Académies et académisme : le modèle français au XVIIIe siècle - article ; n°2 ; vol.108, pg 643-658
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Description

Mélanges de l'Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée - Année 1996 - Volume 108 - Numéro 2 - Pages 643-658
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 21
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Daniel Roche
Académies et académisme : le modèle français au XVIIIe siècle
In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée T. 108, N°2. 1996. pp. 643-658.
Citer ce document / Cite this document :
Roche Daniel. Académies et académisme : le modèle français au XVIIIe siècle. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome.
Italie et Méditerranée T. 108, N°2. 1996. pp. 643-658.
doi : 10.3406/mefr.1996.4461
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_1123-9891_1996_num_108_2_4461DANIEL ROCHE
ACADÉMIES ET ACADÉMISME :
LE MODÈLE FRANÇAIS AU XVIIIe SIÈCLE
De la monarchie de Louis XIV à celle de Louis XVI s'est élaboré en
France un modèle de relations intellectuelles, savantes et personnelles dont
le retentissement ne s'est pas démenti dans l'Europe des Lumières. La
presse, les récits de voyageurs, les correspondances en témoignent : pour
une certaine élite européenne la magistrature académique brille à Paris.
Dans ce mouvement, construit par des représentations fortes, mobilisé par
des pratiques et des conduites formelles, animé par les échanges et les
commerces sociaux, s'enracine une hiérarchie de valeurs, de comporte
ments et de savoirs, acceptée par tous dans le domaine littéraire, dans le
champ scientifique et médical, dans l'univers artistique. Au-delà de la
diversité des appartenances aux sociétés savantes, favorisé sans doute par
leur possible multiplicité - on peut être simultanément membre de l'Ac
adémie française, honoraire de l'Académie des inscriptions, honoraire ou
associé de l'Académie royale des sciences ou de la Société royale de médec
ine, correspondant ou titulaire d'une Société provinciale - l'élection aca
démique confère à ceux qui en sont les bénéficiaires la capacité d'incarner
publiquement les normes de la Littérature, de l'Histoire, de la Science et
des Arts. La force de ce modèle, dont il serait injuste de dissimuler les ori
gines italiennes1 et les précédents britanniques selon que l'on regarde les
sociétés littéraires ou les institutions savantes, repose sur trois éléments
majeurs, un rapport spécifique entre l'État et la culture, une liaison origi
nale entre la sociabilité et les formes traditionnelles d'expressions du poli
tique, une relation décisive entre langage et civilité.
L'État monarchique a trouvé dans l'institution académique une
manière de lier son action avec le développement des Lettres, des Sciences,
des Arts. Son patronage confère aux lettrés et aux savants élus unie dimens
ion de permanence et une reconnaissance institutionnelle dont aucun ne
1 M. Fumaroli, Trois institutions littéraires, Paris, 1994, p. XXXI-XXXII.
MEFRIM - 108 - 1996 - 2, p. 643-658. 644 DANIEL ROCHE
pouvait bénéficier dans le cadre du mécénat ou du clientélisme privés. De
Richelieu à Louis XTV, de Louis XV à Louis XVI, une série de fondations
marque cette volonté propre de la monarchie française de soustraire les
activités intellectuelles au caprice du temps et des personnes. Sur deux
plans, cette politique culturelle constitue une innovation durable : d'une
part, elle montre la capacité du pouvoir royal à régler la hiérarchie des
corps puisqu'il établit les académies dans le système organiciste à un
niveau où l'autonomie des arts libéraux est reconnue, au-dessus des profes
sions et des métiers2. En suppléant à l'absence d'organisation structurée
des activités savantes, en dehors des universités et des grands collèges, les
académies systématisent les liens inter-individuels de collaboration,
d'amitié, qui organisaient traditionnellement le réseau des humanistes.
D'autre part, elles deviennent le lieu de reconnaissance voire de sélection
d'une élite, et chacun dans son champ de savoir peut travailler et voir se
développer une autonomisation progressive3.
Une deuxième dimension met en valeur le rôle de la sociabilité cultu
relle par rapport à la sociabilité politique et à la définition de l'espace
public. Le rôle de la monarchie souligne les enjeux pratiques de l'immortal
ité. Sauf accident, le politique est censé s'arrêter aux portes des acadé
mies; l'académicien se conçoit plus aisément en sage, au-dessus de la
mêlée, qu'en activiste, les statuts et les règlements le lui imposent. Toutef
ois, dès la fin du XVIIIe siècle, on a vu naître la force de l'opinion qui voit
dans les rencontres savantes, parisiennes et provinciales, des lieux de fe
rmentation intellectuelle et révolutionnaire, où le développement des
libertés de discussion prépare la chute de la monarchie. L'abbé Barruel et
Chateaubriand ont orchestré cette idée justificatrice d'un anti-intellectua
lisme hostile aux Lumières. Or, cette interprétation pose un problème cru
cial, d'un côté l'académisme est l'héritier d'une tradition antérieure aux
Lumières, de l'autre il permet la constitution de ce que l'on peut, faute de
mieux, appeler l'opinion, selon des modalités propres. Il importe donc d'i
nterroger simultanément ce double caractère de la culture académique du
XVIIIe siècle qui participe à la fois de la culture politique monarchique, et,
qui anime le développement d'un espace large et libre de discussions
ouvertes à la raison critique. Considéré ainsi l'académisme permet de lire,
autrement que ne l'ont fait d'abord Tocqueville, puis Cochin, l'opposition
entre le gouvernement et la politique littéraire. Au total, il s'agit moins d'y
lire les origines de la sociabilité démocratique que d'y rechercher les capa-
2 N. Heinich, Naissance du peintre, Paris, 1993, p. 8-9.
3 A. Viala, de l'écrivain au XVIIe siècle, Paris, 1985, p. 50-51. ACADÉMIES ET ACADÉMISME 645
cités d'émergence d'une nouvelle culture politique dans la sphère de la
sociabilité intellectuelle.
Enfin, le dernier atout du mouvement académique réside dans la puis
sance de la liaison nouée entre langage et sociabilité, entre éloquence et
connaissance. Au-delà du seul exemple de l'Académie française qui a vu
s'unir l'effort normatif des écrivains et des grammairiens, l'essor de la
manière des conversations parisiennes, l'affirmation politique et diplomat
ique du français, langue du Roi, héritier du latin, véhicule désormais privi
légié des discours poétiques et littéraires, l'art de bien dire contribue à ras
sembler tous les éléments de la Société académique. Partout il s'exprime
dans des rituels particuliers, la Rhétorique des séances publiques, le dis
cours de réception, l'Éloge qui est un élément clef du système de définition
et de reproduction des normes. Partout il permet de conjuguer de la même
manière les matières les plus diverses et de diffuser les connaissances,
peut-être même de les valider. Il existe une relation profonde entre les
manières de s'exprimer, les modes de vivre, les façons d'expérimenter les
découvertes, les habitudes de confrontation et les codes de langage et de
comportement4. En bref, de Richelieu à la Révolution, l'académisme a été
un lieu unifié par la sociabilité et la civilité, propice en cela à la cohésion
des activités littéraires, historiques, savantes, artistiques : l'art de bien dire
- et de bien écrire - y fait partout accéder à la visibilité et démontre l'utilité
publique du mouvement académique.
Bien sûr, il n'est pas évident que cette cohérence ait été obtenue d'un
seul coup et qu'elle soit unanimement partagée en tous lieux. Des contra
dictions et des tensions traversent des origines à leur disparition de 1793,
les institutions savantes, et elles les opposent à d'autres formules de sociab
ilité. Ce qu'elles proposent au monde cultivé de l'Europe c'est un modèle
de rapports humains liés à l'usage collectif des savoirs et en rapport avec
un effort de rationalisation tenté par l'État, et, dans une certaine mesure,
avec une idée de mobilité sociale restreinte comme d'une conception
limitée et restricti

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