La loi Evin dix ans après ou le paradoxe de la contrainte féconde - article ; n°1 ; vol.136, pg 31-42
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Communication et langages - Année 2003 - Volume 136 - Numéro 1 - Pages 31-42
1991, qui ne fut pas un grand millésime œnologique, ne laisse pas que la trace d'un palindrome numérique dans la mémoire publicitaire française : c'est l'année de l'adoption de la loi Évin, du nom de son initiateur le ministre de la santé Claude
Évin. Lorsque la loi parut, annonceurs et agences manifestèrent leur inquiétude :
la création publicitaire allait être touchée au cœur, elle ne s'en remettrait pas. Peu
nombreux furent ceux qui, à l'instar de Georges Péninou, alors mandaté par Publicis pour réfléchir sur le sujet, risquèrent une opinion différente, et même divergente. Certes, les choses allaient être moins faciles qu'auparavant, mais peut-être la création publicitaire en sortirait-elle, paradoxalement, renouvelée, vivifiée et renforcée. C'est
ce que semble indiquer l'analyse résumée ci-dessous - elle porte en réalité sur plusieurs dizaines d'annonces pré- et post-Évin - présentée en mai 2002 à Mexico lors des Premiers Entretiens franco-mexicains sur la publicité.
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Informations

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Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 100
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pascal Beucler
Fanny Favreau
La loi Evin dix ans après ou le paradoxe de la contrainte
féconde
In: Communication et langages. N°136, 2ème trimestre 2003. pp. 31-42.
Résumé
1991, qui ne fut pas un grand millésime œnologique, ne laisse pas que la trace d'unpalindrome numérique dans la mémoire
publicitaire française : c'est l'année de l'adoption de la loi Évin, du nom de soninitiateur le ministre de la santé Claude
Évin. Lorsque la loi parut, annonceurs et agences manifestèrent leur inquiétude :
la création publicitaire allait être touchéeau cœur, elle ne s'en remettrait pas. Peu
nombreux furent ceux qui, à l'instar de Georges Péninou, alors mandaté par Publicis pour réfléchir sur le sujet,risquèrent une
opinion différente, et même divergente. Certes, les choses allaient être moins faciles qu'auparavant, mais peut-être la création
publicitaire en sortirait-elle, paradoxalement, renouvelée, vivifiée et renforcée. C'est
ce que semble indiquer l'analyse résumée ci-dessous - elle porte en réalité sur plusieurs dizaines d'annonces pré- et post-Évin -
présentée en mai 2002 à Mexico lors des Premiers Entretiens franco-mexicains sur la publicité.
Citer ce document / Cite this document :
Beucler Pascal, Favreau Fanny. La loi Evin dix ans après ou le paradoxe de la contrainte féconde. In: Communication et
langages. N°136, 2ème trimestre 2003. pp. 31-42.
doi : 10.3406/colan.2003.3203
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_2003_num_136_1_3203MJJ LU
La loi Évin dix ans après x -z.
9£ Ln ou le paradoxe de
5 la contrainte féconde
£ o Quand la prohibition du sujet
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CQ < luI— Pascal Beucler et Fanny Favreau
1991, qui ne fut pas un grand millésime œnolo- risquèrent une opinion différente, et
gique, ne laisse pas que la trace d'un même divergente. Certes, les choses
palindrome numérique dans la mémoire allaient être moins faciles qu'aupara-
publicitaire française : c'est l'année de vant, mais peut-être la création publici-
l'adoption de la loi Évin, du nom de son taire en sortirait-elle, paradoxalement,
initiateur le ministre de la santé Claude renouvelée, vivifiée et renforcée. C'est
Évin. Lorsque la loi parut, annonceurs et ce que semble indiquer l'analyse
agences manifestèrent leur inquiétude : résumée ci-dessous - elle porte en
la création publicitaire allait être touchée réalité sur plusieurs dizaines d'annonces
au cœur, elle ne s'en remettrait pas. Peu pré- et post-Évin - présentée en
nombreux furent ceux qui, à l'instar de mai 2002 à Mexico lors des Premiers
Georges Péninou, alors mandaté par Entretiens franco-mexicains sur la publi-
Publicis pour réfléchir sur le sujet, cité.
Par essence limitative, restrictive voire ouvertement prohibitive,
la loi Évin intervient à la fois sur la surface de diffusion (le
cinéma, la radio, la TV sont interdits), les moyens de dérivation
(le parrainage, le sponsoring sont limités), les ressources de
l'expression (ce qui n'est pas clairement autorisé est interdit), la
psychologie (la bonne conscience doit être exclue de la
consommation d'alcool).
Les ressources de l'expression sont particulièrement visées et
sont marquées par, d'une part, la limitation du discours publici
taire à un discours informatif sur le produit (sa composition, son
mode d'élaboration, son origine), et d'autre part l'encadrement
strict de l'utilisation de personnages : ils ne peuvent qu'être liés
à l'origine du produit, à son mode d'élaboration ou à son réseau
de distribution. 32 Batailles du marché et pouvoirs du signe
DÉSIR ET LANGAGE, LANGAGE DU DÉSIR
On sait bien, depuis Benveniste et Barthes, les liens étroits qui
unissent langage du désir et rhétorique de la parole publicitaire,
dont la vocation epidictique n'est plus à rappeler. Ce sont précisé
ment ces liens d'évocation, de suscitation et d'excitation de l'envie
de posséder et de consommer que le législateur a voulu dénouer.
Dans un cadre de censure contraignant, qui vise à la fois les
thèmes, les procédés et les stratégies argumentaires, la créati
vité peut-elle continuer de s'épanouir ? Avant la loi Évin, la
promotion des boissons alcoolisées s'appuyait sur l'évocation
de la socialite, de la convivialité et de la psychologie favorable
que leur consommation était supposée engendrer, en action
nant préférentiellement des valeurs d'échange induit et d'int
imité suggérée. Les figures du boire puisaient essentiellement
aux sources du langage du désir : au-delà d'une boisson volont
iers réduite au rôle d'adjuvant/désinhibant psycho-social, c'est
un signe de séduction, de libération et d'« être ensemble » que
donnait à consommer l'économie symbolique publicitaire.
Face à cette modification brutale des règles du jeu créatif, les
agences ont d'abord craint de mal interpréter le texte légal, et
ainsi de faire encourir à leurs clients des risques élevés. Puis
elles se sont mises en quête de solutions créatives qui respec
tent la lettre de la loi tout en préservant la capacité des
marques à défendre les taux de reconnaissance, d'attribution et
d'agrément qui déterminent leurs parts de marché. Deux ques
tions fondamentales appelaient une réponse : la première
portait sur la manière d'investir la notion de convoitise, culturel-
lement inséparable du « faire » lié à l'ingestion de l'alcool. La
seconde s'attachait à la possibilité d'évoquer la consommation
sans recourir aux anciens modes d'ancrage : sans consomma-
«o teurs identifiables, sans cadre spatio-temporel repérable, sans
^ promesse d'échange enviable, sans incitation mobilisatrice...
& Les créatifs ont su subsumer, l'enfreindre, un cadre légal
§> contraignant, notamment en exploitant l'origination et en recou-
^ rant à l'emphatisation du produit.
§ La prohibition redoutée a en réalité engendré une grande ferti-
| lité créative sur les plans thématique, verbal et visuel. Le
§ lexique, semblant d'abord s'appauvrir - voire glisser vers le
| mutisme - s'est depuis profondément enrichi, jusqu'à tenir
(3 parfois le rôle principal. loi Évin dix ans après ou le paradoxe de 33 La
la contrainte féconde
Sur le plan visuel, le produit s'exhausse, se sublime, s'illumine,
se poétise, s'esthétise, se signifie à travers des formes bien
plus travaillées qu'elles ne l'étaient auparavant. C'est désor
mais au produit lui-même d'être désirable.
Le bilan de l'après-loi Évin est, on va le voir, paradoxalement
« positif » en ce qu'il marque un assez profond remaniement
des formes publicitaires.
À partir d'un corpus constitué d'une sélection d'annonces
parues en presse de 1985 à 2002 en France, on a examiné
successivement les modes d'expression antérieurs et posté
rieurs à la loi Évin. Cinq procédés principaux régissaient la
création publicitaire avant la loi. Le procédé de médiation faisait
de personnages historiques ou symboliques les adjuvants du
boire. Le procédé de sublimation enrichissait le discours d'inci
tation d'une quête aspirationnelle. Le procédé de narration
ancrait le produit dans un récit exemplaire, voire édifiant. Le
procédé d'implication exploitait toutes les ressources rhétor
iques du principe de l'invitation. Le procédé d'exaltation enfin, le
seul qui ait pu survivre à 1991, était fondé sur une promesse
festive.
Après la loi, ce sont d'autres procédés qui émergent, substi
tuant aux codes désormais proscrits d'autres formes signi
fiantes. Le procédé d'emphatisation met la lumière sur l'identité
du produit - sur son nom, son origine, sa forme... Le procédé
d'anecdotisation représente et scénarise des lieux, des thèmes,
des effets liés à l'acte de consommation. Le procédé de substi
tution réfère à d'autres at

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