Du livre au livre - article ; n°31 ; vol.6, pg 39-67
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Description

Réseaux - Année 1988 - Volume 6 - Numéro 31 - Pages 39-67
29 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 66
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Roger Chartier
Editions Rivages
Du livre au livre
In: Réseaux, 1988, volume 6 n°31. pp. 39-67.
Citer ce document / Cite this document :
Chartier Roger, Editions Rivages. Du livre au livre. In: Réseaux, 1988, volume 6 n°31. pp. 39-67.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_0751-7971_1988_num_6_31_1288DU LIVRE AU LIVRE
Roger CHARTIER
Ed. Rivages Ce texte voudrait, avant tout, interroger les conditions de
possibilité d'une histoire des pratiques de lecture, rendue difficile
à la fois par la rareté des traces directes et la complexité
d'interprétation des indices indirects. Le point de départ d'une
telle interrogation s'enracinera ici dans les acquis, et aussi les
limites, de ce qu'a été jusqu'à aujourd'hui l'histoire de l'imprimé.
Depuis une vingtaine d'années, en effet, les études d'histoire du
livre ont multiplié, pour l'Ancien Régime français, les pesées de
la production imprimée et les mesures de son inégale possession
par les différents milieux sociaux. A l'inventaire idéal de tous les
livres imprimés en un site et un temps donnés (Paris au XVIIe
siècle, le royaume tout entier au XVIIIe) a fait écho le repérage de
la présence différentielle de l'imprimé, constatée généralement
d'après la leçon des inventaires après décès. Les deux approches
ont pu susciter la critique, parce que les livres publiés dans le
royaume ne sont pas, tant s'en faut, les seuls qui y circulent en
des siècles où sont fort actifs les éditeurs qui impriment en
français hors des frontières, parce que la possession privée du
livre non seulement n'est que lacunairement enregistrée par des
inventaires incomplets et hâtifs, mais encore ne constitue pas le
seul accès possible à l'imprimé, qui peut être consulté en
bibliothèque ou dans un cabinet de lecture, loué à un libraire,
emprunté à un ami, déchiffré en commun dans la rue ou l'atelier,
lu à haute voix sur la place publique ou à la veillée.
Mais surtout les dénombrements des livres imprimés ou
possédés manquent une question centrale, celle des usages, des
41 des formes d'appropriation et de lecture des maniements,
matériaux imprimés. Or, il est clair que c'est des réponses à ce
questionnaire neuf que dépend maintenant une nouvelle avancée
d'une histoire de l'imprimé entendue comme histoire d'une
pratique culturelle. Le construire suppose que soient réévaluées
critiquement deux traditions qui pèsent implicitement ou
explicitement sur la démarche historienne. La première est
ancienne et lit les textes en ignorant leurs supports. Les textes
anciens qui servent à écrire l'histoire sont considérés comme
porteurs d'un sens indifférent à la matérialité de l'objet manuscrit
ou imprimé à travers lequel il se donne, constitué une fois pour
toutes, identifiable grâce au travail critique. Contre ce postulat,
une histoire du lire affirmera que les significations des textes,
quels qu'ils soient, sont construites différentiellement par les
lectures qui s'en emparent. De là* une double conséquence. Tout
d'abord, donner à la lecture le statut d'une pratique créatrice,
inventive, productrice, et non pas l'annuler dans le texte lu
comme si le sens voulu par son auteur devait s'inscrire en toute
immédiateté et transparence, sans résistance ni déviation, dans
l'esprit de ses lecteurs. Ensuite, penser que les actes de lecture qui
donnent aux textes des significations plurielles et mobiles se
situent à la rencontre de manières de lire, collectives ou
individuelles, héritées ou novatrices, intimes ou publiques, et des
protocoles de lecture déposés dans l'objet lu, non seulement par
l'auteur qui indique la juste compréhension de son texte mais
aussi par l'imprimeur qui en compose, soit avec une visée
explicite, soit sans même y penser, conformément aux habitudes
de son temps, les formes typographiques.
Une histoire de la lecture doit se bâtir aussi contre la tradition,
plus récente, de la sociologie historique de la culture. Celle-ci
s'est donné deux objectifs fondamentaux : établir des corrélations
entre appartenances sociales et productions culturelles, identifier
les objets (par exemple des textes et des imprimés) propres aux
différents milieux sociaux. Cette approche, féconde en résultats,
qui tendait à caractériser culturellement les groupes sociaux ou
socialement les produits culturels, peut suggérer une réflexion
critique. En effet, les modalités d'appropriation des matériaux
culturels sont sans doute autant, sinon plus distinctives que
l'inégale distribution sociale de ces matériaux eux-mêmes. La
constitution d'une échelle des différenciations socio-culturelles
exige donc que, parallèlement aux repérages des fréquences de
42 tels ou tels objets en tel ou tel milieu, soient retrouvées, dans
leurs écarts, leurs pratiques d'utilisation et de consommation. Ce
constat, qui a valeur générale, trouve une validité toute
particulière dans le cas de l'imprimé. Dans les sociétés d'entre
XVIe et XVIIIe siècle, les matériaux typographiques (y compris le
livre) semblent avoir été plus largement présents et partagés
qu'on ne Га longtemps pensé. La circulation des mêmes objets
imprimés d'un groupe social à l'autre est sans doute plus fluide
que ne le suggérait un trop rigide cloisonnement socio-culturel,
qui faisait de la littérature savante une lecture des seules élites et
des livres de colportage celle des seuls paysans. En fait, sont
maintenant bien attestés tant le maniement de textes savants par
des lecteurs qui ne le sont pas que la circulation, ni
exclusivement, ni peut-être même majoritairement populaire des
imprimés de grande diffusion. De mêmes textes et de mêmes
livres sont l'objet de déchiffrements multiples, socialement
contrastés — ce qui doit nécessairement amener à compléter
l'étude statistique des distributions inégales par celle des usages et
des emplois. Ajouter donc à la connaissance des présences du
livre celle des façons du lire.
L'accès au lire
Ceci suppose, d'abord, que mesure puisse être prise de
l'importance de la population capable de lire dans la société
ancienne. En comptant les signatures dans les actes de mariage,
les études classiques de l'alphabétisation ont pensé donner
réponse à la question, identifiant le pourcentage de la population
alphabétisée, apte à lire et écrire, avec celui des conjoints sachant
signer. Une telle équivalence, globalement vraie au XIXe siècle,
mérite révision pour l'Ancien Régime où le nombre des lecteurs
potentiels est sans doute plus élevé, et peut-être de beaucoup, que
ne le laisse supposer le comptage des signataires. L'hypothèse a
été construite pour l'Angleterre du XVIIe siècle à partir d'une
analyse minutieuse des journaux autobiographiques qui, certes,
majorent le poids des puritains mais émanent de tous les milieux
sociaux, y compris ceux des petits tenanciers ou des journaliers '.
Deux constats à les lire : d'une part, l'acquisition de la maîtrise de
la lecture est faite avant sept ans, généralement hors l'école, grâce
aux soins de la mère, d'une femme ou d'un pasteur faisant office
de pédagogue ; d'autre part, ce n'est que dans la huitième année,
43 généralement à la grammar school, qu'est mené à bien
l'apprentissage de l'écriture. Or, c'est justement entre sept et huit
ans que les garçons des milieux les plus pauvres sont mis au
travail, pour apporter un revenu complémentaire ou un surplus
de bras. A sept ans, l'enfant entre dans un monde adulte qui peut
exiger de lui les premiers exercices militaires, un travail
manufacturier (ainsi dans les workhouses), une participation à
l'économie familiale. Il en résulte que la population des lecteurs
potentiels doit être plus large que celle des signataires, surtout en
milieux populaires, puisque les textes confirment que la signature
appartient à l'apprentissage de l'écriture, commencé seulement à
un âge où un grand nombre de lisants sont déj&

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