Autorité pontificale et pouvoir impérial sous le règne de Justinien : le pape Vigile - article ; n°1 ; vol.104, pg 439-463

Claire Sotinel

Description

Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité - Année 1992 - Volume 104 - Numéro 1 - Pages 439-463
Claire Sotinel, Autorité pontificale et pouvoir impérial sous le règne de Justinien : le pape Vigile, p. 439-463.
Le pape Vigile, qui siège de 537 à 556, n'est en général connu que pour avoir souscrit à la condamnation des Trois Chapitres, qui devait susciter en Italie un schisme durable, ou pour être un des premiers papes «scandaleux», arrivé au pontificat par des voies tortueuses, responsable de la mort de son prédécesseur, accusé d'un autre crime, personnage à la fois violent et velléitaire. On en oublie alors qu'il siège à un moment particulier de l'histoire de l'Église, celui où la reconquête de l'Italie par Justinien semble rendre possible la construction d'un empire chrétien. Cette enquête sur le pape Vigile se propose un double but : dégager le dossier de la polémique qui le rend souvent incompréhensible, et chercher à situer la politique pontificale dans la perspective d'une réflexion séculaire des évêques de Rome sur les rapports entre l'auctoritas épiscopale et la potestas royale.
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: MELANGES_DE_L-ECOLE_FRANCAISE_DE_ROME
• Publié le: 01 janvier 1992
• Nombre de lectures: 70
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Claire Sotinel
Autorité pontificale et pouvoir impérial sous le règne de Justinien
: le pape Vigile
In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 104, N°1. 1992. pp. 439-463.
Résumé
Claire Sotinel, Autorité pontificale et pouvoir impérial sous le règne de Justinien : le pape Vigile, p. 439-463.
Le pape Vigile, qui siège de 537 à 556, n'est en général connu que pour avoir souscrit à la condamnation des Trois Chapitres,
qui devait susciter en Italie un schisme durable, ou pour être un des premiers papes «scandaleux», arrivé au pontificat par des
voies tortueuses, responsable de la mort de son prédécesseur, accusé d'un autre crime, personnage à la fois violent et
velléitaire. On en oublie alors qu'il siège à un moment particulier de l'histoire de l'Église, celui où la reconquête de l'Italie par
Justinien semble rendre possible la construction d'un empire chrétien. Cette enquête sur le pape Vigile se propose un double but
: dégager le dossier de la polémique qui le rend souvent incompréhensible, et chercher à situer la politique pontificale dans la
perspective d'une réflexion séculaire des évêques de Rome sur les rapports entre l'auctoritas épiscopale et la potestas royale.
Citer ce document / Cite this document :
Sotinel Claire. Autorité pontificale et pouvoir impérial sous le règne de Justinien : le pape Vigile. In: Mélanges de l'Ecole
française de Rome. Antiquité T. 104, N°1. 1992. pp. 439-463.
doi : 10.3406/mefr.1992.1762
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5102_1992_num_104_1_1762CLAIRE SOTINEL
AUTORITÉ PONTIFICALE ET POUVOIR IMPÉRIAL
SOUS LE RÈGNE DE JUSTINIEN : LE PAPE VIGILE
De tous les papes du VIe siècle, et peut-être de tous ceux de l'antiquité
chrétienne, Vigile est celui dont la biographie est la plus compliquée. Sié
geant sur la chaire de Pierre pendant les années de la guerre gothique, il
fut mêlé aux dernières controverses christologiques du VIe siècle, l'épiso
de connu sous le nom de l'affaire des Trois Chapitres1. Mais plus que la
subtilité de ces querelles théologiques, étonne et choque le portrait psy
chologique contradictoire qui ressort de la lecture des sources. De son
vivant, Vigile fut l'objet d'attachements fidèles, mais surtout de haines
inexpiables qui ont définitivement infléchi l'historiographie : de nom
breux historiens et chroniqueurs du VIe siècle parlent du pape Vigile -
honneur que tous ses prédécesseurs ne partagent pas -, mais ces textes
sont presque toujours des pièces dans la querelle des Trois Chapitres, et
tous les auteurs se posent en accusateurs : Liberatus de Carthage et
Facundus d'Hermiane, clercs africains persécutés pour leur fidélité aux
Trois Chapitres que Vigile avait fini par anathématiser2, le diacre Pelage,
condamnant sans réserve l'évêque auquel il devait succéder3, l'auteur du
Liber Pontificalis, perdu dans le récit d'événements qui le dépassent4, Vic
tor de Tunnunna, qui écrit sa chronique dans l'exil où l'a envoyé la colère
1 L'enquête ici présentée ne porte que sur le déroulement des événements.
Pour un exposé sommaire de cette question, on peut consulter É. Amann, Trois Chap
itres, dans Dictionnaire de théologie catholique, 15, 2, c. 1868-1924.
2 Liberatus Carthaginensis diaconus, Breuiarium causae Nestorianorum et Eu-
tychianorum, dans Patrologia Latina (= PL) XXII.
Facundus episcopus Hermianensis, Pro defensione trium capitulorum libri XII,
Corpus christianorum (= CC) 90a. Il écrit aussi un pamphlet Contra Mocianum
Scholasticum, et une Epistula fidei catholicae in defensione Trium Capitulorum,
publiés dans le même volume.
3 Pelagius diaconus, In defensione Trium Capitulorum, édité par R. Devreesse,
(Studi e Testi, LVII), Rome, 1932.
4 Le Liber pontificalis est ici cité dans l'édition de L. Duchesne, Paris, 1886.
MEFRA - 104 - 1992 - 1, p. 439-463. CLAIRE SOTINEL 440
de Justinien5. Les actes du Ve concile oecuménique accablent à l'envi un
pape que les Pères conciliaires déposent à la septième session6. Rien de
plus byzantin que l'imbroglio de ces sources polémiques qui se complais
ent à multiplier les récits d'entrevues secrètes, les lettres apocryphes, les
textes reniés par leurs auteurs, les récits contradictoires. Les sources nar
ratives dressent ainsi un véritable acte d'accusation, mais les lettres du
pape conservées par les collections canoniques, les textes émanant des
milieux schismatiques d'Italie du Nord, et quelques sources annexes, ins
criptions, dédicaces, préfaces liturgiques, invitent à une lecture critique
qui permet de nuancer le portrait du pape.
D'autre part, la figure de Vigile est aussi au centre de houleux débats
qui dépassent la querelle des Trois Chapitres. En sa personne, l'idée
même de la succession apostolique est mise en doute, puisqu'il n'accède
au pontificat qu'après la déposition de son prédécesseur, que par la suite
il fait mourir de faim. De plus, les incohérences de la politique de Vigile
servent d'argument polémique dans les discussions sur le dogme de l'in
faillibilité pontificale. Un remarquable article de l'abbé Duchesne, paru
dans la Revue des Questions Historiques en 1885 ouvrait un débat dont
l'objet était plus le premier concile de Vatican que celui réuni à Constant
inople au VIe siècle7. Enfin, la tentation de porter, à la suite des histo
riens antiques, un jugement moral sur ce politique tortueux, a de toute
évidence pesé sur l'historiographie.
L'enjeu de cette enquête n'est pas seulement de réhabiliter un person
nage controversé, même si on se laisse parfois prendre au jeu de la défens
e dans un procès qui ne compte que des accusateurs. Indépendamment
des questions dogmatiques qui peuvent être prises en compte dans l'éva
luation de son pontificat, Vigile est le pape de la reconquête de l'Italie par
Justinien. Depuis le pontificat de Simplice, les évêques de Rome si
égeaient sous l'autorité de rois ariens qui intervenaient peu dans le gouver
nement de l'Église. Avec les lointains empereurs d'Orient, ils entrete-
5 Victor Tonnennensis episcopus, Chronica, dans Monumenta Germaniae histo-
rica, Auctores antiquissimi, XI (= MGHaa, XI), p. 179-206.
6 E. Schwartz, Acta condliorum œcumenicorum, tome IV, vol. 1 : Concilium
immersale Constantinopolitanum sub Iustiniano habitum, Berlin, 1971 (= ACO,
4,1).
7 L. Duchesne, Vigile et Pelage, dans Revue des questions historiques, t. XXXVI,
1884, p. 369; réponse de Dom Chamard, ibid., t. XXXVII, p. 540, et mise au point de
Duchesne, ibid., t. XXXVII, p. 579. Le long article de F. Savio, II papa Vigilio, dans
Civiltà cattolica, 1903, reste à l'intérieur d'un débat dont l'enjeu est de savoir si
Vigile est digne d'être pape. AUTORITÉ PONTIFICALE ET POUVOIR IMPÉRIAL : LE PAPE VIGILE 44 1
naient des relations souvent houleuses, mais au fond très indépendantes,
poursuivant dans un contexte finalement favorable toute une réflexion
sur l'autonomie de l'autorité religieuse par rapport au pouvoir séculier,
tout en cultivant une nostalgie longtemps peu compromettante de l'empi
re chrétien. Or, lorsque Vigile devient pape, les conditions de la reconsti
tution de cet empire chrétien sont réunies, puisque les armées byzantines
ont reconquis la plus grande partie de l'Italie. La question posée par le
déroulement mouvementé du pontificat de Vigile est celle de la place de
la papauté dans l'empire byzantin. Établir une biographie sans esprit de
polémique permet de tracer le dessin d'une politique qui pose tout le pro
blème de la relation entre Rome et Constantinople, entre Yauctoritas epis
copale et la potestas royale dans les dernières décennies de l'Italie impér
iale.
Sans négliger les épisodes compliqués du séjour forcé long de huit
ans que le pape fit en dehors de Rome, il faut évaluer les autres éléments
d'une politique qui visait avant tout à la restauration de l'Italie réintégrée
dans l'empire byzantin. Il faut aussi utiliser avec discernement les sour
ces qui nous le font connaître: sa correspondance8, les sources polémi
ques, nombreuses à partir de 550, et qui lui sont en général violemment
défavorables, et les sources posthumes qui relèvent presque toutes d'une
systém