« Che manza fichi, semina rogna » : problèmes d'identification d'une dermatose au Moyen Age - article ; n°26 ; vol.13, pg 85-101

Marilyn Nicoud

Description

Médiévales - Année 1994 - Volume 13 - Numéro 26 - Pages 85-101
Che manza fichi, semina rogna : Problems of Identifying a Dermatosis in the Middle Ages - The evolution of medical concepts and of nosology often render the identification of diseases difficult in medical literature. This is notably the case with texts on dietetics, more concerned with suggesting rules for good health than with describing symptoms. Thus the mention of a specific affection, the rogna, in Libreto de tutte le cosse che se magnano by Michèle Savonarola, raises doubts as to the identification of the disease. Is it a case of scabies or of some other dermatosis ? To answer the question, one must endeavor to define the meaning of rogna and of its Latin equivalent, scabies. To this effect, a list of classical and medieval authors who have mentioned this particular affection has been constituted, since in the Universities medical knowledge was founded upon the reading of, and commentating on, the authorities. This approach, however, does not lead to a definite conclusion as to the meaning implied by the term rogna, the etiology of scabies being obviously far from clear in the fifteenth century.
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: MEDIEVALES
• Publié le: 01 janvier 1994
• Nombre de lectures: 17
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Madame Marilyn Nicoud
« Che manza fichi, semina rogna » : problèmes d'identification
d'une dermatose au Moyen Age
In: Médiévales, N°26, 1994. pp. 85-101.
Abstract
Che manza fichi, semina rogna : Problems of Identifying a Dermatosis in the Middle Ages - The evolution of medical concepts
and of nosology often render the identification of diseases difficult in medical literature. This is notably the case with texts on
dietetics, more concerned with suggesting rules for good health than with describing symptoms. Thus the mention of a specific
affection, the rogna, in Libreto de tutte le cosse che se magnano by Michèle Savonarola, raises doubts as to the identification of
the disease. Is it a case of scabies or of some other dermatosis ? To answer the question, one must endeavor to define the
meaning of rogna and of its Latin equivalent, scabies. To this effect, a list of classical and medieval authors who have mentioned
this particular affection has been constituted, since in the Universities medical knowledge was founded upon the reading of, and
commentating on, the authorities. This approach, however, does not lead to a definite conclusion as to the meaning implied by
the term rogna, the etiology of scabies being obviously far from clear in the fifteenth century.
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Nicoud Marilyn. « Che manza fichi, semina rogna » : problèmes d'identification d'une dermatose au Moyen Age. In: Médiévales,
N°26, 1994. pp. 85-101.
doi : 10.3406/medi.1994.1298
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1994_num_13_26_1298Médiévales 26, printemps 1994, pp. 85-101
Marilyn NICOUD
« CHE MANZA FICHI, SEMINA ROGNA » :
PROBLÈMES D'IDENTIFICATION
D'UNE DERMATOSE AU MOYEN ÂGE
L'étude des maladies décrites dans les ouvrages médicaux du
Moyen Âge présente de nombreuses difficultés, parce que la nosolog
ie est aujourd'hui différente, que les conceptions de la santé ont
changé, et que le même mot ne recouvre pas toujours une même réal
ité ; cela laisse le champ libre à l'approximation ou autorise des inter
prétations prudentes, notamment en l'absence de description précise
des symptômes1.
Ce problème se pose de façon plus aiguë dans le cadre des tex
tes diététiques dont la fonction n'est justement pas d'analyser les malad
ies, mais de proposer un ensemble de règles destinées à conserver
une bonne santé. Ces régimes évoquent les vertus et nocivités des six
choses non naturelles — air, sommeil et veille, exercice et repos, reple
tion et inanition, aliments et boissons, accidents de l'âme — qui
influencent l'équilibre des humeurs chez l'homme. Les maladies y sont
certes mentionnées, mais les symptômes et Pédologie sont évoqués
rapidement et ne permettent pas toujours de reconnaître les affections
citées.
Dans le chapitre sur les figues de son Libreto de tutte le cosse
che se magnano, Michel Savonarole évoque, en citant un aphorisme,
une maladie, la rogna. Les difficultés d'interprétation de cette affec
tion nous amènent à nous interroger sur la constitution du savoir
médical au Moyen Âge, tributaire à la fois de la transmission des auc-
toritates et des observations, sur les apports propres de l'auteur et
sur le statut des sentences au sein de son œuvre.
1. Pour ce qui concerne les problèmes d'identification des affections, voir l'étude
que Mirko D. Grmek consacre à certaines d'entre elles dans Les maladies à l'aube
de la civilisation occidentale, Paris, Payot, 1983, et notamment son chapitre d'intro
duction, pp. 11-34. 86 MARILYN NICOUD
Michel Savonarole et la littérature diététique
Michel Savonarole, médecin et auteur de nombreux ouvrages à
la fois politiques et médicaux, parmi lesquels une Practica maior, est
aussi l'auteur d'un texte diététique, le Libreto de lutte le cosse che
se magnano. Ce Padouan, né vers 1384, docteur en médecine dès
14122, est professeur à l'Université de Padoue ; il a été appelé à la
cour du marquis d'Esté, Nicolas III, à Ferrare, en septembre 1440,
en remplacement du célèbre Ugo Benzi3. C'est à ce titre de médec
in de cour qu'il a pu faire de Borso, parvenu au pouvoir en 1450,
le dédicataire de son Libreto4.
La littérature diététique médiévale, qui tire son origine des trai
tés hippocratiques et galéniques5, semble bénéficier au XVe siècle de
l'intérêt croissant d'un public de lettrés, soucieux de conserver une
bonne santé, comme l'atteste le grand nombre de régimes6 rédigés à
la fin du Moyen Âge7, souvent dédiés à de grands personnages du
2. Si l'on se réfère aux Acta graduum academicorum Gymnasii Patavini ab anno
n° 1406 270, ad 115-116, annum n° 1450 274. curantibus, Sur la vie C. de Zonta Michel et Savonarole I. Brotto, à Padova, Padoue, 1970, voir Tiziana I, 114,
Pesenti Marangon, « Michèle Savonarola a Padova : l'ambiente, le opère, la cultura
medica », Quaderni per la Storia dell'Università di Padova, 9-10, 1977, pp. 45-102 et
Ead., Professori e promotori di medicina nello Studio di Padova dal 1405 al 1509,
Padova, Lint, 1984. Pour le reste de la biographie concernant Michèle Savonarole,
voir les indications données dans l'édition que Jane Nystedt a faite du Libreto de
tutte le cosse che se magnano, Stockholm, Almquist & Wiksell International, 1988.
3. Ugo Benzi, originaire de Sienne, a enseigné dans de nombreuses universités ita
liennes ; il fut le médecin personnel de Nicolas III, marquis d'Esté, qui lui confia notam
ment une chaire à l'Université de Ferrare. Il est mort probablement vers 1439. Il est
l'auteur de consilia ; on lui a en revanche faussement attribué la paternité d'un régime
de santé. Voir à ce sujet la démonstration de Juliana Hill Cotton, « Benedetto
Reguardati, author of Ugo Benzi's Tractato de la conservatione de la sanitade », Medical
History, vol. XII, n° 1, janvier 1968, pp. 76-82.
4. En voici la dédicace : Ad Illustrent et Excelsum Principem, Dominum Borsum,
Marchionem Estensem libellus Michaelis Savonarolla phisici sui de rebus non naturali-
bus sex incipit féliciter (éd. J. Nystedt, op. cit., p. 57). La pratique de la dédicace
était courante au Moyen Âge ; elle permet à l'auteur de se prévaloir d'un lecteur illus
tre. Savonarole dédie ainsi au même Borso un traité sur les bains et thermes et à son
frère, Leonello, précédent marquis d'Esté, un sur les eaux ardentes.
5. Voir par exemple, le corpus hippocratique : De l'Ancienne Médecine, éd. J.
Jouanna, Paris, Les Belles Lettres, 1990 ; De l'Aliment, Paris, Les Belles Lettres,
tome 6, 1972 ; pseudo-Hippocrate, Du régime, éd. R. Joly, 1967 ; Galien, De
facultate alimentorum, in Opera Omnia, éd. C.G. Kuhn, 20 vol., rééd. Hildersheim,
1964-1965. Hippocrate est le premier à avoir insisté sur l'importance de la diététique
au sein de la médecine et a déclaré à son sujet : « en tout cas, ce qu'il me paraît
nécessaire pour un médecin de savoir sur la nature, et de chercher de toutes ses forces
à savoir, s'il a l'intention de remplir tant soit peu ses devoirs : c'est ce qu'est l'homme
par rapport aux aliments et aux boissons, ce qu'il est par rapport au reste de son genre
de vie, ce qui arrivera à chacun à la suite de chaque chose », De l'Ancienne Médec
ine, pp. 146-147.
6. Les regimina sanitatis constituent l'un des pans de la littérature diététique ; ces
ouvrages qui évoquent les six choses non naturelles intervenant dans le cadre de la
santé ont un rôle essentiellement préventif.
7. Si l'on en croit les réflexions d'un Bernard de Gordon, régent de la faculté PROBLÈMES D'IDENTIFICATION D'UNE DERMATOSE 87
temps. Le Libreto est-il, comme le pensaient Segarizzi et Belloni8, un
traité diététique de plus, à une époque où le genre est en vogue ? Une
analyse de l'ouvrage de Michel Savonarole montre en fait les trans
formations qu'il apporte à ce type de textes et le déplacement de
champ culturel.
A une époque où le latin, véhicule du savoir, est encore la lan
gue utilisée dans la majeure partie de la littérature médicale (à l'excep
tion de certains consilia9 en langue vernaculaire), le Libreto de tut te
le cosse che se magnano est rédigé en italien, peut-être en raison des
faibles