Du bleu et du noir : éthiques et pratiques de la couleur à la fin du Moyen Âge - article ; n°14 ; vol.7, pg 9-21
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Description

Médiévales - Année 1988 - Volume 7 - Numéro 14 - Pages 9-21
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 67
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Michel Pastoureau
Du bleu et du noir : éthiques et pratiques de la couleur à la fin du
Moyen Âge
In: Médiévales, N°14, 1988. pp. 9-21.
Citer ce document / Cite this document :
Pastoureau Michel. Du bleu et du noir : éthiques et pratiques de la couleur à la fin du Moyen Âge. In: Médiévales, N°14, 1988.
pp. 9-21.
doi : 10.3406/medi.1988.1097
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1988_num_7_14_1097Michel PASTOUREAU
OU BLEU AU NOIR
Éthiques et pratiques de la couleur à la fin du Moyen Âge
le peintre, le teinturier et le théologien : tels sont les trois p
cialistes » de la couleur dans l'Occident médiéval. On pourrait leur ad
joindre le héraut d'armes, expert en blasons, bannières et livrées, même
si c'est un tard venu sur le champ social et si la frontière est longtemps
restée floue qui séparait le monde des hérauts de celui des peintres1. On
pourrait leur adjoindre aussi plusieurs représentants de corps de métiers
qui, à un titre ou à un autre, entretiennent avec le monde des couleurs
des rapports plus ou moins étroits : le tailleur et le drapier, l'orfèvre et
l'cmailleur, l'alchimiste et le médecin, par exemple. Mais aucun d'eux
ne joue véritablement dans le domaine de la fabrication, de la vogue et
de la morale des couleurs un rôle comparable à celui du peintre, du
teinturier et du théologien.
(xs trois personnages exercent les uns sur les autres des influences
beaucoup plus fortes qu'on ne pourrait le croire de prime abord. F,n
matière de couleurs, la technique et la symbolique sont inextricablement
liées, et il serait vain pour l'historien d'étudier l'une en délaissant l'autre.
Toutefois, dans les incessants allers et retours entre la chimie des pig
ments et les enjeux idéologiques de la couleur, il me semble que ce sont
presque toujours ces derniers qui sont prioritaires et qui déterminent les
choix, les pratiques, les modes et les systèmes de valeurs. Pour l'homme
du Moyen Âge, ce qui relève du domaine idéologique et symbolique est
toujours plus important et plus contraignant que ce qui relève du do
maine chimique ou technique. J'ai montré ailleurs2, à propos de la
1.1* plupart des peintres, du XIIIe au xve siècle, ont gagné leur vie en peignant non
pas de grandes œuvres d'art mais des ecus, des bannières, des enseignes et des décors
héraldiques; ces tâches ingrates les mettaient en contact étroit avec les hérauts d'armes
(dont certains étaient eux-mêmes peintres) et créaient un lien privilégié entre l'héraldique
et la peinture. En allemand, les termes Schilder et Schildern sont restes des termes courants,
jusqu'au XIXe siècle, pour désigner le peintre et l'action de peindre; or ces termes sont
dérivés du mot Schild qui désigne l'écu.
2. « Et puis vînt le bleu », Europe, n° 654, oct. 1983, p. 43-50 ; « I & bleu en peinture », n* Sophie. Revue de mode et de philosophie, p. 3 1-33 ; « Vers une histoire de la cou2, 1986,
leur bleue », préface au catalogue de l'exposition Sublime Indigo, Marseille, 1987, p. 19-27. 10
« révolution bleue » des XIIe et XIIIe siècles, comment se positionnaient
ces différents domaines, et comment la promotion nouvelle de cette
couleur était d'abord un phénomène de symbolique religieuse - par
tiellement lié au développement du culte mariai — puis un phénomène
de symbolique sociale — à un nouvel ordre de la société correspond un
nouvel ordre des couleurs, au sein duquel le bleu joue désormais un rôle
polaire, au même titre que le blanc, le rouge et le noir — bien avant
d'être le produit du progrès des techniques tinctoriales, de la chimie des
colorants ou des préoccupations esthétiques des artistes. C'est parce que
les organisateurs de systèmes symboliques - le théologien et, à sa suite,
le héraut d'armes ou le poète - ont eu besoin d'un nouveau pôle de la
couleur (le bleu) que les teinturiers, qui pendant des siècles, voire pen
dant des millénaires, avaient été en Occident incapables de teindre des
draps dans de beaux tons bleux, intenses et lumineux, ont soudainement
(entre 1180 et 1250) été capables de le faire. Par là même, ils ont
contribué à la valorisation très forte de cette couleur dans le textile et
dans le vêtement, au point qu'elle a fini, vers la fin du règne de saint
Ixwis, par devenir la couleur par excellence du vêtement royal.
Or ce qui est vrai des teinturiers l'est aussi des enlumineurs, des
émailleurs, des peintres verriers et de tous ceux qui mettent en scène la
couleur dans les images, dans les programmes artistiques et dans la vie
quotidienne.
Des coûts et des couleurs
Mais le processus ne s'arrête pas là, car, en sens inverse, la diffusion
et la progression des nouvelles gammes de bleus dans ces différentes
techniques et dans ces différents arts infléchissent, déplacent, enrichis
sent la symbolique de cette couleur et réorganisent à leur tour les sy
stèmes de valeurs qui s'y rattachent. En outre, entre les codes idéologi
ques et les impératifs techniques s'immisce un troisième paramètre, lié
aux deux premiers et pouvant exercer sur eux une influence considéra
ble : le paramètre économique. A la fin du Moyen Âge, en effet, les
problèmes de la couleur sont aussi et surtout des problèmes d'argent.
Prenons l'exemple du manteau de la Vierge. À partir du XIIIe siècle
(un peu avant, même, en certaines régions) il doit être bleu pour des
raisons à la fois symboliques et iconographiques. Mais ce bleu peut être
de n'importe quelle nuance, celle que nous appellerions aujourd'hui
azur, turquoise, indigo, outremer, etc.; cela n'a aucune importance ni
aucune signification. Ou plutôt cela dépend des préoccupations de
l'artiste, du support sur lequel il travaille, de la façon dont il veut faire
agir ce bleu sur les autres couleurs. Cela dépend aussi de ses connais
sances techniques, des recettes de son atelier, des pigments disponibles
sur le marché, à cette date, en ce lieu, pour ce prix. Car cela dépend
surtout, du moins pour les œuvres de grande qualité, des désirs du
commanditaire, de la somme qu'il est prêt à payer pour financer l'achat de telle ou telle matière colorante, destinée à peindre en bleu le manteau
de la Vierge sur la verrière, la fresque, le panneau de bois ou l'enlumi
nure qu'il fait exécuter. Chaque technique, chaque support de la création
artistique possède sa gamme de pigments bleus, du plus ordinaire, tel
celui tiré de baies (comme la mûre ou la myrtille) mélangées à un peu
de guède, jusqu'au plus coûteux, tel le précieux lapis lazuli3.
Aux XIVe et XVe siècles, de nombreux contrats passés entre les ar
tistes et leurs commanditaires précisent ainsi la nature et le prix des
pigments qui devront être employés pour telle zone ou tel élément de
l'œuvre, notamment pour ce qui concerne les rouges, les bleus et les ors.
Ces pratiques, parfois notées sinon analysées par les érudits du XIX*
siècle, sont aujourd'hui souvent négligées, voire méconnues des histo
riens de l'art, alors qu'elles constituent un témoignage primordial sur
l'essence même de la création picturale à la fin du Moyen Âge. Toute
peinture est d'abord une question de couleurs, donc une question de
prix. Fort heureusement, après quelques autres, l'ouvrage déjà ancien
de Michael Baxandall4 vient de rappeler l'importance de ces pratiques
et, à partir de quelques exemples concrets, d'en démonter les modalités.
Ces contrats soulignent combien les questions artistiques et les questions
économiques sont ici totalement interdépendantes. Toute œuvre d'art est
d'abord une affaire d'argent, y compris et surtout pour ce qui concerne
ses couleurs. Toute œuvre d'art a à voir avec le pouvoir de l'argent et,
en retour, est un instrument de pouvoir, un signe de pouvoir.
Ces contrats nous apprennent également à ne pas lire à partir des
seules données visuelles les couleurs d'un tableau, d'une fresque ou d'un
vitrail. Pour prendre un exemple volontairement grossier, ce n'est pas
parce que le manteau de la Vierge paraît, en termes de coloration, «du
même bleu » que tel ou tel autre élément de l'image qu'il aura le m&#

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