La propriété intellectuelle sur les logiciels
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Extrait

Bernard Caillaud1
Novembre 2002
La propriété intellectuelle sur les logiciels2
Rapport au Conseil d’Analyse Economique
1. Un traitement particulier pour les logiciels ? La conception d’un programme informatique, sa construction, son écriture et la correction des erreurs qu’il contient constituent les étapes d’un processus de production intellectuelle. Ce processus débouche sur des produits, des outils ou des composants de systèmes industriels ou commerciaux de plus en plus nombreux, sans cesse renouvelés, et dont le poids économique ne cesse de croître.3cette importance, deux questions se posent : la diffusion etAu regard de l’utilisation des innovations de logiciels s’effectuent-elles de façon suffisamment large pour que la société en tire pleinement les bénéfices ? Et existe-t-il des incitants adéquats pour que les agents économiques consacrent le temps, les efforts et les ressources nécessaires à de telles innovations ? Ces questions se posent bien sûr pour tout type de production intellectuelle. Différents cadres légaux relatifs à la propriété intellectuelle et à sa protection ont été développés pour apporter des réponses à ces deux questions. Le rapport de J.Tirole en analyse à la fois les mécanismes et les fondements économiques.4 lors, pourquoi l’innovation en matière de Dès programmes et de logiciels échapperait-elle à ce cadre général et devrait-elle faire l’objet d’une réflexion particulière ? Un rapport sur les logiciels n’est-il pas de plus condamné à répéter dans un contexte particulier les arguments généraux développés précédemment dans le rapport de J.Tirole ? L’actualité économique et juridique fournit une première réponse. Suite à l’évolution des pratiques des offices de brevets américain (US Patents and Trademarks Office, noté USPTO) et européen (Office Européen des Brevetsnoté OEB) tendant à accorder de plus en, plus généreusement des brevets pour les innovations logicielles, la Commission des                                                           1 d’Enseignement et de Recherche en Analyse Socio-économique (Ecole Nationale des Ponts et Centre Chaussées), Unité Associée 2036 au CNRS (Fédération PARIS-Jourdan). 2 remercie J.Maurice pour m’avoir encouragé à écrire ce complément, les intervenants au sein du groupe de Je travail du CAE pour m’avoir permis d’apprendre beaucoup sur le sujet, et A.Duchêne et E.Chantrel pour m’avoir assisté et parfois devancé à plusieurs étapes dans la préparation de ce document. Les idées développées ici et les opinions avancées n’engagent bien sûr que l’auteur. 3 Au niveau mondial, on estime le poids représenté par l’ensemble des logiciels non-embarqués, c’est à dire non attachés à des systèmes physiques, à 170 milliards de dollars en 2001 (source International Data Corporation, 157 Mds de $ en 1999, 127 Mds d’euros en 1998) ; le taux de croissance annuel est de 15%: cet ensemble recouvre les logiciels d’infrastructures et les logiciels d’application. Les logiciels européens représentaient un tiers de ce poids total. 4 Voir Tirole (2002).
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Communautés Européennes (CCE) a lancé en 2000 une consultation publique sur ce thème, afin de recueillir les avis du public et des professionnels.5 la base de cette consultation, Sur des réformes plus ou moins profondes de la Convention de Munich ont circulé, jusqu’à ce qu’en février 2002, la CCE diffuse une proposition de directive. Ce contexte motive l’attention particulière accordée aux logiciels. Les systèmes de protection de la propriété intellectuelle sont des instruments économiques imparfaits, destinés à assurer la meilleure efficacité économique des activités de recherche et développement : cette efficacité comporte deux aspects en partie conflictuels, l’un relatif à la diffusion de l’innovation et l’autre relatif à la rémunération des innovateurs. Ces systèmes ne peuvent reposer sur les spécificités fines de chaque secteur d’activité auquel ils s’appliquent. Ils adoptent donc une position « moyenne », tendant à réaliser un compromis entre les différentes imperfections relatives aux différents secteurs. Face au développement du secteur des logiciels et à son fort contenu d’innovation,6il convient de savoir si ce secteur est atypique au point de remettre en cause ce compromis ; dans l’affirmative, le poids du secteur pourrait justifier une inflexion du cadre général de la protection de la propriété intellectuelle, ou l’élaboration d’un cadre spécifique de protection plus adapté et s’appliquant uniquement à ce secteur. L’acuité de ces questions dans un secteur en effervescence fournit une deuxième justification à l’attention portée à l’innovation logicielle. Mener cette réflexion ne préjuge pas de la réponse apportée. En d’autres termes, il n’y a ici aucun a priori sur la brevetabilité ou la non-brevetabilité des logiciels. L’objectif est d’instruire ce dossier sous l’angle de la science économique. Ce rapport tente donc de souligner quelques spécificités de l'innovation logicielle, d’évaluer la portée des arguments économiques généraux sous la lumière de ces spécificités, et d’étudier plus précisément quelques instruments de politique économique. Il n’offre pas de perspective éclairée sur les détails institutionnels, juridiques ou par trop techniques relatifs au domaine. Les quelques conclusions plus pratiques qui impliquent un jugement de valeur ou une évaluation personnelle sont repoussées dans la section 5.
2. Quelques caractéristiques de l innovation logicielle
2.A. Programmes, logiciels, codes
Nous utiliserons dans ce qui suit le terme générique de « logiciels » pour désigner une réalité complexe. Ceci nécessite donc une mise au point préalable. Qu’appelle-t-on programmes, logiciels, et plus généralement inventions mises en œuvre par ordinateur ? Un programme est une suite d’instructions, écrites dans un langage bien défini, qui codent des opérations, des procédés ou des algorithmes s’appliquant à des données au sens large, à de l’information. Un logiciel consiste en un ensemble de programmes (ou sous-programmes) qui interagissent. Ces définitions vagues couvrent de multiples objets, que l’on peut regrouper grossièrement en trois catégories :
                                                          5 Voir Hart – Holmes – Reid (2000) et Tang – Adams – Paré (2001). 6 2001, l’USPTO estime à environ 18.000 le nombre de brevets logiciels accordés ; cette mesure de En l’innovation, très imparfaite à bien des égards, met le domaine loin devant les domaines classiques de l’invention brevetable. Voir aussi l’étude de l’OST (Laville (1999)).
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  embarqués logicielsdes « c’est-à-dire des programmes installés sur un ordinateur », intégré à des systèmes physiques, mécaniques par exemple, et qui sont quasiment indissociables de ces systèmes : logiciels incorporés aux téléphones portables, logiciels de régulation du freinage (ABS), avionique …  des programmes en couches profondes, aussi appelés logiciels d’infrastructure, qui sont relatifs au système d’exploitation par exemple (différentes versions de Windows, Linux), à la gestion de bases de données (SQL) et à la compression de données (STACS, LZW pour le standard GIF,…), aux modalités de communication entre machines (Netscape Navigator ou Internet Explorer, logiciels de cryptographie type RSA), sur lesquels de nombreuses applications s’appuient ;  des programmes d’applications, de traitement de texte (Word, Tex,…), de sons (programmes du standard MP3), d’images (Photoshop, Adobe Illustrator), des relations commerciales ou de clientèle (achat en un « clic » d’Amazon)… ; Un programme est d’abord écrit dans un langage de programmation compréhensible par l’homme (quoique… !) : C, C++, Java, … Il se présente alors sous la forme d’un « code source », qui permet le travail d’élaboration et de production du produit logiciel. Une fois écrite, cette suite d’instructions peut être compilée, c’est-à-dire traitée et transformée en une suite binaire (de 1 et de 0 pour la présence ou non d’une impulsion électrique), compréhensible par une machine mais désormais opaque pour un humain : il est alors sous forme d’un « code objet » ou code binaire. La distribution et la commercialisation d’un programme ne requièrent que la transmission de ce code binaire. Certaines techniques de « décompilation » permettent d’obtenir une idée de code source à partir d’un code objet, mais le processus est complexe, très imparfait et coûteux. Pour l’utilisateur courant, ces codes restent très mystérieux et un programme se présente avant tout comme l’ensemble des tâches qu’il permet d’effectuer : écrire une note, lire son courriel, retoucher ses photographies, rechercher un réseau sur son portable ... De façon plus précise, un logiciel est décrit par ses « fonctionnalités », une notion qui joue un rôle central dans la protection par brevet et nécessite d’être approfondie. La création d’un hyperlien, lepdna-ord-gard, l’agrandissement d’une photographie numérique sans déformation, l’optimisation du freinage d’une roue sont autant des fonctionnalités de divers programmes : ce sont des actions spécifiques portant sur des données (mots, adresses Internet, raccourcis de programmes, fichiers image, données numériques de vitesse). Pour réaliser ces fonctionnalités, le logiciel comporte un ensemble d’étapes, de fonctions appliquées aux données et d’interactions au niveau des autres programmes de son environnement et au niveau duhardware, qu’on peut souvent décrire par un schéma (chart).7 Le logiciel peut ainsi charger des données, en stocker une partie, en transformer une autre qu’il renvoie, sans que l’usager ait connaissance précise de ces étapes. Le problème de la propriété intellectuelle porte précisément sur le contenu informationnel du logiciel, sur l’accès aux connaissances incorporées dans le logiciel. Les fonctionnalités d’un programme, avec l’architecture des fonctions et les étapes qui permettent de les mettre en œuvre, contiennent une part importante de cette information, de l’ « invention logicielle » ; en explicitant et codant cette invention dans les détails, le code source incorpore l’autre part de l’information inhérente à l’innovation logicielle.                                                           7exemple de brevet (titre, résumé et chart). On peut aussi se reporter à Pour fixer les idées, voir en appendice un http://fr.espacenet.com/espacenet/fr/fr/e_net.htmouhttp://swpat.ffii.org/brevets/echantillons/index.html.
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Ces informations constituent un bien public, dont l’accès par un utilisateur n’empêche aucunement l’accès par un autre utilisateur. Le CD-ROM support du logiciel, ou la version téléchargée et stockée en mémoire sont par contre des biens privés, produits à partir de ces informations et pour lesquels le coût de production (duplication) ou de distribution est faible ou négligeable. Pour les logiciels, la différence de nature entre l’information et le support sur lequel elle est mise en œuvre est très mince, alors qu’elle est plus nette pour les systèmes physiques, mécaniques ou chimiques. Les niveaux des différents codes et les fonctionnalités d’un logiciel déterminent des notions différentes de droits de la propriété intellectuelle et de protection. Cela justifie que l’on s’attarde sur ces concepts, d’autant que la notion de fonctionnalités est vague et difficile à appréhender pour un néophyte.8
2.B. Acteurs de l’innovation de logiciels
On peut distinguer plusieurs niveaux de production dans la genèse d’un logiciel.  En amont, un logiciel exploite et utilise des méthodes mathématiques, logiques ou algorithmiques (cryptographie et théorie des nombres, théorie des graphes, optimisation,…) ainsi que les avancées scientifiques portant sur les technologies ou les matériels constituant son environnement (transmission du signal, analyse spectrale, microélectronique…). Ces développements relèvent de la recherche scientifique, souvent d’ordre académique.  même d’un programme consiste en la définition de fonctionnalités etLa conception l’élaboration d’une méthode pour organiser et combiner différentes actions à faire effectuer par l’ordinateur pour les mettre en oeuvre. Cette phase de conception va de pair avec une phase de réalisation sous la forme de l’écriture du code source, spécifiant et détaillant les étapes à réaliser. Si l’optimisation des performances d’un logiciel est indissociable de la qualité de l’écriture du code source, il existe a priori plusieurs manières de coder une suite d’actions engendrant des fonctionnalités données. Le code source incorpore l’idée, l’innovation, mais n’en est pas véritablement l’essence.  L’amélioration du produit, la recherche et la correction des erreurs (debuggage) nécessitent de travailler sur le code source, mais ne sont généralement pas considérées comme étant au cœur de l’innovation. Pourtant, ce sont des phases souvent essentielles pour que l’innovation puisse être bénéfique à la société et l’existence d’incitations adéquates pour ces activités n’est donc pas négligeable. Les différentes étapes de l’innovation logicielle reposent sur des structures diverses. En amont, les organismes et laboratoires de recherche, souvent publics ou parapublics, sont généralement à la source de logiciels fondamentaux et proches d’algorithmes ou de méthodes mathématiques : INRIA, CNRS, Universités, Fraunhofer-GMD, Max Planck Institute,… Plus au cœur de l’innovation logicielle proprement dite se trouvent diverses populations de développeurs. Les indépendants, les petites et moyennes entreprises et les jeunes pousses (start-up innover à différents niveaux dans la conception, l’écriture et la mise au), peuvent                                                           8 Voir Smets-Solanes (2000) et Kott (2001a & b) pour mieux comprendre ces concepts.
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