Vengeance
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Description

Bref roman de Raymond Colle. Santiago, 2008. " Le 11 septembre 1973, une junte militaire renversa le gouvernement promarxiste de Salvador Allende au Chili. Alors qu'Allende se suicidait et que
de nombreux dirigeants de partis de gauche se réfugiaient dans des
ambassades, les militaires commençaient une chasse aux sorcières qui dura des années et conduisit des milliers de militants, sympathisants et suspects de sympathie dans des stades convertis en prisons ou dans des prisons secrètes. Plus d'un millier perdirent la vie et disparurent dans des fosses clandestines ou jetés en mer. La responsable des détentions et disparitions fut dans un premier temps la Direction d'Intelligence Nacionales (DINA) dirigée par le coronel Contreras puis, après 1980, la Centrale Nationale d'Intelligence (CNI) chargée, celle-çi, de lutter contre les révolutionnaires dans la clandestinité. Ce bref roman fait allusion aux activités de la DINA et aux procès effectués après le retour à la démocratie en 1990. Les noms et faits cités, sauf quelques exceptions nécessaires pour maintenir le contexte historique, sont fictifs mais respectent l'esprit de la situation " (Raymonde Colle).

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Publié le 22 septembre 2011
Nombre de lectures 164
Langue Français

Extrait

Raymond Colle
Vengeance
Nouvelle
Santiago 2008
Le 11 septembre 1973, une junte militaire renversa le gouvernement pro-marxiste de Salvador Allende au Chili. Alors qu'Allende se suicidait et que de nombreux dirigeants de partis de gauche se réfugiaient dans des ambassades, les militaires commençaient une chasse aux sorcières qui dura des années et conduisit des milliers de militants, sympathisants et suspects de sympathie dans des stades convertis en prisons ou dans des prisons secrètes. Plus d'un millier perdirent la vie et disparurent dans des fosses clandestines ou jetés en mer. La responsable des détentions et disparitions fut dans un premier temps la Direction d'Intelligence Nacionales (DINA) dirigée par le coronel Contreras puis, après 1980, la Centrale Nationale d'Intelligence (CNI) chargée, celle-çi, de lutter contre les révolutionnaires dans la clandestinité. Ce bref roman fait allusion aux activités de la DINA et aux procès effectués après le retour à la démocratie en 1990. Les noms et faits cités, sauf quelques exceptions nécessaires pour maintenir le contexte historique, sont fictifs mais respectent l'esprit de la situation. L'impérieuse nécessité de protéger la vie de milliers de chiliens mena à créer fin 1973 un service oecuménique avec la participation des Eglises chrétiennes et de la communauté juive: le Comité Pour la Paix. Cette institution fut le premier pas pour la défense des droits humains sous le régime militaire. Ce fut le seul endroit où pouvaient se plaindre les personnes dont des familiers avaient été détenus ou persécutés. Le 31 décembre 1975, par exigence de Pinochet, ce Comité fut dissous, mais le 1er janvier 1976 commença à fonctionner la Vicarie de la Solidarité, de l'Archevêché de Santiago, qui repris et continua le travail du Comité Pour la Paix pour la défense de la vie et des droits humains. Le cardinal Raoul Silva n'accepta jamais de restreindre ses activités. En 1976 fut fermé officiellement le dernier centre de détention du régime, «Tres Alamos» et les derniers prisonniers politiques vivants retrouvèrent leur liberté. Mais beaucoup avaient disparu et leurs familles formèrent un groupement qui perdure jusqu'aujourd'hui. Le 1er décembre 1978 on découvrit les premiers cadavres de détenus-disparus dans des fours à
chaux de la localité de Lonquen, près de Santiago. C'étaient tous des paysans de la zone centrale.
Après le retour à la démocratie en 1990, le gouvernement de Patricio Aylwin chargea une commission de rechercher les noms et circonstances des disparus sous le régime militaire. Ce fut la Comission «Vérité et Réconciliation», qui présenta son rapport le 8 février 1991 et établit les noms d'un millier de personnes qui avaient été officiellement arrêtées et n'étaient plus reparues depuis. Un travail statistique montra que la DINA (Direction d'Intelligence Nacionale, la «gestapo» de Pinochet) était responsable de 300 disparus, les Carabiniers de 500, l'Armée de Terre de 120 et la Marine de pas plus de 10.
Avant d'abandonner le pouvoir, Pinochet avait dicté une loi d'amnistie qui couvrait tous les crimes commis entre 1973 et 1980. Elle valait autant pour les militaires et les membres de son service de sécurité -la DINA- que pour les groupuscules révolutionnaires qui avaient continué una lutte armée sourde et fort peu significative contre la dictature. Mais après le retour à la démocratie se formèrent divers groupes de défense des droits humains (entr'autres communistes!) qui niaient la valeur de cette loi et commencèrent de nombreux procès contre d'anciens militaires. Les tribunaux, dans la majorité des cas, acceptent que l'amnistie ne s'applique pas dans le cas des disparus «qui continuaient séquestrés», ce que tous savent une fiction juridique.
Les bureaux de l'Ecole de Journalisme de l'Université Saint-Jérôme formaient un ensemble que ses occupants appelaient humoristiquement le «sous-marin», car toutes ses portes -peintes en bleu-marine- se trouvaient des deux côtés d'un étroit et long couloir. Quand le professeur Horacio Novoa arriva ce matin d'un vendredi à son bureau, au fond du couloir, et alluma son ordinateur, il y trouva un e-mail plutôt bizarre. Le «Sujet» disait "R16 W5" et il n'y avait pas d'autre texte. Novoa reconnut inmédiatement ce code, qui était celui qu'utilisait l'université pour indiquer les salles et les heures de cours. «R16» signifait salle rouge nº16 et «W5» signifait mercredi, module 5, c'est-à-dire à 15 heures. L'expéditeur du message était "abcde@gmail.com": cela pouvait être n'importe qui. Novoa consulta l'occupation des salles: il n'y avait aucun cours programmé le mercredi à 15 heures à la salle R16. Elle était libre depuis 13 heures 30 jusqu'à 16 heures 30. ¿Devrait-il se passer quelque chose à 15 heures? Le mercredi suivant?
Comme ce vendredi il avait cours à 11 heures 30 (module 3) avec ses élèves d'Atelier de Recherches Journalistiques, il reçut et commenta les travaux apportés par les élèves. Ensuite il leur donna une nouvelle tâche pour le vendredi suivant: décrire le fait le plus important qu'il observeraient le mercredi suivant dans l'après-midi à l'université. Il ne leur donna aucune autre piste. L'objet de l'Atelier était de les entraîner à mettre le nez partout. Tous trouveraient bien quelque chose à dire. Et il aurait des témoins s'il se passait quelque chose d'anormal à la salle R16.
Ainsi, le mercredi en question, le professeur se rendit lui-même à 15 heures à la salle indiquée. En s'en approchant, il vit un groupe d'élèves discutant et s'agitant devant la porte. Il y avait quelques uns de ses propres élèves mais aussi des autres, de diverses facultés. Son assistant, Alberto Jerez, était aussi là et il l'appela.
- Que se passe-t'il ici? demanda-t'il. - C'est terrible, m'sieur. C'est le professeur Oscar Pérez: il semble qu'il s'est suicidé dans cette salle. Il pend d'un des lustres.
Novoa s'ouvrit un passage entre les étudiant et entra dans la salle. Il y avait aussi quelques élèves à l'intérieur, qui regardaient le corps inerte d'Oscar Pérez, pendant au centre de la salle. Sous lui, une chaise renversée.
- Qui est arrivé le premier? demanda Novoa. - C'est moi, répondit Andrea Tobar, une élève de son Atelier. Je me promenais par le secteur rouge pour faire le travail que vous nous aviez indiqué. J'ai vu la porte entr'ouverte et j'ai jeté un coup d'oeil à l'intérieur. J'ai vu le professeur pendu et j'ai appelé mes compagnons qui étaient près d'ici. - Quelle heure était-il? - Il n'y a pas plus de cinq minutes. Nous discutions ce qu'il fallait faire lorsque vous êtes arrivé. - Bien. Il est évident qu'il faut alerter la police. Jerez, allez au secrétariat et appelez la  Police judiciaire, au 134. Tous les autres, sortez de la salle! Quelqu'un a-t'il touché à quelque chose? Tous niairent de la tête. - Tobar: allez avertir l'administrateur de salles et dites lui ce qui s'est passé. Qu'il vienne fermer cette salle jusqu'à ce qu'arrive la police. Revenez ensuite et attendez ici. Puisque vous avez été la première à découvrir le corps, il vous faudra informer les détectives. Je resterai ici entre temps pour qu'on ne touche à rien.
*
Le chef m'avait téléphoné hier. J'avais tout de suite reconnu sa voix. - Demain commence la danse, me dit-il. Oscar Pérez se trouvera dans la salle R16 de l'Université Saint-Jérôme à une heure et demie. La salle sera vide jusqu'à quatre heures et demie. Rencontre-le et fait que cela paraisse un suicide. Aujourd'hui on lui a dit qu'on supprimerait toutes ses classes, ce qui est un bon motif de dépression. Tu es un artiste et tu le déprimeras un peu plus! Je compte su toi.
Le chef ne me donna pas l'occasion de répondre et cela n'avait aucune importance. Il y avait longtemps que nous voulions nous venger de ces ingrats. Ainsi donc, aujourd'hui je me mis à surveiller la porte R16. Quand Pérez entra, je le suivis et je lui tirai un dard paralysant dans la jambe. Ces pistolets ne se vendent pas au Chili et on ne les obtient, avec difficulté, qu'aux Etats-Unis. Mais «la maison» en avait obtenu plusieurs grâce à ses contacts et j'en gardai un après la fin du régime.
Pérez se retourna lorsqu'il sentit le dard et me vit mais il ne put sauter sur moi comme il semblait vouloir le faire car sa jambe ne répondait plus. Quelques secondes plus tard, il était inconscient. Je fermai la porte de l'intérieur. Je sortis de ma poche le petit étui avec une seringue pleine de coagulant y le lui injectai. Cette dose bloquerait rapidement son coeur. J'aurais pu laisser la seringue dans sa main et cela aurait été suffisant pour démontrer un suicide, car j'avais eu le soin de me mettre des gants. Mais je vis qu'une longue extension électrique était enroulée au pied de l'estrade et il me sembla plus spectaculaire d'employer ce cable pour le pendre. Je le pris et le lançai par dessus l'un des lustres de tubes fluorescents. Je m'assurai qu'il résisterait au poids, fis un noeud coulant, le passai au cou de Pérez et je le hissai. Pour terminer la scène, je renversai une chaise, sous lui. Je m'en fus à la porte, vérifiai que personne ne passait et partis d'un bon pas. Voilà un premier avertissement pour les journalistes-chasseurs! Et du travail pour la police, s'ils y voyaient quelque chose!
*
L'équipe de la Police Judiciaire arriva rapidement. Novoa informa brièvement de ce qu'il savait et présenta l'élève qui avait découvert le cadavre. Un agent resta avec elle pour l'interroger. L'administrateur ouvrit la salle et d'autres détectives entrèrent pour examiner le corps et tout ce qui l'entourait. Ils prirent de nombreuses photos et cherchèrent des empreintes sur les chaises proches du mort et sur la porte. Mais avec la quantité d'élèves qui passaient par ce genre de salle, elles ne serviraient sûrement pas à grand chose. On examina aussi l'extension électrique qui avait servi à pendre Pérez. Selon l'administrateur, elle devait avoir été oubliée là après le cours de 11h30 où l'on avait employé un projecteur. Le professeur Pérez pouvait être arrivé à n'importe quel moment après 13h, lorsque cette classe s'était terminée. Le cadavre n'était pas encore rigide, ce qui signifiait que la mort était fort récente.
Le commissaire Víctor Ortiz, chargé de l'équipe de la PJ qui était arrivée, examina le corps de plus près. Son attention fut attirée par la main gauche du mort: il lui manquait une phalange du petit doigt, mais la blessure ne saignait pas. Si Pérez s'était coupé ce jour là, pourquoi le portait-il pas de bandage? Il l'avait enlevé avant de se pendre... ou «on» le lui avait enlevé? Cela pouvait ne pas être un suicide?
A quatre heures, le campus foisonnait déjà de journalistes de presse, radio et télévision qui étaient à la chasse des élèves qui avaient pu voir le cadavre ou être près de la salle R16 lors des faits. Les reporters bloquaient aussi le couloir où était la salle, mais la police les obligea a s'en retirer.
L'étude de la scène terminée, le corps fut retiré et envoyé à l'Institut Médico-Légal pour l'autopsie de rigueur. Les policiers s'en furent à l'Ecole de Journalisme pour interroger les collègues du défunt qui l'auraient vu ce jour là. Mais la réceptionniste était la seule qui l'avait vu. Elle déclara que le professeur était arrivé vers onze heures et était resté dans son bureau jusqu'à l'heure de dîner. Elle le vit sortir peu après treize heures et il n'était pas revenu. Elle donna aussi son adresse aux agents. Elle répéta la même chose aux journalistes qui ne tardèrent pas à venir poser les mêmes questions et d'autres, beaucoup plus indiscrètes.
Entre temps, Novoa était retourné discrètement à son bureau. Comme l'ex-épouse de Pérez travaillait à la même université -elle était professeur de l'Ecole de Psychologie- il pensa qu'il serait convenable de l'avertir avant que la nouvelle ne lui arrive par les élèves ou par la police. Il marqua l'annexe téléphonique de cette Ecole et demanda à parler à Clara Estrada, l'ex de Pérez. Mais la secrétaire lui répondit qu'elle faisait cours jusqu'à dix-huit heures. Novoa laissa un message pour qu'Estrada le rappelle, mais elle ne le fit pas.
Un des détectives s'était réuni avec Josefa Barros, la directrice de Journalisme. - C'est ma faute, dit-elle. J'ai dû lui dire hier qu'il serait expulsé de l'université à la fin du semestre. Cela a dû augmenté sa dépression, car il n'allait pas bien, et il a dû prendre la décision de se suicider. Comme je le lamente! - Pourquoi allait-il être expulsé? demanda l'agent. - Il était alcoolique. L'année passée, il avait eu un congé médical pour se soumettre à une cure de désintoxication. Il y a un mois, il apporta une nouvelle prescription pour obtenir un nouveau congé, mais elle était clairement falsifiée. Elle était de l'an passé, et il avait corrigé la date. J'ai dû avertir l'administration centrale et elle n'est pas tendre dans ce genre de cas. Cette conduite n'est pas tolérable ici. L'expulsion est la pire mesure que l'on puisse prendre, car il ne pourrait plus enseigner nulle part. La
seule concession que j'ai obtenu est qu'il pourrait terminer le semestre pour ne pas causer de préjudice aux élèves. Cela a dû être très dur pour lui, mais ce qu'il a tenté de faire à été une vraie folie. - Je ne crois pas, donc, que ce soit votre faute. Ni de l'université. De plus il faudra attendre les résultats de l'autopsie. - Vous croyez que ce n'était pas un suicide? - Je ne puis le dire. Mais il me semble qu'il y a quelque chose de bizarre et je préfère maintenir tous les doutes. Je vous maintiendrai au courant si je puis vous tranquiliser.
Pendant ce temps, un autre détective s'était rendu au bureau de Novoa, qui avait commenté au commissaire Ortiz que c'était un e-mail qui l'avait porté à aller voir ce qui se passait à la salle R16 ce jour-là. L'agent découvrit le numéro IP de l'ordinateur duquel le message avait été envoyé. Il correspondait à un cybercafé de l'avenue Irrarazaval, non loin de l'université. Il avait été envoyé le jeudi précédent a 21h17. Le cybercafé fermait a 22heures. Le propriétaire était de ceux qui préféraient prendre des précautions vu les délits qui commençaient à apparaître par Internet. Il annotait donc le nom et numéro d'identité de ses clients avec les heures d'entrée et de sortie et le numéro de l'ordinateur utilisé. Celui qui intéressait la police avait été utilisé par un nommé José Mardones et son numéro d'identité était faux. On emporta la machine au laboratoire de la PJ pour analyser le disque dur mais on ne trouva aucune trace de l'opération. Le sujet savait ce qu'il fallait faire pour ne pas laisser de trace. Les empreintes sur le clavier ne servaient à rien: beaucoup d'autres personnes l'avaient utilisé depuis.
Le lendemain, le commissaire Ortiz revint à l'Ecole et, après avoir parlé avec Josefa Barros, la directrice, se rendit au bureau d'Horacio Novoa. - Je crois nécessaire de vous dire que le professeur Pérez ne s'est pas suicidé. Le légiste a découvert qu'on lui avec injecté un anesthésique, comme celui qu'on utilise pour chasser des animaux, et ensuite un fort coagulant qui lui causa un blocage complet des artères et du coeur. Nous pensons que le petit doigt lui a été coupé après cela, ce qui explique qu'il ne saignait pas. Nous croyons aussi que tout s'est passé dans la même salle. Personne n'aurait trouvé étrange qu'elle soit fermée pendant ce module où il n'y avait pas cours. Nous supposons aussi qu'il a été attaqué par deux personnes et qu'il devait les connaître car il n'y a aucune trace de résistance. A moins qu'on ne lui aie tiré un dard, comme à un animal. La directrice m'a dit que vous étiez amis. Lui connaissiez-vous des ennemis? - Être ami est peut-être un peu exagéré. Il y a quelques années nous avons tenté de monter ensemble une petite entreprise mais elle ne dura pas plus d'un an faute de clients. Ensuite nous nous sommes un peu distancés bien que nous maintenions des relations cordiales ici à l'Ecole. Quant à des ennemis, il est possible qu'il en ait eu. C'était un homme à charactère fort et, selon ce que j'ai su, il avait été assez violent dans sa jeunesse. Sa femme, ou plutôt son ex-épouse, pourrait vous en dire plus. - Nous ne savions pas qu'il était séparé ou divorcé. Où la trouverions-nous? - Elle est professeur de l'Ecole de Psychologie, ici-même, dans le secteur nord de l'université. Vous la trouverez là-bas. Elle s'appelle Clara Estrada. Pérez semblait célibataire et vivait seul. Les voisins de son domicile disent qu'une -femme venait de temps en temps mais ne savent ni son nom ni son degré de parenté, s'il existe. Nous n'avons pas pu trouver de frères ni de parents. - Il n'avait pas de frère et ses parents sont morts il y a quelques années. Quant à la femme, je crois qu'il cultivait une nouvelle relation amoureuse. Il avait formulé quelques indirectes à ce sujet mais sans jamais donner de précisions. - Avait-il des relations plus étroites avec d'autres professeurs?  - Je crois qu'il était resté en très bons termes avec un journaliste de La Tercera qui faisait aussi cours à l'Université du Chili et fut le troisième associé de notre brève
entreprise. Il s'appelle Hugo Baga. - J'irai le voir. Et nous tenterons de trouver la piste de la femme. Et ici, à l'université, il n'avait pas d'autres relations? - Celles de tout professeur: conversations de travail à l'Ecole et petits potins en prenant un café au quiosque de la cour centrale.
Quand Clara Estrada arriva à son bureau, après sa première classe, le commissaire Ortiz l'attendait. Après s'être présenté, il demanda - Vous savez ce qui s'est passé hier dans le campus?  - Vous faites allusion à la mort d'un professeur. Qui, par hasard, était mon ex-mari. Je l'ai su par les élèves. La nouvelle s'est vite répandue. - En effet: le professeur Oscar Pérez a été trouvé pendu dans la salle R16. C'était une surprise pour vous ou vous vous y attendiez? - Impossible de vous répondre. Il a deux ans que je ne l'ai plus vu. Depuis l'audience où fut déclaré notre divorce, ou plutôt notre nullité, vu que le divorce n'était pas encore légal. - Et vous n'avez plus eu de relation avec lui? - Aucune. - Mais vous aviez des enfants? Il n'allait pas les voir? - Nous avons deux enfants, mais il ne venait pas chez moi pour les voir. Ce sont des adolescents et ils allaient chez lui ou bien n'importe où il les invitait. - Il vivait seul?  - Je ne le crois pas. Nous nous sommes séparés parce qu'il y avait une autre femme. Il passait souvent des nuits dehors et il était clair qu'il couchait avec quelqu'un d'autre. Il vivait peut-être maintenant avec elle. - Vos enfants n'en disaient rien? - Je ne voulais rien en savoir et ils ne faisaient aucun commentaire. - Vous saviez où il habitait? - A ce que je sais, dans un petit appartement de l'avenue Ossa, mais je ne sais pas le  numéro. Je peux le demander à mon fils. - Ce ne sera pas nécessaire. L'Ecole de Journalisme nous a donné son adresse.
Sans plus de question, le détective prit congé de l'enseignante.
Le vendredi matin se réalisaient les funérailles du défunt. La chapelle du campus, qui était pourtant fort grande, ne contenait qu'avec difficulté la multitude qui était arrivée pour y assister. En plus de la famille étaient présentes les autorités de l'université, de la faculté et de l'école, les collègues enseignants, les anciens collègues journalistes et, apparemment, beaucoup d'amis. Les détectives ne manquaient pas non plus, observant tous les présents, se faisant passer pour des amis ou curieux et l'un même pour photographe de presse, afin de vérifier l'identité des assistants.
La cérémonie, officiée par le chapelain de l'institution, fut simple et se termina par une élégie funèbre prononcée par Silvia Morelli, la doyenne de la Faculté de Lettres, de laquelle dépendait l'Ecole de Journalisme. Elle-même avait été auparavent directrice de cette Ecole. Elle fit un bref résumé de la vie du disparu. Il était né dans la ville côtière de San Antonio, où son père exerçait la médecine. Il avait étudié la primaire et le secondaire à l'Institut du Port, avant de faire le service militaire au Régiment d'Infanterie de San Bernardo. Il avait commencé à travailler pour le programme de Promotion Populaire, durante le gouvernement de Frei Montalva, avant l'avènement d'Allende, puis pour une petite ONG durant l'Unité Populaire. Après le coup d'état de Pinochet, il était entré comme professeur à l'Université Saint-Jérôme. Au retour de la démocratie, il avait écrit, en collaboration avec deux autres collègues,
un livre sur la période de la dictature. Il y avait dix ans qu'il enseignait les techniques de la radio et l'actualité nationale. Il avait été membre du Conseil de l'Ecole durant plusieurs années et membre de la commission qui avait reformulé le programme de son enseignement en 1984. Elle loua sa franchise et son humour et passa sous silence sa rudesse lorsque quelque chose lui déplaisait et sa future expulsion.
Un élève fit aussi une petite présentation, parsemée d'anecdotes propres de ses classes. Le commissaire Ortiz en prit bonne note. Il y avait là du matériel «intéressant». Après les discours et l'absoute, le corbillard et de nombreux autres véhicules partirent vers le Parc du Souvenir, où le défunt serait sépulté.
Le lundi suivant, la doyenne appela Horacio Novoa à peine il arrivait à son bureau. - J'ai appris que Pérez ne s'est pas suicidé, dit-elle. Vous avez travaillé ensemble hors de l'université. Vous croyez qu'il avait un ennemi tel qu'il aie pu avoir le désir de l'assassiner? - Je ne crois pas que cela aie une quelconque relation avec l'entreprise que nous avons eue, pas plus qu'avec nos travaux à l'université, bien que plusieurs projets tournèrent mal. Mais rappelez-vous qu'il a ennuyé bien des gens lorsqu'il publia «Le pouvoir de la dictature» avec ses amis Espinoza et Coloma. A trois, ils sont responsables de ce que plusieurs anciens membres des services de sécurité de Pinochet sont maintenant en prison. - S'ils sont en prison, ils ne peuvent l'avoir tué.  - Et vous croyez que tout leur réseau a été identifié et annulé? Personne ne les connait tous et on est loin d'avoir imité leur propre forme de répression. Seuls les chefs ont été identifiés. La loyauté est très forte entre anciens militaires et plus encore entre ceux-là. - Bon. C'est l'affaire de la Police Judiciaire et pas la nôtre. Il y a autre chose dont je voulais vous parler. J'ai lu votre rapport sur le projet de post-grade en recherche journalistique. Il y a un détail qui ne me plait pas du tout: vous signalez qu'on n'a pas utilisé l'ordinateur qu'a donné l'UNESCO pour ce projet. Je veux que vous retiriez cette information. - Mais je dois rendre compte de toutes les ressources obtenues et utilisées. Cet ordinateur n'a pas été utilisé dans ce projet. C'est vous qui l'employez! - Et alors? Il est utilisé, et c'est tout ce qui importe! - Je vous enverrai une diskette avec le rapport. Modifiez ce que vous voulez, mais moi je ne change pas ma version. - D'accord. Mais ne me mettez pas des bâtons dans les roues. Je pourrais vous compliquer la vie, tant ici comme ailleurs! Et, sans plus, elle renvoya Novoa.
Il était 11h30, heure du traditionnel café au quiosque de la cour centrale. Les professeurs se réunissaient en petits groupes, généralement en fonction de leur Ecole. La mort de Pérez était encore le thème du jour, surtout à cause de l'abandon de l'hypothèse du suicide, dont la nouvelle courrait de bouche à oreille. Plusieurs collègues interrogèrent Novoa à ce sujet, mais il répondit la même chose qu'à la doyenne. Il ne parla à personne du courrier électronique, qui continuait à l'ennuyer. Pourquoi l'avait-on avertit?
Le jeudi suivant devait avoir lieu une réunion du Conseil de l'Ecole à laquelle avaient été convoqués de façon extraordinaire tous les professeurs full-time. Normalement, il n'y en avait que deux à participer au Conseil, élus par leurs pairs. La doyenne de la Faculté voulait discuter le nouveau programme d'études. Le programme existant avait été le fruit d'une étude détaillée et justifiée du processus de la communication sociale
auquel participaient les journalistes et contenait une forte ligne d'enseignement en théorie de la communication, méthodes d'investigation et d'analyse d'information. Mais si, lors de la formulation de ce programme, les professeurs tenant de cette ligne étaient la majorité et comptaient avec l'appui du directeur de l'époque, il n'en était plus de même à présent. Il y avait de fait deux «factions» clairement opposées dans l'Ecole: les «théoriciens» -partisans de ce type de formation- et les «pragmatiques», partisans de la formation de reporters plus préoccupés du jour-le-jour et de la publication des nouvelles, sans s'occuper trop du processus social.
La discussion fut très dure pendant la réunion, chaque secteur défendant ardemment sa position. Durant les années où avait été dicté le programme existant s'étaient développés les ordinateurs personnels et alors que les «pragmatiques» les considéraient comme de simples remplaçants des machines à écrire, les «théoriciens», comme les professeurs Horacio Novoa et Pablo Espinoza, visualisaient tout le pouvoir des bases de données et des analyses plus avancées que permettraient les nouveaux systèmes de documentation numériques. La World Wide Web n'était pas encore née et seuls quelques initiés connaissaient les Bulletin Boards, bien que tous les professeurs avaient officiellement une adresse de e-mail dans le système central de l'université, mais peu l'utilisaient. Ainsi, les arguments favorables aux nouvelles technologies, à l'accumulation numérique et au traitement analytique n'eurent aucun écho entre les «pragmatiques», qui attendaient de voir ce que feraient les moyens de presse, au lieu d'être un guide pour ceux-çi. La thèse de la doyenne et de la directrice, «gens du terrain», l'emporta. Le cours de Théorie de la Communication fut réduit à un semestre et les cours de Traitement et d'Analyse de l'Information furent éliminés. En échange, on augmenta les cours de rédaction et d'édition ainsi que les ateliers pratiques. On formerait de «vrais journalistes» et non plus des «communicateurs» polyvalents.
Vendredi matin. Quand Horacio Novoa alluma su ordinateur, il trouva un nouveau e-mail de abcde@gmail.com. Cette fois le Sujet annonçait "P.Ferrer 3124 17.30". Ce devait être une adresse et une heure. En effet, Pedro Ferrer était le nom d'une rue proche de l'université et le numéro 3124 était à deux rues de distance. Novoa passait par là tous les jours en allant et venant de chez lui et savait que c'était l'adresse de Pablo Espinoza, un collègue qui était professeur à mi-temps de la même Ecole. "17.30" devait être une heure. Comme on ne signalait pas de date, il pensa que ce devait être ce même jour et décida donc d'aller voir à cette heure ce qui se passerait chez Espinoza, si c'était bien ce qu'on prétendait lui faire savoir.
En arrivant, il vit une ambulance devant le domicile et aussi une patrouille de carabiniers. Ils introduisaient une civière dans l'ambulance, qui partit en activant sa sirène. Quelques voisins observaient aussi. Novoa s'approcha d'eux et demanda ce qui s'était passé. - J'ai entendu des cris puis deux coups de feu. Ensuite une auto partit à toute allure. Je suis sorti et j'ai vu que la porte d'Espinoza était ouverte. En m'approchant je l'ai vu couché par terre. J'ai appelé tout de suite le 911 -lui explica le voisin.
Novoa s'approcha du lieutenant qui sortait en ce moment de la maison d'Espinoza et se présenta. - Je suis un collègue de Mr.Espinoza à l'Université Saint-Jérôme. Il serait peut-être bon que vous sachiez que la semaine passée un autre de nos collègues a été assassiné. L'investigation est à charge du commissaire Ortiz de la PJ. Mr.Espinoza est mort? - Il respirait encore lorsqu'on l'a mis dans l'ambulance mais je doute qu'il se sauve. Vous comprendrez que je ne puis dire plus. Vous passiez par ici par hasard?
- Non. J'ai reçu un e-mail anonyme me disant que quelque chose se passerait ici a 17h30. De la même façon que je fus averti de ce qu'il arriverait quelque chose le jour où l'autre professeur est mort. - C'est très bizarre. Nous devrons échanger nos informations avec la PJ. Vous savez où nous pouvons toucher la femme de Mr.Espinoza? Sa femme? Mais il est célibataire! -- Pourtant nous avons trouvé des vêtements et des cosmétiques de femme dans la chambre principale. Il ne vivait donc pas seul. - Je ne sais rien de cela. Il n'en a jamais rien commenté à l'université. - Alors nous devrons laisser un agent de garde au cas où elle reviendrait. A moins que ce ne soit elle qui aie tiré. Auquel cas elle ne reviendra évidemment pas. Vous me donnez vos coordonnées, s'il vous plait? Il faudra sûrement qu'un de nos inspecteurs aille parler plus à fond avec vous.
*
Hier matin on m'avait appelé de nouveau. La voix du «chef» me demanda si j'étais libre le vendredi après-midi. Je lui dis que oui. - Alors, il y a un autre petit travail pour toi. Pour cinq heures. Tu vas chez Pablo Espinoza, qui vit au 3124 de la rue Pedro Ferrer, près de l'université. Tu t'arranges pour entrer un peu avant, pour l'attendre: il ne tardera pas. Tu parles un peu avec lui du bon vieux temps. Il sera un peu surpris et sûrement pas fort aimable. Tu lui tires deux balles bien placées et tu files. - Des coups de feu? Ce n'est pas un peu bruyant? Je n'ai pas de silencieux! - Cela ne fait rien. Ils savent déjà que Pérez ne s'est pas suicidé, alors cela n'a plus d'importance. Ils commenceront peut-être à faire un lien avec le livre. Garde le pistolet: tu en auras encore besoin. Mais ne laisse aucune piste. Tu sais comment faire.
Et il coupa. Je n'avais aucun inconvénient. C'était l'un de ceux que nous espérions depuis longtemps faire disparaître, après leurs absurdes accusations. Je partis à quatre heures et demie. J'ouvris sans problème la porte d'Espinoza. On m'avait enseigné bien des trucs à la DINA. Je m'installai dans un fauteuil du living, face à la porte. Il ne me verrait pas en entrant de la rue: cela n'aurait pas été prudent. Mais il me verrait en se tournant dans le vestibule. Il arriva à cinq heures comme prévu. Je ne savais pas comment mon chef s'arrangeait pour m'envoyer les victimes, mais ce n'était pas mon affaire.
Toi ici! s'écria-t'il, furieux, quand il me vit. Qu'est-ce que tu me veux? -- Je t'attendais, comme tu vois. Il fait bon chez toi. Tu as de la chance. Pas comme mes amis. Tu as une dette envers eux et je viens la réclamer. - Tu ne sais pas que les temps de la DINA sont finis depuis longtemps? Il y a maintenant un état de droit! - De droit? Dis plutôt de gauche! Et la DINA ne laisse pas son travail sans le terminer.
Il voulut se lancer sur moi, mais j'étais plus rapide et mon arme était préparée. On avait parlé plus qu'assez. Une balle dans la poitrine et une autre dans la tête. Sans remède possible. S'il n'était pas mort, il ne durerait pas plus de quelques minutes. Je sortis au plus vite, sans fermer la porte. Je n'aime pas de faire si vite. Quand on ôte la vie à quelqu'un, il faut le faire avec calme pour en jouir. Mais, cette fois, je n'avais pas le temps. Je montai dans l'auto que j'avais laissée en face et m'en fus à vive allure. J'avais mis de la boue sur la plaque arrière, au cas où quelqu'un eut voulu la noter.
*
Le jour suivant, samedi, Novoa était dans son appartement lorsqu'il entendit la sonnette, peu après onze heures du matin. C'était le commissaire Ortiz. - Ainsi que vous avez de nouveau presque été le témoin d'un autre assassinat? demanda-t'il. - Assassinat? Alors, Espinoza est mort? - Dans l'ambulance qui l'emmenait. Un autre de vos collègues! Celle-çi n'est pas la seule coïncidence, vu qu'il est aussi auteur du «Pouvoir de la dictature», n'est-ce pas? Et de plus, le lieutenant des carabiniers qui l'a trouvé m'a dit que vous aviez aussi été averti par e-mail. Du même expéditeur? - Du même, hier matin. Il me donnait l'adresse d'Espinoza et l'heure: 17h30. On l'emmenait lorsque je suis arrivé. - Et vous n'avez rien fait après avoir reçu le message? - J'ai tenté de prévenir mon collègue, mais il était en réunion à son journal, à ce que me dit la secrétaire, et elle ne voulut pas me le passer. J'ai demandé qu'il me rappelle, mais il ne l'a pas fait. C'est explicable, car nous n'étions pas en très bon termes. Je l'avais mis en ridicule lorsque j'ai commencé à faire cours à l'Ecole de Journalisme. - Que s'est-il passé? - Comme j'étais chargé de l'Atelier de Recherche Journalistique, dans une conférence publique j'ai cité le cas d'une recherche qui avait été très mal menée par son journal et très bien résolue par un autre. Et il se fit qu'il était le responsable de la mauvaise. Je ne le savais pas, car l'article paru n'était pas signé. Il m'en voulait depuis et me saluait à peine lorsque nous nous croisions. - Donc, vous ne le connaissiez pas fort non plus? Vous ne pouvez rien me dire d'utile sur lui? Vous ne savez rien de la femme qui vivait avec lui? - Rien. Je ne crois pas pouvoir vous aider. La femme n'est pas apparue? - Non. Je crois savoir qu'il y a eu une forte discussion au Conseil de votre Ecole il y a peu. Et qu'Espinoza fut assez mal traité. Comme vous, semble-t'il. Il y avait des gens très fâchés avec lui à cette réunion? - Vous voulez dire que l'un de nos collègues aurait pu être capable d'un assassinat simplement parce qu'il n'était pas d'accord sur le nouveau programme de cours? Vous êtes fou! - D'accord. Je crois que je ne peux rien vous demander de plus pour le moment.  L'expert en informatique ira vous voir lundi pour étudier l'e-mail et chercher l'adresse IP de l'envoi. Vous serez là? - J'ai cours de dix à treize heures. S'il peut aller l'après-midi, ce serait mieux. D'accord alors. -
Le lundi après-midi, le détective de la brigade d'informatique vint vérifier les mails de Novoa. Le dernier message de abcde@gmail.com avait été envoyé la veille de sa réception, aux environs de neuf heures du soir. L'adresse IP renvoyait à l'adresse d'un cybercafé de la rue San Pablo. Notre correspondant se déplace donc, dit le détective. Nous devrons visiter ce local. -
Le cybercafé fermait aussi à dix heures du soir. Le propriétaire ne prenait aucune note de ses clients, sauf le numéro de la machine et l'heure où elle était occupée. Le détective lui recommenda d'exiger la carte d'identité et d'annoter aussi le nom et numéro, sans quoi il pourrait être acusé de complicité dans des délits informatiques. L'usager qui avait envoyé l'e-mail a Novoa n'avait laissé aucune trace dans la machine utilisée. Il n'était resté que cinq minutes et avait payé pour une demi-heure, ce qui était le minimum. Puis il avait disparu. Le patron ne l'avait jamais vu auparavent et ne put donner aucun détail: il confondait l'aspect de tous ses clients, sauf quelques adolescents des environs qui venaient jouer presque tous les jours. Il n'y avait donc là
aucune piste.
Quelques jours passèrent et Horacio Novoa trouva à nouveau un message cryptique. Il disait uniquement «Avenue de la Mer 325». Cela devait être dans une ville côtière ou une station balnéaire, mais on ne disait pas laquelle. Il n'y avait ni date ni heure cette fois. Novoa téléphona au commissaire Ortiz et lui transmit le message. Mais il ne lui servait à rien, puisqu'il ne savait ni où ni qui serait impliqué.
*
Le chef m'appela de nouveau. - C'est le tour du troisième, me dit-il. Coloma a une maison de vacances à Algarrobo. C'est à l' Avenue de la Mer, au 325. Tu y vas demain. Il sera là l'après-midi, seul. Tu le liquide avec le même pistolet qu'Espinoza et tu lui coupes trois doigts. Tu y laisses le pistolet, bien propre évidemment, puis tu brûles le tout. Cela retardera l'identification, mais le pistolet pourra lier cette affaire à celle d'Espinoza. Le moment est venu qu'ils découvrent que «Le pouvoir de la dictature», comme il l'on appelé, n'est pas mort et continue à traquer les rouges embêtants. Après, nous resterons tranquilles pour un bout de temps. Tu peux même quitter le pays si tu veux. Le général pensera peut-être plus tard à autre chose, quand tout se sera calmé.
Je suis donc parti à Algarrobo. Je trouvai Coloma dans la cuisine. Je ne lui laissai pas le temps de parler et je le liquidai d'une balle dans la tête. Je le portai à sa chambre où je le couchai comme un brave gamin. Je lui mis le pistolet à son côté puis lui tranchai trois doigts, comme on me l'avait ordonné, sans me poser de question à ce sujet: le chef avait ses raisons. Je m'en fus chercher un bidon de pétrole que j'avais laissé dehors, près de la porte, et je versai le tout dans la chambre. Ensuite j'allumai un morceau de bougie et je le mis au sol. Il mettrait une demi-heure à brûler avant d'enflammer le pétrole. Cela me laissait le temps de m'en aller calmement. J'aime mieux ça. Du travail bien fait, propre, sans se presser.
Le jour suivant je fis ma valise et j'abandonnai le petit appartement que j'occupais à Santiago. Je dis au portier que je m'en allais en voyage pour plusieurs semaines. Le loyer était payé. Je pris la camionette que j'avais volée et je partis pour Iquique où je pourrais la vendre sans problème. Comme la route était longue, je passai la nuit dans un petit hotel de Caldera. A Iquique, je me rendis dans un atelier qui achetait des véhicules volés pour les faire passer en fraude en Bolivie et j'échangeai la camionette pour une 4x4, probablement aussi volée, et j'attendis la soirée. Je pris alors la route de la Bolivie, mais je pris une déviation peu avant la frontière, suivant la route des contrebandiers, pour aller à Oruro. Là, je remis la 4x4 à l'adresse qu'on m'avait donné à Iquique et j'achetai un billet aérien pour Santa Cruz de la Sierra, dans la partie de la Bolivie proche du Paraguay. Je jouis d'une semaine de plein luxe dans le meilleur hôtel de Santa Cruz. La carte de crédit Platinum que m'avait fait parvenir mon chef à Santiago faisait des miracles. Je pris ensuite un vol pour Asuncion, au Paraguay. Je pouvais m'y perdre, ou bien continuer vers le Brésil, pour profiter de ses plages. Qui reconnaîtrait Ricardo Planalto, mon nouveau nom?
Je me souvins des jours où nous avions connu les trois types que j'avais liquidés. Je travaillais pour la DINA, au local de la rue José Domingo Cañas et j'allais souvent avec le chef au Bar Suisse de l'avenue Irrarazaval. Nous montions à l'étage et nous commandions ses fameuses gosettes au fromage, que nous consommions accompagnées de bière Escudo, à l'une des longues tables. Nous rencontrions souvent, les jeudis, un même groupe de quatre personnes qui mangeaient et buvaient la même chose que nous à la même table. En les entendant parler, nous nous
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