De la perception des couleurs à l aperception symbolique du monde - article ; n°1 ; vol.29, pg 119-140
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Description

Communications - Année 1978 - Volume 29 - Numéro 1 - Pages 119-140
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 142
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Serge Tornay
De la perception des couleurs à l'aperception symbolique du
monde
In: Communications, 29, 1978. pp. 119-140.
Citer ce document / Cite this document :
Tornay Serge. De la perception des couleurs à l'aperception symbolique du monde. In: Communications, 29, 1978. pp. 119-140.
doi : 10.3406/comm.1978.1437
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1978_num_29_1_1437Serge Tornay
De la perception des couleurs
à l'aperception symbolique du monde
Reflexion sur une conception
cognitive du symbolisme
23 décembre 1975 à Nakua, Ethiopie méridionale.
Interview du devin nyangatom Lojuko en présence de son collègue Lokoutom
et de Loceria.
— Quel est le travail d'un devin dans ce pays?
Lojuko: Mon travail, je te le dis, quand l'enfant de cet homme est malade,
l'enfant d'un tel, d'un tel, le devin est comparable à arebe (magnétophone ou
radio). Chez vous, les étrangers, peu de gens connaissent la radio ou l'écriture.
Il y a l'homme qui connaît la radio, celui qui connaît le papier. Il en est de même
du devin. Il jette ses sandales, il dort et il voit. Puis il fait son diagnostic et donne
son ordonnance. La chèvre, celle qui bêle là-bas, on la tue et on observe ses
entrailles. Les entrailles sont comme le papier que tu écris. Les sandales sont
comme cette radio. Quand on voit de quoi il s'agit, on donne une prescription.
C'est ainsi.
— Dans quelles circonstances vient-on te demander de jeter les sandales?
Lojuko: La maladie, les sandales. Quand une vache est malade, quand un
enfant est malade, quand une vache avorte, je dis : « Prends cette cinérite, fais-
en des onctions comme ci, comme ça. » Une cinérite peut échouer, la vache peut
ne pas guérir, un homme peut mourir. Seul le ciel est grand. Une autre fois,
l'homme guérit : elle était excellente, la robe que tu avais prescrite, excellente,
la cinérite. Si tu me consultes, je te dis : « Cherche telle plante et attache-la à. ton
corps. »
— Et le mauvais œil?
Lojuko: Voilà un sujet que les sandales connaissent bien. Tu lances les sandales,
hé... voilà sa piste... par-là, par-là... Prends cette cinérite, fais-toi des onctions.
Oh, ce parent n'est plus le même! Le consultant fait ses onctions, il noue sa médec
ine, il tue la chèvre de telle couleur. Il agit ainsi et guérit. Un autre meurt.
C'est ainsi.
— Et la cure à la calebasse?
Loceria: Quand un mauvais œil frappe quelqu'un, les gens ignorent d'où ça
vient. Ils vont consulter le devin qui dit : « Hé, c'est le mauvais œil qui a frappé.
Oh, c'est une femme, oh, c'est un homme. Le malade a mangé de la nourriture
touchée par le mauvais œil. Prends cette cinérite blanche, prends cette médecine
119 Serge Tornay
amakak. » II y a un mieux. Le malade se rend alors chez une guérisseuse pour la
cure à la calebasse. C'est un travail féminin.
Loceria à Lojuko : Lorsque quelqu'un vient te consulter pour un parent, te
demander de lancer les sandales, comment fais-tu pour trouver la réponse?
Lojuko: Ce qu'on voit, les sandales le voient; si l'homme guérit, les sandales
le voient. Le devin est comme le ciel. S'il voit quelque chose de caché, il te le dit.
Il est comme le ciel.
— Et dans le domaine de la guerre?
Devin Lokoutom : On en rêve la nuit et on la lit dans les entrailles.
Lojuko : On la voit endormi, comme à la radio : les ennemis tuent, tuent.
Alors tu dis : « Les ennemis arrivent par-là, par-là. Faites ceci, faites cela ».
— Qui te parle la nuit?
Lojuko: N'est-ce pas la terre, n'est-ce pas le ciel? Le ciel, chez tous les peuples,
les Turkana, les Toposa, comme on appelle leurs races. Quant aux étrangers,
leur chose, c'est le papier, la radio. Voilà leur devin.
Loceria : Comment décides-tu des robes des victimes?
Lojuko : On les voit. Le ciel te dit pendant la nuit : « Tue une chèvre comme ceci,
comme cela. »
— Avais-tu annoncé le dernier raid contre les Marile?
Lojuko: Les entrailles l'avaient prévu.
— Comment lis-tu les entrailles?
Lojuko: Comment lis-tu ton papier? Aucune différence. Voici des vaches, des
guerriers, des vaches qui viennent ; voici une tête, quelqu'un va mourir. Ce que tu
as hérité de ton père, c'est le papier. Ce que j'ai de mon père, moi, c'est la tête,
ce sont les sandales, les entrailles.
Loceria: Les médecines sont-elles identiques chez tous les devins, ou bien
chacun a-t-il les siennes?
Lojuko: Chaque devin a ses plantes, ses cinérites. Les plantes sont nombreuses :
le jujubier, si le ciel l'ordonne, l'acacia si le jujubier refuse de guérir le patient, le
ficus si l'acacia échoue, Y amakak si le ficus échoue, le cadaba si V amakak échoue;
si ce dernier échoue encore, c'est que le ciel tue la personne.
Loceria: Et les robes des chèvres?
Lojuko: On en essaie une. Si on n'a pas de succès, on en essaie une autre. De
même pour les cinérites. On essaie jusqu'à la guérison. Nombreuses, les cinérites :
la noire lotumukol, la mauve lewan, lokwamunyen la blanche, lopeat la jaune,
lokulan la tachetée... On les prend les unes après les autres. On dit aussi : cherchez
un ver dans la terre, une larve de fourmi. Cette larve est légère. Si on la mélange
à l'eau et à la cinérite, l'onction fait guérir le malade : il se lève.
— Et à l'approche de l'ennemi?
Lojuko: L'onction de mon père, dans ce cas, c'est la terre, la boue grise.
— Et quand la foudre menace?
Lojuko: La cinérite mauve, la jaune.
— N'est-ce pas plutôt la rouge?
Lojuko: Non, la rouge... p'ouuu... elle tue les gens.
— Pourquoi avait-on rapporté de Lokulan une cinérite violette il y a deux ans?
120 la perception des couleurs... De
Lojuko: Quand il pleut beaucoup, quand le tonnerre éclate la nuit, au petit
matin il faut oindre les zébus et leurs bergers de cinérite rouge, et les chèvres
aussi. A cause de la foudre qui a frappé le bétail.
— Et pour les maladies du bétail?
Lojuko: Les cinérites blanches, jaunes et mauves, pour le bétail comme pour
les gens.
En donnant d'emblée la parole au devin Lojuko, nous avons voulu placer cet
essai sous le signe du discours, un des lieux privilégiés de l'activité symbolique.
Or le discours de Lojuko est quelque peu déroutant si l'on se place dans la pers
pective traditionnelle de l'étude du symbolisme culturel : celle qui vise à « décrypt
er le sens des symboles », à élaborer en systèmes les significations symboliques.
Lojuko, bien qu'il esquisse une sémiologie des couleurs à la fin de son exposé
affirme à plusieurs reprises qu'il n'y a pas de système préétabli et qu'il convient,
dans les cures médicales, d'adopter une attitude purement empirique : seule la
tactique de l'essai et de l'erreur s'avère efficace dans le maniement des symboles.
Cette attitude anti-sémiologique, dont il faudra vérifier la cohérence en compar
ant le discours à la pratique de Lojuko, constitue à notre avis un indice de
validité de la théorie de D. Sperber dans le Symbolisme en général (1974). Notre
propos est le suivant : une théorie cognitive, non sémiologique, du symbolisme
permet-elle de mieux comprendre une pratique symbolique particulière, celle
des Nyangatom, éleveurs du sud-ouest éthiopien?
Le Symbolisme en général dévoile l'impasse dans laquelle les conceptions clas
siques, sémiologique, cryptologique et même freudienne — bien qu'ici l'arg
ument mériterait d'être approfondi — enfermaient l'étude du symbolisme.
L'auteur démontre d'abord ce que le symbolisme n'est pas : la symbolisation
n'est pas une forme de signification; les systèmes symboliques ne sont pas des
codes; le symbolisme ne relève pas de la sémiologie. Ces affirmations tiennent
même pour le structuralisme de Lévi-Strauss : « De même, quand on débarras
sera l'œuvre de Lévi-Strauss du fardeau sémiologique dont il se plaît à l'encomb
rer, on comprendra alors qu'il a, le premier, posé les fondements d'une analyse
du symbolisme enfin dégagée de l'idée absurde que les symboles signifient »,
(1974 : 95).
Une conception cognitive du symbolisme
La du développée sur la base de ces prél
iminaires repose sur l'hypothèse que « la symbolicité n'est une propriété
ni des objets, ni des actes, ni des éno

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