Idéal social et vocabulaire des statuts (« Le Couronnement de Louis ») - article ; n°1 ; vol.9, pg 110-118
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Idéal social et vocabulaire des statuts (« Le Couronnement de Louis ») - article ; n°1 ; vol.9, pg 110-118

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Description

Langue française - Année 1971 - Volume 9 - Numéro 1 - Pages 110-118
9 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1971
Nombre de lectures 22
Langue Français

Extrait

Jean Batany
Jean Rony
Idéal social et vocabulaire des statuts (« Le Couronnement de
Louis »)
In: Langue française. N°9, 1971. pp. 110-118.
Citer ce document / Cite this document :
Batany Jean, Rony Jean. Idéal social et vocabulaire des statuts (« Le Couronnement de Louis »). In: Langue française. N°9,
1971. pp. 110-118.
doi : 10.3406/lfr.1971.5578
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1971_num_9_1_5578Jean Batany, Tours. Rony, Paris-Nanterre.
IDÉAL SOCIAL ET VOCABULAIRE DES STATUTS
(« Le Couronnement de Louis »)
0.1. La chanson de geste est un genre assez bien défini : c'est un récit
épique, en vers de dix syllabes, caractérisé formellement par la récurrence
de thèmes, de motifs et de clichés. Elle n'offre donc pas des conditions
pleinement représentatives de la langue commune; l'usage des formules,
liées à la technique mémorielle du conteur et à la versification, et abon
damment répétées, empêche toute étude statistique proprement lexicolo-
gique. Cependant, les conditions contraignantes de l'épopée médiévale
impliquent l'exploitation de certains registres lexicaux. Ainsi, une des
finalités de l'épopée étant la mise en valeur de la catégorie sociale des
chevaliers dans son rôle de protection de la société, il est normal de trouver
dans chaque chanson de geste un réseau sémio-lexical des catégories
sociales, dans lequel les autres catégories ont un rôle secondaire de contre
point.
0.2. Le Couronnement de Louis s'occupe une place privilégiée à cet égard.
Rédigée vers 1130-1140 sous la forme que nous avons conservée, cette
chanson est une œuvre de propagande monarchiste fondée explicitement
sur la valeur privilégiée du statut royal et non sur la valeur personnelle
du roi (celui-ci est présenté comme un incapable). Ce statut royal doit donc
être placé par le poète dans une conception d'ensemble des statuts sociaux-
conception plus idéale que réelle, bien entendu.
0.3. Le concept de statut social n'est représenté par aucun lexeme dans
Le Couronnement de Louis ni, en général, dans la littérature française du
xne siècle.
0.4. Toutefois, l'abondance, aux xie et xine siècles, des œuvres latines et
(tardivement) françaises qui passent en revue la société par catégories ne
laisse aucun doute sur l'existence d'un concept qui confond nos notions
actuelles de statut social et de catégorie socio-professionnelle. Des termes
comme roi, chevalier, bourgeois, archevêque, moine blanc, femme appar
tiennent à un même paradigme couvrant un ensemble divisé librement en
parties qui peuvent se recouper, et non en pièces exclusives les unes des
autres. Il semble donc légitime d'étudier le champ lexical correspondant à
cette notion.
0.5. La méthode à appliquer devrait être, en principe, celle que définit
Alain Rey (Rey, 1968). Cependant, la date et la nature du texte ne per
mettent pas de l'appliquer rigoureusement. En revanche, les réserves
d'A. Rey sur la possibilité d'une étude directe du texte (ibid., p. 190) ne
s'appliquent ici que partiellement.
110 1.0. Les équivalences partielles ou totales entre plusieurs termes peuvent
s'inférer de coordinations, d'énoncés attributifs ou de commutations.
1.1. Les coordinations posent couramment des équivalences dans le fran
çais médiéval, mais beaucoup moins pour le registre social que pour les
notions morales. Celle qui lie les abbés et les rois (v. 45-46) pose évidemment
deux catégories nettement distinctes, mais que le parallélisme de la construc
tion met sur un même plan : les rois autres que l'empereur sont ainsi rabaiss
és. Dans quelques cas, on pourrait admettre que les notions coordonnées
se recoupent, comme dans le type usuel engin et barat : ainsi pour lor serjenz
et lor garçons, au vers 2270, où il ne s'agit pas de deux catégories bien
distinctes mais de l'ensemble des serviteurs utilisés comme messagers. Les
deux mots s'opposent moins par leur dénotation que par leur valorisation
implicite : on lit bons serjenz quatre vers plus loin, alors que garçon est un
terme d'injure (v. 1817).
1.2. Les énoncés attributifs mettent rarement en rapport deux désigna
tions de statut social. Quand ils le font, c'est souvent pour dévaloriser le
premier, soit par injure quand le prétendant Acelin accuse Louis d'être
un garçon (domestique de bas étage, v. 1817), soit par humilité quand
l'apostoile (le Pape) se présente comme uns messages (messager) Deu et
Saint-Père (452) et comme (servant) Deu al mostier (514). Dans ce cas (qui
rappelle la formule classique servus servorum Dei des chartes pontificales),
l'équivalence posée rappelle que le système des statuts humains, fussent-ils
ecclésiastiques, est subordonné à un système plus vaste englobant Dieu,
idée courante à l'époque. Du reste, Corsolt, le géant sarrazin à qui s'adresse
le Pape, n'est pas dupe et rétablit les valeurs humaines : et tei meimes, qui
sire iés del mostier (541); cette expression ramène la dignité cléricale, vue
par un observateur extérieur à la société chrétienne, à la forme typique de
dignité temporelle (le pouvoir seigneurial).
1.3.1. Les commutations sont particulièrement apparentes dans une
œuvre de style formulaire. Ainsi, les titres liés au nom d'un personnage
sont souvent interchangeables suivant les nécessités de la versification. Le
chef des Sarrasins est appelé li reis Galafres quand il s'agit de donner ses
quatre syllabes au premier hémistiche, mais le riche rei Galafre, Vamirant
Galafre ou Galafre Vomirez, quand il faut remplir les six syllabes du second
et arriver à une assonance en /a'-ej ou en /é/. Ce mot exotique (dérivé
d'émir, et parent de notre amiral) constitue évidemment une variante
stylistique, connotant le monde musulman, en même temps qu'une
combinatoire imposée par le vers et qu'une spécification parmi les « rois »
musulmans, le mot désignant leur chef suprême, le khalife.
En revanche, la commutation entre les titres appliqués à Guillaume
a une faible valeur sémantique : dans le premier hémistiche on a 51 fois
li cuens Guillaume, mais dans le second, 6 fois Guillaume le guerrier, 6 fois
Guillaume le marchis, 10 fois Guillaume Fierebrace, le choix entre ces trois
formules paraissant commandé par l'assonance (Duggan, 1966). On est
surpris de voir ainsi cuens et marchis traités en simples variantes combina-
toires, alors qu'ils désignent deux notions différentes (originellement, il est
vrai, en rapport d'inclusion, puisque le marquis est le comte commandant
une marche ou province-frontière). Au vers 1666, les deux mots s'ajoutent :
li cuens Guillelme al cort nés li marchis, si bien que le second paraît apporter,
par rapport au premier, une précision administrative ou plutôt une nuance
laudative supplémentaire, car les qualifications données dans le second
hémistiche ont une valeur ennoblissante qu'ont beaucoup moins les simples
présentatifs du premier.
1.3.2. Un problème particulier est posé par la formule du vers 2316 :
li bers Guillaume a conduit les forriers. Bers, en effet, peut être le cas-sujet
111 de baron, et donc un titre comme cuens, marchis, ou bien un adjectif lau-
datif (appliqué plusieurs fois à Yapostoilé). Faut-il considérer qu'au vers 2316
li bers est commutable avec la série des titres cuens, marchis, ou avec les
adjectifs laudatifs gentiz, nobiles, etc.? On est sans doute plus près de la
première valeur ici, dans le premier hémistiche, et plus près de la seconde
au vers 2011 où Guillaume li ber se trouve en fin de vers. Mais il reste
qu'un système de commutations ne peut pas être rigoureusement défini
dans le poème, et que la distinction entre un paradigme des titres et un
paradigme des qualités reste flottante. Cependant, le dérivé en -age force à
préciser une distinction qui était mal établie dans le mot racine : on a, en
effet, deux séries d'emplois nettement distincts pour bornage, les uns au
sens ď « ensemble des barons » (8 exemples), les autres au sens de « vail
lance » (6 exemples). Les deux valeurs sémantiques du suffixe sont ainsi
en distribution complémentaire correspondant aux deux valeurs de la base,
et le cumul de deux oppositions

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