peu bourré. La sieste n’avait ôté qu’en partie son grammage. Il était là, debout face au cabanon alors que l’obscurité tombaittout autour comme de la bruine. L’humidité devint palpable, Eugène en aurait presque put voler hors de son bocal. Il observa les vielles pierres, les tuiles vermoulues, le chêne et sa branche qui pendait audessus. Les souvenirs lui arrivèrent par wagons. D’abord ceux de son enfance. Son père en sueur devant le barbecue fumant, sa mère distribuant des assiettes en carton aux convives, l’odeurgrasse des saucisses qui vous collent à la peau comme si on vous l’aviez passé au pinceau,les sourires sur chaque visage, tonton Michel et son air goguenard, son frère et ses cousins qui couraient en braillant autour de la table. L’insouciance s’étiolant comme une fleur de pissenlit sousle souffle du temps. Puis l’adolescence. Les montées de la colline en vélo, pour venir se planquer là pour fumer leurs premières cigarettes en cachette. Gabi, Seb et lui. Tous ces secrets soufflés dans la nuit, toutes ces promesses de rien criées entre les quatre murs de pierre froides du cabanon, leur château, leur royaume.
Et puis il y’eut, bien plus tard, cette soiréeentre amis au bord d’un feu qu’ils avaient fait à même le sol devant le cabanon. Ils avaient grillés des marshmallow en buvant de la vodka. La petite copine de Sebétait venue accompagnée d’une amie, Julie. Albert avait fini complètement saoul, saoulau point d’avoirle courage de lui prendre ses doigts glacées dans sa paume tiède alors que la nuit les enveloppait, que la lueur des flammes dansait sur leur visage et dans leur regard. Ils s’embrassèrent du bout des lèvres, leur langue s’effleurèrent et jamais Albertne but lampée aussi délicieuse. Un feu d’artifice sousun ciel étoilé. Julie.
Julie…
 Albert jeta de toutes ses forces la canette vide qui se fracassa sur le mur du cabanon. Les oiseaux se turent un instant, le silence devint assourdissant jusqu’à ce qu’une chouette hulula dans le lointainet que les volatiles reprirenten chœurleur piaillement. Il était désormais là, seul comme un gland, avec pour seule compagnie sa peine et sa culpabilité.
Bon. Ben voilà. T’es comme une merde là. Soit tu chiales en position fœtal dans ton lit de camp merdique jusqu’au petit matin soit tu bouges.
Albert s’avança jusqu’à la porte du cabanon, il sentit des larmes lui rouler sur le groin. Il entra, appuya sur l’interrupteur et la lumière fut, lui brulant les rétines.
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