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Informations
Publié par | REVUE_EUROPEENNE_DE_MIGRATIONS_INTERNATIONALES |
Publié le | 01 janvier 2001 |
Nombre de lectures | 37 |
Langue | Français |
Poids de l'ouvrage | 1 Mo |
Extrait
Madame Jacqueline Costa-
Lascoux
L'ethnicisation du lien social dans les banlieues françaises
In: Revue européenne de migrations internationales. Vol. 17 N°2. Débats contemporains. pp. 123-138.
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Costa-Lascoux Jacqueline. L'ethnicisation du lien social dans les banlieues françaises. In: Revue européenne de migrations
internationales. Vol. 17 N°2. Débats contemporains. pp. 123-138.
doi : 10.3406/remi.2001.1781
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remi_0765-0752_2001_num_17_2_1781Résumé
L'ethnicisation du lien social dans les banlieues françaises.
Jacqueline Costa-Lascoux.
De nombreuses enquêtes témoignent de l'ethnicisation des banlieues françaises, à partir des années
1990. L'emprunt à la sociologie anglo-américaine du concept d'ethnicité pour expliquer le phénomène a
alors influencé les politiques publiques qui tentaient de répondre aux difficultés et aux violences des
quartiers « sensibles ». La philosophie de l'intégration, élaborée en 1989, n'a pas eu le temps d'être
réellement appliquée ; les particularismes locaux et ethniques se sont accrus. Rappelant, par certains
aspects, la période coloniale, l'usage du concept d'ethnicité a ainsi engagé la responsabilité des
intellectuels et des politiques qui n'ont pas su reconnaître les effets discriminatoires de l'ethnicisation.
Abstract
Ethnicisation of Social Link French Suburbs.
Jacqueline Costa-Lascoux.
The ethnicisation of French suburbs since nineties have been described by several studies. Facing to
the increase of problems and violence within sensible areas, public policies tried to understand and
explain this phenomenon of ethnicisation. They borough to the Anglophone sociology the concept of
ethnicity. Because of the quick modifications of the society, the French political philosophy of
integration, elaborated in 1989, have not been efficiently applied. Time was too short to observe any
effect. Local and ethnic particularity have been more and more exacerbated. But the concept of ethnicity
is full of meaning and by several aspects it evokes the colonial past. As a consequence, this concept
have engaged the responsibility of intellectuals and politicians who have not been attentive to the
discriminatory effects of this concept.
Resumen
Los lazos sociales se convierten en lazos étnicos en los barrios periféricos franceses.
Jacqueline Costa-Lascoux.
Numerosas encuestas testimonian del cariz étnico que adquieren, desde 1990, los barrios periféricos
franceses. El concepto de « etnicidad », tomado en préstamo a la sociología anglo-americana de
manera a explicar el fenómeno, ha influenciado a las políticas públicas que intentaban aportar une
respuesta a las dificultades y a la violencia de los barrios « sensibles ». Así, concebida en 1989, la
filosofía de la integración no ha dispuesto del tiempo necesario para ser aplicada de tal forma que los
particularismos locales y étnicos han aumentado. Recordando en algunos casos al periodo colonial,
intelectuales y políticos se han convertido en responsables del uso (y de las consecuencias) del
término « etnicidad » puesto que no han sabido reconocer los efectos discriminatorios de la «
etnicisación ».Revue Européenne des Migrations Internationales, 2001 (17) 2 pp. 123-138 123
L'ethnicisation du lien social
dans les banlieues françaises
Jacqueline COSTA-LASCOUX
Certains mots acquièrent un sens générique au profit de leur diffusion
médiatique. Ainsi, en France, le mot « banlieue » a changé de connotation. Désignant
une zone urbanisée autour des grandes villes, il a perdu la diversité de ses acceptions,
celles qu'exprimaient des adjectifs se référant à l'architecture (la banlieue
pavillonnaire ou industrielle), à la composition sociale (les banlieues aisées ou
ouvrières), à ses usages (les banlieues résidentielles ou « dortoirs ») ou à la couleur
politique (la banlieue « rouge » pour désigner celle où les électeurs votaient
communiste)... Aujourd'hui, la banlieue évoque « les quartiers sensibles », les « zones
d'éducation prioritaire », les sites « violences », « les grands ensembles de barres et de
tours », où vit une majorité de familles « immigrées ». Ce changement de signification
renforce l'image archétypale « immigré ou d'origine immigrée », désignant non pas les
résidents étrangers de l'Union européenne ou des pays développés résidant en France,
mais ceux qui sont, eux ou leurs parents, originaires de l'hémisphère sud,
principalement du continent africain. Tout se passe comme si la « périphérie » des
régions pauvres du monde se retrouvait à la « périphérie » des villes des sociétés
développées.
L'évolution sémantique du mot « banlieue » traduit le processus
d'ethnicisation, qui est à l'œuvre depuis une dizaine d'années dans les grandes
agglomérations urbaines, en France. Le changement correspond, certes, à des
phénomènes de concentration de populations dans les habitations à loyer modéré, à une
« déqualification sociale » née de l'aggravation du chômage dans les années 1990,
Directrice de recherche au CNRS, CEVIPOF / Pans.
L'article ici présenté est inspiré d'un texte élaboré dans le cadre du séminaire co-dirigé par
J. BORDET, J. COSTA-LASCOUX et J. DUBOST « L'émergence de la question ethnique et
le lien social ». Ce séminaire a été organisé conjointement avec le CSTB (Centre Scientifique
et Technique du Bâtiment), le CEVTPOF (Centre d'Étude de la Vie Politique Française), le
Fonds d'Action Sociale et la Délégation Interministérielle à la Ville. Il a réuni des chercheurs,
des représentants de divers ministères ou administrations et des praticiens. 124 Jacqueline COSTA-LASCOUX
mais il a été accentué par des politiques publiques « ciblées sur des populations
spécifiques ». Ces politiques ont pris en compte « la différence », en votant des
budgets, en créant des structures et en formant des personnels spécialisés1. Au motif
qu'il fallait respecter les particularismes culturels, répondre aux besoins de populations
particulièrement défavorisées, s'appuyer sur les solidarités communautaires et
développer des médiations, les pouvoirs publics ont légitimé, plus ou moins inconsciem
ment, le concept d'« ethnicité ». Cette évolution s'est appuyée sur des travaux
sociologiques qui étaient l'occasion de polémiquer sur le « modèle républicain »2.
L'emprunt à des sources anglo-américaines est alors devenu un argument
d'autorité à la fois pour analyser la réalité sociale et pour orienter les politiques
publiques. Cela s'est accompagné d'enquêtes sur « l'intégration des différentes
communautés » à la société française, avec des comparaisons formées sur quelques
indicateurs socio-démographiques, dont on tirait des interprétations culturalistes — la
notion de « Français de souche », par exemple, fit florès pendant quelques années.
C'était méconnaître la philosophie même de l'intégration3 qui, loin de gommer les
différences culturelles, envisageait une dynamique de construction démocratique
favorisant l'échange, la réciprocité des droits et des obligations, la combinatoire
inventive d'une société pluraliste. Le malentendu sur l'intégration était fondé, en
réalité, sur une inversion du raisonnement : au lieu d'imaginer une émancipation des
personnes par le processus d'intégration, on a projeté des stéréotypes ethniques, y
compris sur l'État-nation lui-même. Ainsi, la République est-elle devenue, pour
certains, une sorte de monolithe, qui occulterait la diversité des appartenances et des
expressions identitaires. L'explication « ethnique » des problèmes sociaux rappelle, en
fait, un phénomène observé pendant la colonisation : l'essentialisation de la différence.
L'EMPREINTE DES STÉRÉOTYPES
L'engouement pour le concept d'ethnicité, dans les années 1990 en France, a
conduit à reproduire de nombreux stéréotypes qui avaient cours pendant la période
coloniale. La ré