Hygiène et souci de soi - article ; n°1 ; vol.56, pg 25-39
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Description

Communications - Année 1993 - Volume 56 - Numéro 1 - Pages 25-39
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 13
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Roselyne Rey
Hygiène et souci de soi
In: Communications, 56, 1993. pp. 25-39.
Citer ce document / Cite this document :
Rey Roselyne. Hygiène et souci de soi. In: Communications, 56, 1993. pp. 25-39.
doi : 10.3406/comm.1993.1846
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1993_num_56_1_1846Roselyne Rey
Hygiène et souci de soi
dans la pensée médicale des Lumières
XVIIIe Du siècle discours et qui hygiéniste tend à qui investir se développe tous les aspects dans la de seconde la sphère moitié publi du
que, comme le suggère la réflexion sur les exigences d'une bonne « police
médicale», on a retenu la médicalisation de la société, tandis que son
investissement croissant dans la sphère privée débouchait sur une morale,
au point que Ménuret de Chambaud, un des principaux collaborateurs
médicaux de Y Encyclopédie, pouvait écrire, anticipant par là les idées
de Cabanis : «peut-être est-il vrai que, pour être un bon moraliste, il
faut être excellent médecin1». Mais ce primat de la médecine, de la
connaissance de la physiologie des sensations et des passions2 a été
souvent interprété à travers l'exemple de Tissot et de son célèbre Essai
sur la Santé des Gens du Monde ou de son Traité de l'Onanisme, promu
un peu vite au rang de paradigme de l'ensemble du discours médical.
Plutôt que de procéder à une inversion pure et simple de l'interpréta
tion qui a été faite du discours hygiéniste, et de le tirer dans un sens
hédoniste, il est possible, à la suite des historiens de la sensibilité, des
historiens du corps3, de reconstruire un espace où un discours médic
al s'essaierait à définir le rapport du sujet à son propre corps comme
un enjeu, un objet d'attention, qui ne se réduirait pas à la conservation
de la santé, qui ne se satisferait pas des dichotomies classiques de la
nature et de l'artifice, du besoin et du luxe, de la santé et de la maladie.
Bref, il s'agirait de retrouver d'autres voix, au siècle des Lumières, pour
dire la présence au monde dans et par le corps, pour reconnaître le prix
infini de cette enveloppe charnelle, traditionnellement méprisée. La
« culture des apparences 4 » permet de prendre la mesure de ce « souci
de soi» : parure, vêtement, cosmétiques jouent ici comme indices
convergents d'une transformation plus profonde, inséparable de la ques
tion : « Qu'est-ce qui fait que je suis moi ? », et cette constitution du sens
intime, du «corps propre5», passe simultanément par la réflexion phi-
25 Roselyne Rey
losophique et la réflexion médicale. Cette interrogation, inséparable de
la lente montée de l'individualisme dans les sociétés occidentales depuis
le XVIe siècle 6, et de l'accroissement de l'espace intime 7, est liée à la
façon dont se définit l'identité : non seulement le corps devient objet de
sollicitude et de savoir sur soi, au lieu d'être simplement l'occasion d'exer
cer la maîtrise de l'individu sur lui, mais la perception que chacun a
de son propre corps, loin de se cantonner aux signes fournis par les orga
nes vitaux (cœur, poumons, cerveau, etc.), au déchiffrement des pro
fondeurs, s'attache aussi à sa superficie extérieure, la peau, à cette
frontière où se joue précisément le rapport du moi aux autres et au monde,
où se délimitent le dehors et le dedans.
Du centre à la périphérie...
La modification de la hiérarchie des sens qui s'amorce avec la réflexion
de Locke sur la relation entre la vue et le toucher à travers le problème
de Molyneux, avec la Lettre sur les aveugles de Diderot8, et se cristal
lise en particulier chez Condillac, constitue sans aucun doute le cadre
philosophique sans lequel il n'aurait pas été possible de repenser la per
ception du corps. Le privilège du toucher, « seul sens qui juge par lui-
même les objets extérieurs9», vient aussi d'un constat : le sentiment
fondamental qui provient de l'action des parties du corps les unes sur
les autres se confond avec le moi ; pour la statue, « ce sentiment et son
moi ne sont par conséquent dans l'origine qu'une même chose10». La
première connaissance est, pour l'enfant, celle de son propre corps, mais
pour qu'il apprécie les diverses modifications que le corps éprouve comme
siennes il faut que ces sensations soient décentralisées :
La nature n'avait donc qu'un moyen de lui faire connaître son corps,
et ce moyen était de lui faire apercevoir ses sensations non comme
des manières d'être de son âme, mais comme des modifications des
organes qui en sont autant de causes occasionnelles. Par là, le Moi,
au lieu d'être concentré dans l'âme, devait s'étendre, se répandre et
se répéter en quelque sorte dans toutes les parties du corps11.
A peu près dans le même temps, le concept de sensibilité va se trou
ver lui aussi délocalisé ; non pas déterminé anatomiquement et attaché
à telle fibre particulière du corps, mais conçu comme la propriété par
excellence de l'être vivant, répandu par tout le corps, susceptible de degrés
et de manifestations différentes :
26 Hygiène et souci de soi
une propriété générale particulièrement restreinte aux composés orga
niques, connue sous les noms d'irritabilité et de sensibilité, se répand
dans tous les ressorts, les anime, les vivifie, et excite leurs mouve
ments ; mais, modifiée dans chaque organe, elle en diversifie à l'infini
l'action et les mouvements 12.
A la distinction faite par Haller entre l'irritabilité de la fibre muscul
aire et la sensibilité de la fibre nerveuse 13, les vitalistes montpelliérains
répondent par la conception d'une sensibilité universelle, non spécifi
que dans sa forme la plus élémentaire, susceptible de se trouver à la
circonférence de tout le corps, dans le « tissu cellulaire » qui emplit les
interstices entre les organes14 comme dans chacun de ceux-ci, expli
quant par conséquent ces sympathies multiples qui font qu'une douleur
se propage d'une partie à une autre fort éloignée, d'une moitié du corps
à sa moitié symétrique, etc. Dans le corps, tout est sensible, parce que
tout vit.
Ce double horizon, philosophique et physiologique, converge dans
l'œuvre de Louis Lacaze, Idée de l'Homme physique et moral, publiée
en 1755. Le précepte delphique «Connais-toi toi-même» se déplace de
l'introspection psychologique et morale vers la connaissance de son pro
pre corps. L'anamnèse, au lieu d'être un moment du diagnostic médic
al, devient pour chaque individu une règle de vie. C'est sans doute dans
cette exigence d'« autopsie » que s'enracinent les tendances à l'automéd
ication, qui se développent au XVIIIe siècle via les Médecines domest
iques et les Dictionnaires portatifs de santé. Ce qui est plus intéressant,
c'est qu'elles émanent d'un médecin :
On voit par là combien chacun serait en état, pour peu qu'il fût ins
truit de la position et des liaisons des principaux viscères, de parven
ir, par sa propre observation, à une sorte de connaissance de la plupart
de ces effets [...] : il est certain que plus on fera de réflexions sur cette
manière de s'instruire du jeu de l'économie animale, plus on trouvera
que c'est l'unique moyen d'acquérir sur cette matière des connais
sances lumineuses et d'autant plus solides qu'elles sont fondées sur
une réalité de sensation qui ne saurait tromper15.
La sensation, celle qui vient de nos viscères, comme celle qui provient
du monde extérieur, n'est pas seulement la pierre de touche de l'exis
tence, elle en est la condition : sans les sensations, aucun des organes
ne serait mis en jeu, éveillé, pour accomplir son action ; sans besoin,
sans appétit, sans inquiétude, la machine animale, au sens propre, ces
serait de fonctionner. L'organisme ne peut subsister sans ces impres-
27 Roselyne Rey
sions qui viennent de toutes parts le pousser à réagir, même si c'est en
lui, dans la quantité de force ou d'énergie dont il dispose, qu'il puise
la possibilité d'une réaction16.
Nous avons besoin de sensations aussi esse

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