Dispositifs et rituels du seuil - article ; n°1 ; vol.70, pg 65-92
29 pages
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Description

Communications - Année 2000 - Volume 70 - Numéro 1 - Pages 65-92
28 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 54
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Mr Philippe Bonnin
Dispositifs et rituels du seuil
In: Communications, 70, 2000. pp. 65-92.
Citer ce document / Cite this document :
Bonnin Philippe. Dispositifs et rituels du seuil. In: Communications, 70, 2000. pp. 65-92.
doi : 10.3406/comm.2000.2064
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2000_num_70_1_2064Philippe Bonnin
Dispositifs et rituels du seuil :
une topologie sociale.
Détour japonais
La question du seuil chez Van Gennep.
On ne peut, censément, traiter la question du seuil sans retourner à
Van Gennep. Et pourtant, dans cette disposition d'esprit, la lecture et
l'étude de son ouvrage si fécond - en particulier son chapitre consacré
aux « seuils matériels » — laissent, au-delà d'un grand enthousiasme, une
impression mal aisée, difficile à définir. Sans doute s'y trouve-t-il plu
sieurs questions entremêlées.
En effet, il y a quelque paradoxe dans sa démarche. Alors même qu'il
traite en tout premier lieu des « passages matériels », dès le début de
l'ouvrage, juste après sa proposition de classification générale des formes
de rite, alors même qu'il semble attribuer, comme à la dérobée, une origine
spatiale, et pour tout dire topologique, aux rites de passage dans leur
ensemble *, cette spatialité disparaît presque aussitôt de son propos, n'est
pas plus examinée. Les « mondes » qu'il met de part et d'autre du seuil
deviennent métaphoriques, les diverses entités séparées par une frontière
ne retiennent rien de leur étendue originelle, ne sont plus que des
constructions idéelles. Il a souligné, comme en prémisses, leur caractéris
tique « idéale et matérielle à la fois » (p. 24), ce qui est incontestable,
sans donner cependant toute la mesure de ce fait. Les rituels de « pas
sage », étudiés selon sa fameuse trilogie séparation-marge-agrégation,
s'éloignent radicalement du pas physique originel, à travers la marche,
et décrivent plutôt la transformation d'état dans une société, de statut
social, de génération ou de classe d'âge « qui chez les demi-civilisés [n'est
jamais] absolument indépendant du sacré » (p. 3). La spatialité du pas
sage n'est plus qu'une lointaine image métaphorique ayant servi d'expli
cation des origines.
Effectivement, l'épreuve spatiale et temporelle du monde est première,
65 Philippe Bonnin
fondatrice, structurante, et sert de modèle à son intelligibilité. Mais elle
ne cesse pour autant d'exister, de se répéter quotidiennement, et constitue
une double dimension obligée de tout fait social. On rentre chez soi chaque
jour, on franchit le seuil de sa maison ou de son appartement, réalisant
un rituel à son insu, sans pour autant changer de statut ou de catégorie
sociale. On ne saurait la réduire au rang de métaphore, ni à un simple
moyen, ni à un symbole : l'éthologie humaine contemporaine nous montre
combien la territorialité autant que l'échange symbolique sont essentiels,
au fondement du rapport social. En définitive, le domaine infiniment
riche du franchissement concret des seuils est à peine effleuré dans ce
chapitre2. D'où quelque déception.
C'est aussi la matérialité dont le statut est pour le moins obscur dans
son analyse. Elle y apparaît en général comme indifférente, et sans consé
quence, envisagée seulement comme « moyen », support de « signes3 »,
de « procédés ». C'est poser la question du rapport de la société considérée
avec ces moyens. Questions aussi que celle du choix de ces moyens, que
l'effet en retour de ceux-ci (selon leur perdurance, selon la complexité du
système de signes qu'ils mettent en œuvre). À terme, il s'opère fréquem
ment une sorte de « renversement » entre ces dits moyens et la finalité
sociale initiale, par effet de sur-symbolisation, lorsque les moyens, deve
nus faits matériels, tangibles et durables, sont à leur tour symbolisés. On
ne peut sinon comprendre les rites consacrés aux linteaux, à l'architrave,
à la pierre de seuil comme à autant de fétiches du seuil.
Cette manière de poser les questions va évidemment à contresens du
mouvement intellectuel de l'époque de Van Gennep. Collectant un grand
nombre d'observations folkloristes, mais dont beaucoup manqueraient
aujourd'hui de la plus élémentaire précision, sur des faits étonnants mais
incompréhensibles à l'époque, il voit se dessiner un schéma explicatif,
une théorie générale des rites de passage, qui leur donne sens. Le mou
vement d'abstraction est alors dominant, constant, comme vers un pôle
positif et valorisant du travail scientifique; se dégageant d'une gangue de
concrétude. L'observation, la relation et l'établissement des faits empiri
ques sont relégués au rang d'utilités, et bien souvent galvaudés. Ce mou
vement d'abstraction était peut-être nécessaire à l'époque : il a permis de
passer du folklorisme à une véritable ethnographie. Il n'en demeure pas
moins qu'il a masqué des questions essentielles.
Succinctement dit, le statut de la dimension matérielle et spatiale des
rites de passage, le rapport de la société à la matérialité précisément, est
évacué de l'analyse. On passe alors à côté de champs entiers d'interro
gation, comme si la spatialité et la matérialité des seuils n'étaient qu'un
péché originel.
66 et rituels du seuil Dispositifs
Au cœur d'une anthropologie de l'espace.
La question des limites et du seuil apparaît comme l'élément central
d'une nécessaire topologie sociale 4. Arts et sciences de l'étendue reposent
à l'origine sur le fait que celle-ci a été morcelée puis organisée, que des
espaces, des territoires différents ont été définis, . délimités, porteurs de
sens ; que dans les limites matérielles et symboliques qui les séparent ont
été ménagés des négations, des trous, des possibilités de passage. Ces
opercules, dispositifs à topologie variable — la porte, le portail, la fenêtre
même, et bien d'autres sont les figures différentes de ¥ opercule, du per
cement dans la limite, de sa négation locale -, réalisent l'impossible : être
simultanément une chose et son contraire, exister potentiellement dans
les deux états — ouvert et fermé — qui caractérisent la limite ou son
absence. Ce prodige quotidien se réalise en un lieu qui focalise toutes les
puissances convoquées dans la construction des espaces, toutes les valeurs
investies de part et d'autre de la limite, un lieu qui régule les flux matériels
et les fuites du sens selon de rigoureux droits et rituels de passage, et pas
seulement dans les sociétés « à demi civilisées » que considère Van Gen-
nep : c'est le seuil.
En raison du survol un peu rapide qu'il opère, Van Gennep confond
seuil ou porte et limite0. Ce contresens conduit à esquiver un riche
domaine d'interrogation, une théorie des limites en quelque sorte, et à se
méprendre en partie sur la signification du seuil et de la porte. Il les
assimile à une sorte de résumé, de rétrécissement de la zone de marge
entre deux mondes, entre deux territoires, la marche des royaumes féo
daux. « Alors la zone neutre se rétrécit progressivement, jusqu'à n'être
[...] qu'une simple pierre, qu'une poutre, qu'un seuil» (p. 25). C'est
perdre là l'essentiel de l'intense signification de cet objet.
En effet, si le mouvement est bien celui d'un rétrécissement de l'espace,
d'un rapprochement des territoires, l'ici et Tailleurs, la zone de flou ou
de marge qui les séparait ne s'incarne pas dans le seuil, mais tout au
contraire dans la limite. La porte est, à l'inverse, la négation, locale et
très particulière, de la frontière, de la limite, du mur. Elle est le percement
qui permet le passage, à certaines conditions, du seuil.
Pourquoi les sociétés éprouvent-elles si généralement le besoin
d'enfouir dans le concret, dans les gestes et les ritualisations symboliques,
un sens (structures sociales, représentations du monde social et naturel)

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