Lettre du 6 novembre 1675 (Sévigné)
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Description

Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné
Lettres de Madame de Sévigné,
de sa famille et de ses amis
Hachette, 1862 (pp. 213-220).
465. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À MADAME ET À MONSIEUR DE GRIGNAN.
À MADAME DE GRIGNAN.
QUelle lettre, ma très-bonne : quels remerciements ne vous dois-je point d’avoir
employé votre main, vos yeux, votre tête, votre temps à me composer un aussi
aimable livre ! Je l’ai lu et relu, et le relirai encore avec bien du plaisir et bien de
l’attention : il n’y a nulle lecture où je puisse prendre plus d’intérêt ; vous contentez
ma curiosité sur tout ce que je souhaitois et j’admire votre soin à me faire des
réponses si ponctuelles : cela fait une conversation toute réglée et très-délicieuse :
mais, ma bonne, en vérité, ne vous tuez pas : cette crainte me fait renoncer au
plaisir d’avoir souvent de pareils divertissements.Vous ne sauriez douter qu’il n’y ait
bien de la générosité dans le soin que je prends de vous ménager sur l’écriture. Je
comprends avec plaisir la considération de M. de Grignan dans la Provence, après
ce que j’ai vu. C’est un agrément que vous ne sentez plus : vous êtes trop
accoutumés d’être honorés et aimés dans une province où l’on commande.
Si vous voyiez l’horreur, la détestation, la haine qu’on 1675a ailleurs pour le
[1]gouverneur, vous sentiriez la douceur d’être adorée partout . Quels affronts !
quelles injures ! quelles menaces ! quels reproches, avec de bonnes pierres qui
volent autour d’eux ! Je ne crois pas que M. de ...

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Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis Hachette, 1862(pp. 213-220).
465. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME ET À MONSIEUR DE GRIGNAN.
À MADAME DE GRIGNAN.
QUelle lettre, ma très-bonne : quels remerciements ne vous dois-je point d’avoir employé votre main, vos yeux, votre tête, votre temps à me composer un aussi aimable livre ! Je l’ai lu et relu, et le relirai encore avec bien du plaisir et bien de l’attention : il n’y a nulle lecture où je puisse prendre plus d’intérêt ; vous contentez ma curiosité sur tout ce que je souhaitois et j’admire votre soin à me faire des réponses si ponctuelles : cela fait une conversation toute réglée et très-délicieuse : mais, ma bonne, en vérité, ne vous tuez pas : cette crainte me fait renoncer au plaisir d’avoir souvent de pareils divertissements.Vous ne sauriez douter qu’il n’y ait bien de la générosité dans le soin que je prends de vous ménager sur l’écriture. Je comprends avec plaisir la considération de M. de Grignan dans la Provence, après ce que j’ai vu. C’est un agrément que vous ne sentez plus : vous êtes trop accoutumés d’être honorés et aimés dans une province où l’on commande.
Si vous voyiez l’horreur, la détestation, la haine qu’on1675a ailleurs pour le [1] gouverneur, vous sentiriez la douceur d’être adorée partout. Quels affronts ! quelles injures ! quelles menaces ! quels reproches, avec de bonnes pierres qui volent autour d’eux ! Je ne crois pas que M. de Grignan voulût cette place à de [2] telles conditions : son étoile est bien contraire à celle-là.
Vous me parlez, ma bonne, de cette héroïque signature que vous avez faite pour [3] lui :vous ne doutez pas des bons sentiments de notre cardinal (je ne parle pas [4] des miens) ; vous voyez cependant ce qu’il vous conseilloit. Il y a de certaines choses, ma bonne, que l’on ne conseille point : on expose le fait ; les amis font leurs devoirs de ne point commettre les intérêts de ceux qu’ils aiment ; mais quand on a l’âme aussi parfaitement belle et bonne que vous l’avez, l’on ne consulte que soi, et l’on fait précisément comme vous avez fait. N’avez-vous pas vu combien vous avez été admirée ? N’êtes-vous pas plus aise de ne devoir qu’à vous une si belle résolution ? Vous ne pouviez mal faire : si vous n’eussiez point signé, vous faisiez comme tout le monde auroit fait ; et en signant, vous faisiez au delà de tout le monde. Enfin, ma bonne, jouissez de la beauté de votre action, et ne nous méprisez pas, car nous avons fait notre devoir ; et dans une pareille occasion, nous ferions peut-être comme vous, et vous comme nous : tout cela s’est fort bien passé. Je suis ravie que M. de Grignan récompense cette marque d’amitié par une plus grande attention à ses affaires : lasagesse dont vous le louez est la vraie marque de reconnoissance que vous souhaitez de lui.
À MONSIEUR DE GRIGNAN.
Monsieur le Comte, je suis ravie qu’elle soit contente de vous : trouvez bon que je [5] vous en remercie par l’extrême intérêt que j’y prends, et que je vous conjure de continuer : vous ne sauriez y manquer sans ingratitude, et sans faire tort au sang [6] des Adhémars. J’en vois un dans les Croisades, qui étoit un grandissime seigneur il y a six cents ans ; il étoit aimé comme vous ; il n’auroit jamais voulu donner un moment de chagrin à une femme comme la vôtre. Sa mort mit en deuil une armée de trois cent mille hommes, et fit pleurer tous les princes chrétiens. Je [7] vois aussi un Castellanemais celui-là n’étoit pas si ancien : il est moderne, il n’y a que cinq cent vingt ans qu’il faisoit une grande figure. Je vous conjure donc, par ces deux grands-pères, qui sont mes amis particuliers, de vous abandonner à la [8] conduite de Mme de Grignan pour le détail de vos affaires; et en le faisant, voyez
ce que vous faites pour vous.
À MADAME DE GRIGNAN.
Enfin, ma bonne, sans le vouloir et sans y penser, j’écris une grande lettre à M. de Grignan. Votre confidence avec l’Intendant sur ces deux maisons qui font tant de [9] bruit chez M. L***, est une très-plaisante chose. J’aime à attaquer de certains chapitres comme ceux-là, avec de certaines gens dont il semble qu’on n’ose [10] approcher ; il n’y a qu’à prendre courage, ce sont les feux du Tassemais au moins M. de P*** saura quelque jour ce que c’est que cette grande maison de V***. [11] Il me paroît que de mentir sur une chose de fait et connue, comme celle-là, c’est [12] donner hardiment de la fausse monnoie comme Pomenars. D’ici à demain je ne pourrois pas vous dire à quel point votre épisode de Messine m’a divertie. C’est un [13] original que cette pièce, le prince, le ministremais…. qu’est donc devenue cette [14] valeur1675dont on se vantoit dans la jeunesse ? Il me paroîtprésentement [15] comme le comte deCulagna danslaSecchia; et pour la figure, n’est-il point justement comme l’on dépeint le Sommeil dans l’Arioste, ou comme Despréaux [16] représente la Mollesse dans sonLutrin? Mais, ma bonne, on ne peut point vivre longtemps en cet état ; j’en garderai plus soigneusement le portrait que vous m’en faites : il est de Mignard.
[17] Je suis votre exemple pour Mme du Janet; je veux bien ne me souvenir que de sa bonté, de l’attachement qu’elle a pour vous, et des bonnes larmes que nous avons répandues ensemble. Je vous prie donc de l’embrasser pour moi, et de me mander si mon souvenir lui fait quelque léger plaisir. J’en aurois beaucoup que le mariage de notre fille réussît. Si vous n’avez plus personne auprès de M. de Montausier, faites-y entrer1675d’Hacqueville ; il vaut autant bien tué comme mal tué : tout d’un coup, après avoir voulu le ménager, je retombe sur lui, et lui fais plus de mal que tous les autres ; faites comme moi : c’est un ami inépuisable. Puisque vous ne me plaignez pas quand je suis tout entourée de troupes, et que vous croyez que la confiance que j’ai n’est pas fondée sur ma sûreté, vous aurez pitié de moi en apprenant que nous avons à Rennes deux mille cinq cents hommes de moins : cela est bien cruel, après en avoir eu cinq mille. Vraiment, il y a des endroits dans vos lettres qui ressemblent à des éclairs.
Le bon cardinal, comme vous savez, est à Commerci depuis son bref ; je crois qu’il y sera dans la même retraite ; mais il me semble quevêpressont bien loin de son château. Je croirois assez qu’il aimoit autant prendre médecine à Saint-Mihel que de ne la prendre pas ; il n’étoit pas si docile à Paris. Pour vous, ma petite, vous [18] n’êtes point changée à l’égard devêpres ;vous les trouvez plus noires que jamais. Vous souvient-il des folies de mon fils ?
[19] Vous êtes toujours bien méchante quand vous parlez de Mme de la Fayette; je lui ferai quelques légères amitiés de votre part. Elle m’écrit souvent de sa propre main ; mais à la vérité ce sont des billets ; car elle a un mal de côté que vous lui [20] avez vu autrefois qui est très-dangereux. Il est au point qu’elle ne sort point du [21] tout de sa chambre, et n’a pas été un seul jour à Saint-Maur:1675voyez s’il faut être languissante. M. de la Rochefoucauld a la goutte ; si malgré le lait, la goutte prend cette liberté tous les ans, ce sera une grande misère. Mme de Coulanges vient à Paris ; elle a gardé assez longtemps sa très-extravagante mère. M. de Coulanges vous est trop obligé de vos reproches ; s’il avoit pu vous aller voir, il y [22] auroit été. Il a vu la belle Rochebonne dans le plus triste château de France; elle me fait pitié : n’ira-t-elle point à Lyon ? Mme de Verneuil y étoit à la Toussaint ; il y [23] avoit chez elle Mme de Coulanges, le cardinal de Bonzi et Briole: n’étoit-ce pas Paris ? Ce Briole doit à sa bonne mine le plus grand parti du pays : voilà comme on est heureux ; et nous autres, tout nous échappe.
Je suis ravie que vous aimiez Josèphe, et Hérode, et Aristobule ; continuez, je vous prie ; voyez le siège de Jérusalem et de Jotapat. Prenez courage : tout est beau, tout est grand ; cette lecture est magnifique et digne de vous ; ne la quittez point sans rime ni sans raison. Pour moi, je suis dans l’Histoire de France ; les croisades m’y ont jetée ; elles ne sont pas comparables à la dernière des feuilles de Josèphe. [24] Ah que l’on pleure bien Aristobule et Mariamne! Ma chère bonne, hélas ! [25] pourquoi me1675dites-vous qu’en achevant ce livre que vous m’envoyez, je dirai que
[26] Les grands parleurs sont par moi détestés?
Il y a des histoires, des épisodes, et mille agréments dans-votre livre ; et moi, j’écris de uisdeux heures sans avoir rien dit ; enfin c’est une rae de vouloir vousarler à
[27] toute force, comme le Docteur. Je finis pourtant, et je vous embrasse avec une extrême tendresse. Je me porte parfaitement bien ; les soirées sont un peu longues, et il pleut ; voilà tout ce que je sais.
[28] Monsieur de Tullea surpassé tout ce qu’on espéroit de lui dans l’Oraison [29] funèbre de M. de Turenne : c’est une action pour l’immortalité.
1. ↑LETTRE 465. — C’est le texte des deux éditions de 1726. Perrin, qui ne donne ce passage que dans sa seconde, l’a ainsi allongé : « vous sentiriez bien plus que vous ne faites la douceur d’être aimée et honorée partout. » 2. ↑Ce membre de phrase manque dans les deux éditions de 1726. 3. ↑Mme de Grignan venait de s’engager pour son mari. 4. ↑Le cardinal de Retz conseilloit de ne pas signer. (Note de Perrin.) 5. ↑« Que je vous en remercie par l’extrême intérêt que j’y prends » n’est que dans les éditions de Perrin. 6. ↑Le célèbre évêque du Puy, Aymar ou Adhémar, qui prit une part si brillante à la première croisade, et mourut de la peste, à Antioche, le 1er août 1098. Voyez l’Histoire des Croisadesdu P. Maimbourg, qui le nomme « un prélat d’une prudence consommée, d’un courage héroïque. » 7. ↑ Le P.Maimbourg, sous la date de 1098, parle de « Pierre, vicomte de Castellane, » comme d’un des capitaines qui commandaient les troupes du comte de Toulouse dans le combat soutenu par les Croisés contre Corbagath. Il traduit parde Castellane, lede Castillone ouCastellione des historiens latins des Croisades, que l’on s’accorde à rendre parde Castillon: voyez Aug. Leprévost,Orderic Vital, tome III, p. 516, note 2. — La plaisanterie de Mme de Sévigné sur les dates n’est point d’accord avec le texte de Maimbourg. Adhémar figure dans ce combat avec Castellane. 8. ↑« Pour le détail de vos affaires » manque dans les éditions de Perrin. Au lieu de « Mme de Grignan, » celle de 1754 donne « votre femme. » 9. ↑Les mots « chez M. L*** » et quatre lignes plus loin « mais au moins, » jusqu’à « maison de V*** » manquent dans les éditions de 1726 les initiales L*** P*** et V*** ne se trouvent que dans celle de 1754. 10. ↑Allusion aux flammes fantastiques que Tancrède traverse pour pénétrer dans la forêt enchantée. Voyez laJérusalem délivrée, chant XIII, stances XXXIII-XXXVII. 11. ↑« Et connue » n’est que dans les éditions de 1726. 12. ↑Voyez tome II, p. 295, note 2, et p. 255. 13. ↑ Ilest assez difficile de dire de quel prince et de quel ministre Mme de Sévigné entend parler ici. On a pensé que ce passage pouvait s’appliquer à Vivonne, qui fut envoyé à Messine en qualité de vice-roi, et ce que dit Mme de Sévigné de cette figure du Sommeil et de la Mollesse s’accorde assez bien avec le portrait que les contemporains ont tracé de lui ; mais Vivonne était brave, son courage ne fut jamais contesté; il avait fait ses. preuves au passage du Rhin et ailleurs. Bussy lui-même, qui ne l’aimait pas beaucoup, dit de lui (Correspondance, tome VI, p. 168) : « Je le regardois comme un homme d’esprit et de courage, qui avoit un fort vilain cœur. » Rien non plus n’autorise à croire qu’il s’agisse du prince de Ligne, vice-roi de la Sicile pour la couronne d’Espagne, et du capitaine général oustradico, don Luis de Hojo. Le prince de Ligne s’était démis de ses fonctions dès le mois de février 1673, et l’expressionprésentement, dont se sert Mme de Sévigné, ne conviendrait guère à propos d’une histoire déjà si ancienne. 14. ↑Dans l’édition de 1754 : « Le prince me paroît. » 15. ↑Le comtedi Culagnaest le type du poltron glorieux. Voyez laSecchia rapita du Tassoni, particulièrement chant III, stancesXII et XIII, et chant VI, stances X et suivantes. 16. ↑ Voyez l’Arioste,Orlando furioso, chant XIV, stancesXC et suivantes, et Boileau,le Lutrin, chant II, à la fin. La première édition des quatre premiers chants duLutrinpubliée en 1674 ; il avait paru l’année précédente fut er quelques fragments du 1chant. 17. ↑Voyez la note 1 de la lettre du 24 décembre 1673, tome III, p. 327. 18. ↑Dans l’impression de 1734 : « des vêpres. » Les éditions de Perrin donnent seules ce passage, à partir de : « Puisque vous ne me plaignez pas, » jusqu’à : « s’il avoit pu vous aller voir, il y auroit été. » 19. ↑Voyez laNotice, p. 136. 20. ↑Voyez la lettre du 3 juin 1693, à Mme de Guitaut. 21. Voez tome III,. 209, note 2.
22. ↑Le château de Thézé, à quatre lieues de Lyon. Coulanges a peint dans ce couplet (tome I, p. 116) la vie triste et monotone qu’y menait Mme de Rochebonne (Thérèse) :
Je songe à tous moments à l’aimable Thérèse Elle est sur son rocher, plus haut qu’une falaise, Dans la belle saison comme dans la mauvaise.
(Note de l’édition de1818.)
La belle Rochebonneest la leçon de 1726. Dans l’édition de 1754 on lit : « la pauvre Rochebonne ; » dans celle de 1734 : « Mme de Rochebonne, » sans épithète. 23. ↑Voyez tome II, p. 517, note 6, et tome III, p. 207, note 13 24. ↑ La mortd’Aristobule et de Mariamne est racontée dans l’Histoire de la guerre des Juifs contre les RomainsXVII; le siège de, au livre I, chap. Jérusalem, aux livres V et VI; et le siège de Jotapat, au livre III, chap. XII-XXIII. 25. ↑Dans Perrin : « qu’en achevant votre lettre » (1734) ; « la lecture de votre lettre » (1754). Trois lignes plus bas, l’édition de 1754 porte : « dans ce que vous appelez votre livre. » Voyez le commencement de la lettre. 26. ↑Dansle Dépit amoureuxVIII), le pédantMolière (acte II, scène de Métaphraste s’écrie :
Oh ! que les grands parleurs sont par moi détestés !
27. ↑Le Docteur de la comédie italienne. — Il se pourrait aussi qu’il y eût ici une allusion à la seconde entrée duCarnaval, mascarade mise en musique par Lulli et représentée par l’Académie royale de musique en 1675. Un maître d’école italien, nommé Barbacola, y chante une longue tirade qui commence par :
Son dottor per occasion ;
et finit par :
Ahi ! che perdo la parola !
28. ↑Mascaron, évêque de Tulle. Voyez la lettre suivante, p. 224. 29. ↑C’est le texte, de toutes les. éditions, hormis celle de la Haye (1726), qui donne : « c’est une action pour l’immortaliser. »
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