Chateaubriand et René - article ; n°4 ; vol.38, pg 772-801
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Description

Annales de Bretagne - Année 1928 - Volume 38 - Numéro 4 - Pages 772-801
30 pages

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Publié le 01 janvier 1928
Nombre de lectures 29
Langue Français
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Extrait

L. Legras
Chateaubriand et "René"
In: Annales de Bretagne. Tome 38, numéro 4, 1928. pp. 772-801.
Citer ce document / Cite this document :
Legras L. Chateaubriand et "René". In: Annales de Bretagne. Tome 38, numéro 4, 1928. pp. 772-801.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0003-391X_1928_num_38_4_1654LEGRÂS L.
CHATEAUBRIAND ET « REINE »
Le jeune cadet breton qui partait de Combourg, au prin
temps de 1786, pour aller tenir garnison à une autre extrémité
de la France, cet adolescent au front obscur, était-ce déjà
René ? Oui, disent les Mémoires d'Outre-Tombe. Mais René
est la source vive de cette partie des Mémoires : d'où sort
René ?
Nous ne savons à peu près rien des premières années de
Chateaubriand *. Il paraît peu tenir de son père, âpre et tenace;
il est plutôt rêveur et sentimental comme sa mère. C'est un
rural : il ne connaît l'Océan que par les récits de son père, et
par les souvenirs capricieux de sa septième année. Le pays
de Combourg et de Dol est tout son horizon. Horizon
médiocre ! Il faudra l'éloignement de l'exil et des ans pour
agrandir à son imagination les bois, l'étang, le château même.
Il est très ignorant 2 : il a appris au collège un peu de latin,
un peu de mathématiques, mais il ne lit pas. Que lirait-il ?
il n<y a pas de livres à Combourg. Il s'ennuie ou il rêve dans
sa chambre, regardant vaguement « le clocher de Féglise qu'on
1. Je me suis appliqué, dans cet article, à oublier les Mémoires d'Outre-
Tombe : c'est souvent une apologie, souvent un admirable poème lyrique; sauf
quelques pièces d'état civil, ce n'est jamais de l'histoire, même biographique. —
Sur le père de Chateaubriand, lire, dans la Revue (te Paris, 1926, 4, p. 167 et suiv.,
C. H. Outland, Les origines de Chateaubriand, et G. Collas, L'hérédité de Cha
teaubriand, Supptt littéraire aux Gazettes médicales, 18 mai 1927.
2. Au témoignage de Mme de Vaujuas, reproduit par M. Collas dans les
Annales de Bretagne, XXXIV, p. 446 et suiv. Mais le témoignage est absolument
confirmé par l'orthographe et l'écriture même des lettres, de 1790 à La Moran-
dais, Corresp., 1, p. 330 et suiv. J CHATEAUBRIAND ET « RENE ». 773
voyait au-dessus des arbres »3; il erre sous les chênes du
grand Mail ou dans la prairie du Moulin, au bord du Linon :
« Une fleur que je cueille, un courant d'eau qui se dérobe
parmi des joncs, un oiseau qui va s'envolant et se reposant
devant moi, m'entraînent à toutes sortes de rêves. » Tel il se
reconnaissait en 1837 : tel il avait été à Combourg, peut-être,
l'âme encore vague, les yeux novices.
Mais son père se lasse enfin de cette oisiveté : sur le conseil
du fils aîné, Jean-Baptiste, il lui procure une lieutenance au
régiment de Navarre infanterie. Et le voilà parti pour Cambrai,
et pour trois ans de vie militaire. Trois ans? Non. Les congés,
réguliers ou irréguliers l'emportent sur le service, et Cha
teaubriand est plus souvent à Paris ou en Bretagne qu'à
Cambrai ou à Dieppe. Son métier, d'ailleurs, ne l'intéresse
guère. Et il n'a pas l'ambition de son frère qui l'oblige à se
présenter à la Cour 4, ni même de sa mère qui lui fait recevoir
la tonsure pour entrer dans l'ordre de Malte 5. Il s'est épris de
littérature, lit beaucoup et, le reste du temps, rêve ou se
dissipe. Aucune mélancolie encore, une imagination enjouée,
à Fougères du moins où la compagnie lui plaît. « Je l'ai connu,
dit Mme de Vaiiju.is, lorsque ce goût de la littérature se décla
rait en lui Il donnait une tournure originale à ce qu'il
disait; il amusait d'un rien, de manière à ce que, si quelqu'un
eût voulu répéter ce qu'il avait dit, on n'y trouvait plus le
même charme, car il existait plus dans ses expressions que
dans ses pensées. Du reste, il jetait très bon, d'une société fort
douce, aimant les enfants et s'en occupant avec toute son
3. Génie -du Chr., I, i, 5.
4. Le 19 février 1787. Présentation malheureuse et qui ne put que fortifier
son amour de la retraite. Mais ce n'est pas dans les Mémoires, c'est dans l'Essai
sur les Révolutions, II, xvm, qu'il en faut lire le récit.
Selon l'Essai, le roi lui parla deux fois : la première lorsqu'il eut l'honneur
de lui être présenté, la seconde à la chasse. Il ne répète pas les paroles du roi;
il dit seulement : « Si à la chasse, vous passiez entre le cerf et lui, il était
sujet à des emportements, comme je l'ai éprouvé moi-même ». Et, dans l'Exem
plaire confidentiel, il a crayonné les mots du roi, puis il les a grattés. Omission
et grattage sont significatifs : Chateaubriand eut et fit mauvaise impression.
On dut lui conseiller de ne pas se présenter désormais à la Cour.
5. Le 16 décembre 1788. :
774 CHATEAUBRIAND ET « RENÉ ».
amabilité. » Bref, on le juge « aussi gai, aussi aimable qu'on
peut l'être » 6.
Mais la mélancolie perce bientôt. « Au moment de la Révol
ution, dit le même témoin, M. de Chateaubriand vint passer
du temps à Paris... A son retour en province, il était toujours
bon, spirituel, mais moins aimable. Il avait une exaltation
d'esprit que, loin de calmer, il voulait accroître. 11 ne rêvait
plus que déserts, solitudes et méditations, se permettant à
peine de sourire et, emporté par son caractère gai, riant
parfois de tout son cœur, malgré qu'il en eût... Il nous quittai!
souvent pour aller rêver sur les rochers et au bord des ruis
seaux, où sûrement il épuisait toute sa mélancolie, car à son
retour il était fort gai et fort aimable en dépit de lui-même. »
C'est peut-être sur ces rochers et au bord de ces ruisseaux
qu'il composait, en 1789, son IXe Tableau de la Nature, intitulé
V Amour de la Campagne. La campagne lui tient si fort à cœur,
même en prose, que, dans une lettre au chevalier de Châte-
net 7, il propose à son ami d'en chercher une « près de Paris
ou même en Bretagne », pour y finir leurs jours ensemble.
Car tous deux, lui dit-il, dans une autre lettre, ont un fond
commun de sensibilité et de mélancolie. Cette mélancolie est
peut-être plus sérieuse que ne le croit Mme de Vaujuas :
Chateaubriand, dès cette époque, souffre d'une plaie qui le
6. Au témoignage de Sainte-Beuve, il y a eu longtemps, chez le grand ennuyé,
de ces accès de gaîté juvénile, prolongés quelquefois par le désir d'étonner.
Chateaubriand et son groupe, il, pages 384 et 395. Cfr Lenorinant, Souvenirs et
Correspondance tirés des papiers de Mm Récamier, n, p. 438 : S'adressant à
Mme Récamier, Chateaubriand montre « dans les jugements qu'il porte sur les
événements et sur les personnes, beaucoup moins d'amertume et de sévérité
qu'il n'en a mis dans les Mémoires. C'est qu'il se laissait aller à la pente
naturelle de son caractère dans lequel, à travers une disposition à l'ennui, et
une mélancolie qui lui revenait sans cesse, il y avait néanmoins un fond de
sincérité et de bonhomie. L'admiration, l'adulation de ses contemporains, en
faisant passer M. de Chateaubriand à l'état d'idole... eurent pour lui le grand
Inconvénient de le faire poser... Simple et bon enfant » dans l'intimité, « il
suffisait de la présence d'un étranger et quelquefois d'un mot seulement, pour
lui faire reprendre son masque de grand homme et sa roideur. »
7. On s'étonne que M. Thomas n'ait pas corrigé, dans la première lettre de
Chateaubriand, à la ligne 6, cette évidente faute « de Dole à Entraigues ».
Il faut lire, sans aucun doute : de Dol à Antrain (sur la route de Saint-Malo
à Fougères). CHATEAUBRIAND ET « REKÉ ». 775
tourmentera toute sa vie, la plaie d'argent. Il s'amuse en
compagnie de jeunes officiers « roués », il joue, il fait des
dettes. Sa mère ni ses sœurs ne peuvent suffire à ses dépenses.
Son frère qui, en qualité d'aîné, a eu la grosse part de l'héri
tage paternel,

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