L anti-Lei : utopie linguistique ou projet totalitaire ? - article ; n°2 ; vol.100, pg 971-1010
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L'anti-Lei : utopie linguistique ou projet totalitaire ? - article ; n°2 ; vol.100, pg 971-1010

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Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes - Année 1988 - Volume 100 - Numéro 2 - Pages 971-1010
Marie-Anne Matard, L'anti-«Lei» : utopie linguistique ou projet totalitaire?, p. 971-1010. En février 1938, le Parti fasciste interdit à ses adhérents l'usage du pronom « lei » comme forme de politesse. C'est le début d'une curieuse bataille opposant l'État à la société italienne, qui révèle la dimension totalitaire de l'idéologie fasciste. Changer le style pour transformer l'homme, telle est l'ambition du régime. Pourtant, la réticence des Italiens à modifier leurs comportements linguistiques montre la difficulté qu'il y a à vouloir forger «l'homme nouveau». La suppression du «lei» suscite un débat où apparaît l'hétérogéité de l'intelligentsia italienne à la fin des années trente. Certains saluent le geste politique, le sursaut de fierté nationale. D'autres accueillent favorablement le retour à une tradition régionale de tutoiement ou de vouvoiement. Nombreux sont ceux qui se (v. au verso) placent exclusivement sur le terrain de la langue. La suppression du « lei » est alors le prétexte à une réflexion sur la littérature considérée pour elle-même et non dans une finalité politique.
40 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 32
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Marie-Anne Matard-Bonucci
L'anti-Lei : utopie linguistique ou projet totalitaire ?
In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 100, N°2. 1988. pp. 971-1010.
Résumé
Marie-Anne Matard, L'anti-«Lei» : utopie linguistique ou projet totalitaire?, p. 971-1010.
En février 1938, le Parti fasciste interdit à ses adhérents l'usage du pronom « lei » comme forme de politesse. C'est le début
d'une curieuse bataille opposant l'État à la société italienne, qui révèle la dimension totalitaire de l'idéologie fasciste. Changer le
style pour transformer l'homme, telle est l'ambition du régime. Pourtant, la réticence des Italiens à modifier leurs comportements
linguistiques montre la difficulté qu'il y a à vouloir forger «l'homme nouveau». La suppression du «lei» suscite un débat où
apparaît l'hétérogéité de l'intelligentsia italienne à la fin des années trente. Certains saluent le geste politique, le sursaut de fierté
nationale. D'autres accueillent favorablement le retour à une tradition régionale de tutoiement ou de vouvoiement. Nombreux
sont ceux qui se
(v. au verso) placent exclusivement sur le terrain de la langue. La suppression du « lei » est alors le prétexte à une réflexion sur
la littérature considérée pour elle-même et non dans une finalité politique.
Citer ce document / Cite this document :
Matard-Bonucci Marie-Anne. L'anti-Lei : utopie linguistique ou projet totalitaire ?. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome.
Moyen-Age, Temps modernes T. 100, N°2. 1988. pp. 971-1010.
doi : 10.3406/mefr.1988.2999
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5110_1988_num_100_2_2999RECHERCHES SUR L'ITALIE CONTEMPORAINE
MARIE-ANNE MATARD
L'ANTI-«LEI» :
UTOPIE LINGUISTIQUE OU PROJET TOTALITAIRE ?
«Depuis quelques temps, nous voyons le fascisme, mouvement uni
versel, habitué à combattre des colosses, engagé dans une bataille rangée
contre le plus inoffensif, le plus inerme et le plus négligeable des enne
mis : contre un pronom»1.
C'est par ces mots que le responsable de l'Institut de culture fasciste
du Frioul ouvre une conférence, au mois de novembre 1938, destinée à
justifier une mesure récente adoptée par le Parti fasciste : la suppression
du pronom «lei» employé comme tournure de politesse.
Signe d'un arbitraire et défi à l'arbitraire du signe, cette réforme a
une signification tout à fait particulière. En supprimant l'usage de la tro
isième personne, le régime prétend réformer les us et coutumes des Ita
liens conformément au projet qui domine l'idéologie de la fin des années
trente: «forger l'homme nouveau».
Transformer un peuple en modifiant sa langue, changer le sujet par
l'ostracisme d'un pronom : telle est la signification de la réforme. La sup
pression du «lei» est un acte à la fois linguistique et politique qui manif
este l'aspect «totalitaire» de l'idéologie fasciste et on ne saurait l'inter
préter comme l'indice du désarroi idéologique d'un régime ne sachant
plus très bien si dire c'est faire ou si faire c'est dire. Toutefois, l'affaire
révèle en même temps les contradictions de l'idéologie fasciste, son hété
rogénéité et les réticences de la société civile, des intellectuels et de cer
tains courants du fascisme face au tournant totalitaire de la fin des
années trente. La visée politique est à la mesure de la démesure de l'ambi
tion linguistique.
Par le truchement du « lei », pronom féminin de la troisième personne
du singulier, quiconque pouvait alors - et peut toujours - s'adresser à
1 E. Zanette, «Lei, Voi, Tu». Conversazione sulle ragioni storiche ed etiche che
vietano agl'Italiani l'uso del Lei nei rapporti sociali, Trévise, 1939, p. 4.
MEFRM - 100 - 1988 - 2, p. 971-1010. MARIE-ANNE MATARD 972
quelqu'un en manifestant à la fois de la courtoisie et de la distance. « Dars
i del lei», littéralement «se donner du lei» était alors la forme de polites
se la plus répandue.
L'abolition du «lei» ne constituait pas une réforme du lexique - puis
que le pronom était toujours accepté dans sa fonction première, simple et
habituelle : se substituer à un nom comme sujet ou complément de tro
isième personne. En revanche, la réforme engendrait des transformations
morphologiques et syntaxiques, car il fallut remplacer le «lei» par d'au
tres pronoms et inventer une nouvelle codification du dialogue, évitant
les tournures à la troisième personne. L'ambition linguistique n'était pas
minime. En définitive, c'est la structure même de la langue qui était
visée.
Le désarroi des pédagogues reflète les difficultés objectives de mise
en place d'une telle réforme. Le manuel de grammaire Trabalza2 entéri
nait la mesure par une sorte d'aporie : « Récemment l'usage du ' tu ' a été
étendu et celui du 'voi' introduit dans les cas où avant on utilisait le 'lei'.
Les auteurs s'employaient ensuite à tracer la ligne de partage des situa
tions imposant l'un ou l'autre pronom. Embarras significatif compte tenu
du fonctionnement même de la langue.
En effet, les linguistes s'accordent pour estimer que si le lexique,
moins fortement structuré, se prête aisément au changement, une polit
ique volontariste a difficilement prise sur la syntaxe. Les processus d'évo
lution de la morphologie et de la syntaxe sont lents. Les interventions
couronnées de succès sont dans ce domaine assez rares3.
La décision de supprimer l'usage indirect du «lei» constitue un exemp
le assez original d'interventionnisme linguistique. Les dirigeants du Part
i fasciste sont guidés par des motifs plus politiques que linguistiques. La
parole est considérée comme symbole avant d'être perçue dans sa fonc
tion de communication. Cette mesure rappelle le précédent jacobin4.
2 II s'agit de la grammaire Trabalza e Allodoli, 6e éd, Florence, 1939, p. 140.
3 Cf. : J.-L. Cal vet, La guerre des langues et les politiques linguistiques, Paris,
1981. C. Hagège, Voies et destins de l'action humaine sur les langues, dans La réfo
rme des langues, histoire et avenir, Hambourg, 1982. C. Hagège, Les maîtres de parol
es, dans L'homme de paroles, 1985. M. Yaguello, Catalogue des idées reçues sur la
langue, Paris, 1988.
4 Dès l'automne 1793, le tutoiement se généralise parmi les sans-culottes. Le
31 octobre 1793, la Convention repousse la proposition de rendre obligatoire le
tutoiement entre citoyens. En revanche, à la Commune, le «tu» est imposé aux
patriotes. Cf. : S. Bianchi, La révolution culturelle de l'An II, Paris, 1982, p. 144 et
241. LANTI-« LEI » : UTOPIE LINGUISTIQUE OU PROJET TOTALITAIRE 973
L'obligation de se tutoyer entre citoyens était fondée sur le souci de ren
forcer les liens de la nation française. Si l'esprit de fraternité est au cen
tre de la décision jacobine, il n'est pas la préoccupation première des fas
cistes qui conservent le vouvoiement. Très tôt, les dirigeants du Parti
s'aperçoivent du danger qu'il y a à jouer les apprentis sorciers sur le ter
rain linguistique : la réforme de la morphologie pronominale bouleverse
non seulement la parole mais aussi les codes de politesse et les modalités
d'expression des hiérarchies sociales5. En revanche, les fascistes parta
gent avec les jacobins la volonté de renforcer les liens nationaux. Le « lei »
est rejeté car on lui attribue une origine étrangère.
Lorsque les fascistes s'emparent du pouvoir, ils déclarent vouloir réa
liser enfin l'Unité italienne, souder la nation autour de l'État. Au congrès
fondateur du Parti fasciste, Dino Grandi affirme : « Le fascisme doit se
fixer pour tâche ce que les socialistes n'ont pu réaliser : faire adhérer les
masses à l'État national».
La politique linguistique d'ensemble du fascisme est tendue vers ce
dessein national. Les premières orientations de la politique linguistique
s'inscrivent dans cette perspective tout en respectant une continuité par
rapport aux choix antérieurs. En effet, dès le Risorgimento, les partisans
de l'Unité étaient convaincus que nation et langue étaient i

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