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Publié par | MATERIAUX_POUR_L-HISTOIRE_DE_NOTRE_TEMPS |
Publié le | 01 janvier 2004 |
Nombre de lectures | 20 |
Langue | Français |
Extrait
Histoire des
Camille LEFEBVRE
frontières du Niger
1. Pour une analyse plus
précise et référencée de
l’évolution de la pensée
sur les frontières, je me
permets de renvoyer à la
lecture de mon mémoire Les frontières sont des objets de mythes et de toriques à part entière. La science historique récupèrede DEA, Les frontières du
Niger, rédigé sous la passions. Guerres, conflits, disputes, revendications, le thème des frontières des autres sciences, mais sans
direction de Pierre Boilley appartenances, nations, territoires, identités, États, les en faire évoluer les concepts au regard de ses propres(Université Paris 1) en
thèmes auxquels elles se rapportent sont de premier pratiques scientifiques.2003 (voir en particulier
les pages 36 à 39). Un ordre et les polémiques à la hauteur des enjeux qu’elles C’est encore une fois un ouvrage qui n’a pas étéexemplaire de ce représentent. Leur caractère passionnel amène à semémoire peut être écrit par un historien qui fait aujourd’hui évoluer la
consulté à la BDIC. demander comment penser les frontières de manière pensée sur les frontières. Dans Fronts, frontières, un
2. Michel Foucher, Fronts, scientifique. Plusieurs sciences humaines s’y sont atte- 2tour du monde géopolitique , Michel Foucher replace
frontières, un tour du 1lées . On peut observer trois temps dans la pensée sur en effet la réflexion sur les frontières dans un cadremonde géopolitique,
les frontières.Paris, Fayard, 1994. purement scientifique. On peut alors observer la nais-
e 33. Voir par exemple les À la fin du XIX siècle, les frontières deviennent des sance d’une pensée historique sur les frontières , et la
travaux de Daniel objets scientifiques étudiés par le droit et la géographie. création d’outils théoriques spécifiques à l’histoire, quiNordmann, comme son
Le développement de l’État-nation en Europe fait permettent de réinscrire l’idée de frontière dans uneouvrage Frontières de
France, De l’espace au d’elles un des terrains privilégiés du droit, puisqu’il est historicité et dans la durée.
territoire (Paris, Gallimard, désormais chargé de les fixer : elles sont à la fois des En histoire de l’Afrique, la réflexion sur la question1998) ou son article « Les
espaces frontières » paru objets d’études et des productions du droit. La géogra- des frontières s’est longtemps focalisée autour de trois
dans le numéro 5, de phie, à travers l’avènement de la géopolitique et de la grands axes critiques. D’abord, elles étaient considé-septembre-octobre 2003,
géographie historique, les convertit aussi en un objet rées comme absurdes et artificielles, produits d’impor-des Annales.
d’étude à part entière. Mais les compromissions de la tations imposés sans réflexion et sans logique, au4. Voir par exemple
Hildebert Isnard, géopolitique allemande avec le nazisme incitent les mépris des structures humaines et géographiques exis-
Géographie de la géographes à refuser de s’impliquer désormais en poli- tantes, sur un continent auquel était étranger ledécolonisation (Paris, Puf,
tique, éloignant pour près de trente ans la géographie1931) ; Boutros Boutros- concept de division politique et territoriale. Puis, c’est
Ghali, Les conflits de de l’objet frontière. la gestion coloniale qui était montrée du doigt pour
frontières en Afrique
Dans les années 1970, les frontières redeviennent son aspect coercitif : non content d’avoir créé des(Paris, Éditions techniques
et économiques, 1973) ; un thème important pour les sciences humaines. Le aberrations territoriales, les colonisateurs les auraient
Jean-Louis Dufour, Les droit, la géographie de nouveau, puis la sociologie et gérées en dépit du bon sens. Enfin, ce sont les consé-
confins du territoire
l’anthropologie s’y intéressent, en particulier à travers quences du découpage qui étaient dénoncées : cesmilitaire du Niger pendant
la grande guerre, Air, l’essor de la recherche sur les problématiques du tiers- frontières étaient considérées comme génératrices
Tibesti, Kaouar (mémoire monde. Le sens du concept est élargi, et inclut alors d’effets négatifs multiples ; elles auraient empêché lede maîtrise de l’Université
l’ensemble des discontinuités humaines, économiques, développement, freiné l’expansion, et seraient à l’ori-Paris I, année scolaire
1973-74) ; Gérard ethniques, culturelles, linguistiques, sociales et men- gine de migrations, de déséquilibres de population et
Fourage, La frontière
tales. La pensée sur les frontières se développe dans un même de conflits. Elles auraient créé des pays auxméridionale du Niger, de
la ligne Say Barroua à la sens pluridisciplinaire. Face à ce nouvel engouement, limites absurdes, qui par conséquent ne pourraient
frontière actuelle (thèse de les historiens participent à ces recherches, mais sans connaître un développement « normal ».
doctorat, Université
jamais considérer les frontières comme des objets his-Toulouse le Mirail, 1974) ; Ce raisonnement développé par des géographes,
ou encore Abdelmoughi 4des anthropologues et des historiens a longtemps été
Benmessaoud Tredano,
considéré comme le seul valide, et toute réflexion surIntangibilité des frontières
et espace étatique les frontières africaines ne s’y conformant pas était sus-
en Afrique (Paris, pectée de vouloir réhabiliter la colonisation. Cette pen-Bibliothèque africaine et CAMILLE LEFEBVRE, est doctorante en histoire à Paris I.
sée était issue d’une histoire militante, d’une écrituremalgache, 1989).
DE LA NÉCESSITÉ D’UNE RELECTURE CRITIQUE D’UN TABOU HISTORIOGRAPHIQUEVaria • 19
CARTE N° 1 : Les frontières du Niger. Extraite de Camille Lefebvre, Les frontières du Niger…, op. cit., p. 4.
de combat, née pour lutter contre les crimes de la colo- premier temps, retrouver les processus d’élaboration de
nisation. L’Afrique y était considérée comme un conti- chacune des frontières, afin de comprendre la logique
5. Michel Foucher,nent global, uni et harmonieux, le mal ne pouvant ou l’absurdité des choix qui ont été effectués. Dans un
Fronts, frontières, un tourdonc que venir de l’extérieur. deuxième temps, il paraît nécessaire d’observer de
du monde géopolitique,
manière rigoureuse les modes de gestion coloniale du op. cit.Dans sa partie concernant les frontières africaines,
5 territoire. Enfin, étudier toutes les frontières d’un même 6. Voir par exemplel’ouvrage de Michel Foucher publié en 1990 remit en
Catherine Coquerypays permet d’interroger révolution des processuscause cette doxa et introduisit un questionnement et un
Vidrovitch (dir.),d’appropriation du territoire et de l’État.argumentaire fondamentalement nouveaux. Dénonçant Problèmes de frontière
dans le tiers-mondel’inopérance des raisonnements utilisés jusqu’alors, il
(Paris, L’Harmattan,plaidait pour une étude approfondie, et au cas par cas,
1982) ; et Colette
de chacune de ces frontières, afin de construire et de Critique de la notion Dubois, Marc Michel et
Pierre Soumille,définir de nouvelles problématiques. C’est en suivant d’artificialité Frontières plurielles,cette logique qu’un certain nombre de travaux ont été frontières conflictuelles
6entrepris en histoire de l’Afrique . en Afrique subsaharienneGuerre, famine et instabilité politique ont long-
(Paris, L’Harmattan,Cette étude a pour but d’observer les processus qui temps été expliquées en Afrique par le mauvais décou- 2000) — ces deux
mènent d’un espace physique indéterminé vers un page colonial. Les puissances européennes auraient ouvrages sont les actes
de deux colloques — ;espace édifié en pays : l’espace nigérien est étudié opéré une partition arbitraire du continent, qui aurait
ou bien encore lecomme un espace en construction. Cela posé, si la divisé des groupements homogènes et des aires lin- mémoire de maîtrise de
construction historique du territoire nigérien est bien guistiques unifiées. Les Africains seraient restés passifs, Christelle Jus, La
rectification de laévidemment singulière et connaît des particularités, se laissant imposer des frontières qui seraient donc
frontière soudano-elle n’est cependant pas pour autant le produit d’une entièrement exogènes et ne correspondraient en rien maurétanienne, 5 juillet
histoire spécifique : au-delà de ses spécificité, l’étude aux réalités culturelles, humaines,