Chateaubriand et les spectres - article ; n°1 ; vol.19, pg 177-185
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Description

Communications - Année 1972 - Volume 19 - Numéro 1 - Pages 177-185
9 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1972
Nombre de lectures 27
Langue Français

Extrait

Bénédicte Abraham
Chateaubriand et les spectres
In: Communications, 19, 1972. pp. 177-185.
Citer ce document / Cite this document :
Abraham Bénédicte. Chateaubriand et les spectres. In: Communications, 19, 1972. pp. 177-185.
doi : 10.3406/comm.1972.1291
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1972_num_19_1_1291Bertrand Abraham
Chateaubriand et les spectres
I. ENJEU D'UNE LECTURE
Si tout discours autobiographique constitue une typologie des attitudes et
conduites triomphantes, dont le Sujet, sous la forme spécifique d'un individu,
serait le héros et le centre, les Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand occupent
par rapport aux autres écrits du même genre une place assez particulière : la
chaîne métonymique des objets sur lesquels s'exerce ce qu'on pourrait appeler
un fantasme de « triomphe », y est en effet clairement désignée puisque son
terme ultime figure explicitement dans le titre même de l'ouvrage : « outre
tombe »; terme ultime qui fait de l'écriture à la fois le double réel et vrai d'une
vie vécue (selon l'idéologie de la parole pleine), annulant ainsi la différence struc
turale liée à toute discursivité ; mais qui en un autre geste, à peine esquissé
celui-là, constitue cette écriture comme supplément au vide inaugural de la
tombe, qu'elle provoque, excède, outrepasse : de rien, écriture sans
réfèrent s'il n'y avait la mémoire /les mémoires, termes surdéterminés s'il en fût,
destinés ici à suturer le conflit inscrit entre les deux « versions » (versants) que
du titre nous proposons, au prix de la conquête d'un nouveau triomphe : celui
de la première version sur la seconde, celui de la parole sur l'écriture.
Ce que nous tenterons ici, c'est de nous mettre à l'écoute de cette geste à peine
repérable, libérée d'ailleurs moins par la nomination de l'objet sur lequel s'exerce
la performance triomphatrice du sujet, que par cet « outre », qui désigne en
silence ce qu'il faut franchir de distance, pour, soi-disant, triompher. Dépla
çons un moment notre attention, abandonnons les différents objets du fantasme
tels qu'une lecture même cursive de l'œuvre nous les présente (exemples : « lutter
contre les orages », « se jouer avec les vagues »), et reportons-la sur le mécanisme
du fantasme; sur ce que, dans sa hâte de posséder et de jouir (« mon imagina
tion allumée, se propageant sur tous les objets, ne trouvait nulle part assez
de nourriture, et aurait dévoré la terre et le ciel... »)> il tente de passer sous
silence : le chemin même que le désir ne cesse d'être, la trace qu'il signifie et
marque, la cascade de signifiants, et l'impossibilité de parvenir au sens, à la
quête; car le serpent ne saurait se mordre la queue. Une telle lecture devra
vaincre des résistances, elle se heurtera à des limites (nous verrons lesquelles) :
car la somme des actes supportés dans le récit par le narrateur, et même chacun
de ces actes pris séparément est censé renvoyer métonymiquement, symboli
quement et même emblématiquement à l'Auteur en train d'écrire : vaincre la
tempête sur les plages bretonnes, c'est déjà triompher du langage, et c'est
177 Bertrand Abraham
la mort. De là les constantes « interventions » de Chateaubriand dans son récit,
pour « expliquer » à tout propos le « futur » par le « passé », la vieillesse par la
jeunesse (exemple : « Ainsi se termina le premier combat que me fit rendre cet
honneur devenu l'idole de ma vie et auquel j'ai tant de fois sacrifié repos, plaisir
et fortune »). Explications prises à la lettre par la critique universitaire, et qui
ne peuvent se soutenir que du recours inconscient au mythe de l'origine qui
innocente et naturalise le point initial (mais y en a-t-il un?) d'où surgit la chaîne
métonymique, en lui donnant un ancrage dans le réel hypothétique, oubliant
qu'on est toujours-déjà dans l'écriture, et que le « sujet » de l'énoncé ne peut se
poser que par l'ex-sistance du « sujet » de renonciation, par quoi l'on voit que
le sujet est déjà pris dans la figure de la métonymie et dans la différence que
cette figure ne manque pas de scander. Il nous faudra donc déplacer quelque
chose dans le texte, et remettre en question de manière radicale les lectures
opérées trop souvent de Chateaubriand.
II. LE TEXTE ET SES SPECTRES
Le mécanisme du fantasme, qu'il nous faut « écouter », affleure précisément
à la surface du texte, en un lieu où il se saisit d'un objet particulier : le spectre,
le spectral, y mobilisant des personnages, des figures essentiels. Chateaubriand
aux prises avec les spectres, c'est le sujet dans l'écriture en quête du réfèrent,
cherchant à le fixer sans y parvenir. Mais laissons-lui la parole :
a ... Les soirées d'automne et d'hiver étaient d'une autre nature. Le souper
fini et les quatre convives revenus de la table à la cheminée, ma mère se jetait
en soupirant, sur un vieux lit de jour de siamoise flambée; on mettait devant
elle un guéridon avec une bougie. Je m'asseyais près du feu avec Lucile ; les domest
iques enlevaient le couvert et se retiraient. Mon père commençait alors une pr
omenade qui ne cessait qu'à l'heure de son coucher. Il était vêtu d'une robe de ratine
blanche, ou plutôt d'une espèce de manteau que je n'ai vu qu'à lui. Sa tête demi-
chauve était couverte d'un grand bonnet blanc qui se tenait tout droit. Lorsqu'en
se promenant il s'éloignait du foyer, la vaste salle était si peu éclairée par une seule
bougie qu'on ne le voyait plus ; on l'entendait seulement encore marcher dans les
ténèbres; puis il revenait lentement vers la lumière et émergeait peu à peu de
l'obscurité, comme un spectre, avec sa robe blanche, son bonnet blanc, sa figure
longue et pâle. Lucile et moi nous échangions quelques mots à voix basse quand il
était à l'autre bout de la salle ; nous nous taisions quand il se rapprochait de nous.
Il nous disait en passant : « De quoi parliez-vous? » Saisis de terreur, nous ne répon
dions rien; il continuait sa marche. Le reste de la soirée, l'oreille n'était plus frappée
que du bruit mesuré de ses pas, des soupirs de ma mère, et du murmure du vent.
10 heures sonnaient à l'horloge du château : mon père s'arrêtait; le même ressort,
qui avait soulevé le marteau de l'horloge, semblait avoir suspendu ses pas. Il tirait
sa montre, la montait, prenait un grand flambeau d'argent surmonté d'une grande
bougie, entrait un moment dans la petite tour de l'ouest, puis revenait, son flambeau
à la main, et s'avançait vers sa chambre à coucher, dépendante de la petite tour de
l'est. Lucile et moi, nous nous tenions sur son passage; nous l'embrassions en lui
souhaitant une bonne nuit. Il penchait vers nous sa joue sèche et creuse sans nous
répondre, continuait sa route et se retirait au fond de la tour, dont nous entendions
les portes se refermer sur lui. Le talisman était brisé; ma mère, ma sœur et moi,
transformés en statues par la présence de mon père, nous recouvrions les fonctions
de la vie. Le premier effet de notre désenchantement se manifestait par un débor
dement de paroles : si le silence nous avait opprimés, il nous le payait cher.
Ce torrent de paroles écoulé, j'appelais la femme de chambre, et je reconduisais
178 Chateaubriand et les spectres
ma mère et ma sœur à leur appartement. Avant de me retirer, elles me faisaient
regarder sous les lits, dans les cheminées, derrière les portes, visiter les escaliers, les
passages et les corridors voisins. Toutes les traditions du château, voleurs et spect
res, leur revenaient en mémoire. Les gens étaient persuadés qu'un certain comte de
Combourg, à jambe de bois, mort depuis trois siècles, apparaissait à certaines
époques, et qu'on l'avait rencontré dans le grand escalier de la tourelle; sa jambe
de bois se promenait aussi quelquefois seule avec un chat noir.
Mon donjon
Ces récits 1 occupaient tout le temps du coucher de ma mère et de ma sœur. Elles
se mettaient au lit, mourantes de peur; je me retirais au haut de ma tourelle; la
cuisinière rentrait dans la gross

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